Com­ment par­ler d’un poète, ami de plus de quar­ante ans ? Com­ment en par­ler avec retenue et sans émo­tion peu après la dis­pari­tion bru­tale de cet ami que fut et que reste Bernard Mazo, foudroyé le 7 juil­let dernier ?

 Bernard Mazo aura passé sa vie à défendre la poésie et à écrire des poèmes. Il a pub­lié une dizaine de recueils dont Cette absence infinie ( L’idée bleue, 2004 ), La cen­dre des jours ( Voix d’en­cre, 2009 – Prix Max Jacob 2010 ), Dans l’in­som­nie de la mémoire ( Voix d’en­cre, 2011 ). Le cri­tique qu’il était à par­ticipé à l’aven­ture d’Aujour­d’hui Poème, ce men­su­el con­sacré à la poésie et qui dura près de dix ans. Bernard Mazo a aus­si longtemps col­laboré à Autre Sud sous forme d’at­i­cles, d’en­tre­tiens, de poèmes. Il avait rassem­blé des études sur trente-cinq poètes con­tem­po­rains dans un livre inti­t­ulé  Sur les sen­tiers de la poésie ( Melis, 2008 ). Il venait d’achev­er une biogra­phie de Jean Sénac à paraître au Seuil en 2013 : il avait tra­vail­lé près de sept ans à cet ouvrage dont il ne ver­ra pas la pub­li­ca­tion. Chez Bernard Mazo : le poète et le cri­tique se rassem­blaient dans une même démarche con­sacrée à la poésie : la sienne et celle des autres. Aux poètes il a con­sacré beau­coup de son temps. Il par­tic­i­pait tous les ans, en tant qu’or­gan­isa­teur et ani­ma­teur, aux Voix de la Méditer­ranée à Lodève, puis aux Voix vives de Méditer­ranée en Méditer­ranée à Sète. Il faut ajouter qu’il était mem­bre du jury du prix Apol­li­naire et de l’A­cadémie Mal­lar­mé. Ain­si tout l’at­tachait à la poésie qui était pour lui une éthique, une pas­sion sans borne.

De la poésie de Bernard Mazo on peut dire qu’elle repo­sait sur une con­cep­tion trag­ique de la vie, une prise de con­science d’une douleur sans cesse avec la présence de la mort qui s’op­pose à la beauté du monde tan­dis que l’autre, notre sem­blable, nous ren­voie à notre pro­pre fin. Aus­si Bernard Mazo peut-il écrire dans Dilap­i­da­tion du silence ( Édi­tions Saint-Ger­main des Prés, 1981 ) :

 

            Chaque vis­age ren­con­tré est comme une insouten­able blessure où s’embusque la mort.

 

Cette mort qu’il évo­quait si sou­vent dans ses poèmes, Bernard Mazo s’ef­forçait de lui résis­ter. C’est le pou­voir de dire qui per­met de s’op­pos­er aux forces mortelles instal­lant en nous un espoir dés­espéré. De là cette con­fi­ance dans l’écri­t­ure, unique chemin de vie et de vérité. Dans Cette absence infinie ( Le dé bleu ; 2004 ), il déclare :

 

            Si je chante la douceur des choses,

            si je dis la douleur des jours,

            c’est unique­ment pour ne pas trébucher

            pour ne pas mourir…

           

Le recours aux forces vitales n’en représente pas moins un des aspects les plus trag­iques de la poésie de Bernard Mazo dans laque­lle s’u­nis­sent lucid­ité et sincérité. Cette appro­ba­tion de la vie, il n’y a jamais renon­cé mais il en con­naît l’aspect éphémère, la pré­car­ité : il mesure sa pro­pre fragilité et tra­verse le monde à pas légers. Il vient d’ailleurs, ce qu’il écrit dans ces vers extraits de Pas­sage du silence ( Rougerie, 1964 ) :

 

            Je viens d’où l’on naît sans partage

            De plus loin que toute mémoire

            Heureux de n’être qu’une ombre qui passe.

