Jean Rous­selot est né le 27 octo­bre 1913 à Poitiers, dans un milieu chaleureux, mais des plus mod­estes. Son père, forg­eron, est tué en 1916, à la bataille de Ver­dun : Pour tou­jours, les murs blancs de ma vie sont éclaboussés de rouge. Deux ans plus tard, sa sœur Jeanne décède d’une ménin­gite à l’âge de dix ans. Rous­selot n’oubliera rien :

 

Mal­gré moi je me sou­viens des mansardes sombres
Où l’ennui accrocha un sourire figé
Des linges qui sèchent au-dessus de l’âtre
De la cuvette usée et des vit­res chevrotantes.
 

Il n’oubliera pas davan­tage les hum­bles, les besogneux, le peu­ple dont il est : Pas de rai­son pour qu’on oublie — Ces com­pagnons du pre­mier sang.

En 1925, il obtient son Cer­ti­fi­cat d’études pri­maires et entre à l’École pri­maire supérieure de Poitiers. Jean, alors élevé par ses grands-par­ents mater­nels (« Nous viv­ions à trois dans une pièce unique, si exiguë que se touchaient presque nos grands lits à bateau, tournés vers la fenêtre sans volets »). Il écrit ses pre­miers poèmes. La poésie ne le quit­tera plus et demeur­era son moyen d’expression, son rem­part face au néant :

 

Mal­gré moi j’ai pitié des cours pro­fondes et visqueuses
Sans oiseaux, sans feuilles tourbillonnantes
Et du pétrin invis­i­ble qui geint en bas
Jour et nuit comme un forçat enterré.
Mal­gré moi j’ai pitié des vieilles repasseuses
Aux jambes lour­des, aux yeux rougis
Et de l’ivrogne ren­tré tard qui bat sa femme
Dans l’entresol fumeux.

 

En 1928, Rous­selot obtient le Brevet élé­men­taire et le Brevet d’enseignement pri­maire supérieur, com­por­tant des épreuves de travaux pra­tiques : il a choisi le fer en hom­mage à feu son père. Rous­selot fait la con­nais­sance de Mau­rice Fombeure, le futur poète des Étoiles brûlées (1950), qui tra­vaille comme sur­veil­lant dans son école. Le sort s’acharne sur lui. En 1929, sa mère meurt à l’âge de quar­ante-qua­tre ans, d’une tuber­cu­lose : Je croy­ais que la mort nous attendait au bout d’une route, plus ou moins longue. Je sais désor­mais qu’elle est en nous, appliquée à ronger l’écran de chair qui nous sépare d’elle. Le ren­dez-vous est à l’intérieur. Le sou­venir de cette mère, qui incar­ne l’image de la femme idéale, le hantera à jamais. Trente-neuf ans plus tard, le poète lui con­sacr­era l’un des poèmes les plus poignants de Hors d’Eau, « Le Four » :

 

Et toi, ma mère, ma favorite aux mains râpeuses dont je met­tais les bas, les nuits où j’étais seul, quel emblème veux-tu que pose sur toi, quel bla­son noir ou bleu ? Mal­gré ces épreuves, Rous­selot prend le dessus car : O mon enfance, n’oublie rien : — Les clés encore sont dans ta main, — L’amour attend, il nous faut vivre !

 

Son beau-père lui fait inter­rompre ses études. Jean Rous­selot entre en qual­ité d’auxiliaire à la Pré­fec­ture de la Vienne, où il fait la con­nais­sance d’Yvonne Bafoux (aux­il­i­aire comme lui), sa future femme et muse par­faite : Pour refaire la nuit il me fal­lait tes yeux – Tes mains mul­ti­pliées ta bouche — Ton corps était l’écran qui me masquait le