 

Par­fois il exprime son effroi en face de cette vie déjà per­due avant d’avoir été vécue. Il descend au plus pro­fond de la douleur quand il évoque dans La vie foudroyée ( Le dé bleu , 1999 ) :

 

            cet effroi, cette angoisse

            ancrés en moi depuis toujours

            telle l’in­tariss­able blessure

            d’une vie que je n’au­rai pas vécue.

 

Bien des poèmes diront dans ce même recueil un mal-être persistant :

 

            A n’é­couter que la rumeur sourde du sang.

            On oublie par­fois que la vraie vie est absente.

 

 Aus­si le regard du poète se tourne-t-il sou­vent, dans un mou­ve­ment con­traire, vers le par­adis enfui de l’en­fance, lieu idéal qui pro­cure à l’homme un peu de bon­heur. Ce rap­pel de l’en­fance est toute­fois source de nos­tal­gie car la quête de ce qui n’est plus con­duit à se four­voy­er et ce qui con­sti­tu­ait une recherche du bon­heur se mue en un con­stat douloureux : celui d’une perte, ain­si quand Bernard Mazo évoque dans Cette absence infinie ( Le dé bleu, 2004 ) de :

 

            cette odeur poignardée

            des lilas de l’enfance.

 

Con­tentons-nous de miser sur l’éphémère, sur quelques instants retrou­vés qui per­me­t­tent  de savour­er une sen­sa­tion de pléni­tude, de main­tenir le sou­venir d’un temps qui nous met­trait à l’abri de la douleur, nous dit le poète. Mal­gré tout celle-ci l’emporte qui est due au con­stat de notre fini­tude, de la soli­tude. Dans sa force soudaine, celle-ci est com­pa­ra­ble à une brûlure que le poète ressent au plus vif de sa chair. Il écrit dans Dilap­i­da­tion du silence :

 

            Je vais

            […] seul et hanté

            jusqu’à l’incandescence.

 

 Il con­vient alors, rap­pelle Bernard Mazo, de s’en remet­tre à la parole poé­tique, instru­ment néces­saire pour dire la blessure, la souf­france avec pudeur sans jamais rien dis­simuler mais pour faire face au silence. Pour­tant l’aveu qui suit souligne le réal­isme lucide du poète con­scient d’une fin à laque­lle les paroles ne sauraient s’opposer :

 

            Et tous ces mots qui chantaient

            sur mes lèvres

            ne seront plus bientôt

            que cen­dres dispersées

            dans vent…

 

écrit-il dans Cette absence infinie.

Avec son dernier recueil Dans l’in­som­nie de la mémoire ( Voix d’en­cre, 2011 ), Bernard Mazo s’in­ter­roge sur les rap­ports entre le poète et la poésie : il y décèle un con­tin­uel affron­te­ment : por­teuse d’une beauté énig­ma­tique, la poésie se situe tou­jours à dis­tance et «  n’a que mépris que pour ceux qui voudraient la séduire ». C’est dire toute la révérence qu’il por­tait à la poésie, avec quelle pudeur il l’abor­de et se livre à elle. Aus­si peut-il affirmer à son pro­pos : « ni d’i­ci ni d’ailleurs, le mutisme, seul, lui con­vient. » Dans ce livre à la par­faite lucid­ité, Bernard Mazo n’ap­pa­rait nulle amer­tume mais une sorte de con­fi­ance envers la des­tinée. Lorsqu’il s’adresse à sa «  ten­dre incon­nue » il con­clut par ces vers :

 

            Est ce […] toi / qui me con­duiras / le jour venu / dans le trem­ble­ment de la parole / au pays de la beauté pensive ?

 

Ce pays, Bernard Mazo l’avait tou­jours cher­ché : il était celui de la poésie qui demeure le pouls de la vie, sa res­pi­ra­tion et le poète s’est tou­jours fié à elle pour le con­duire jusqu’au terme de sa route. Souhaitons-lui de l’avoir atteint. Il nous reste la poésie de Bernard Mazo qui n’a pas fini de nous accompagner.

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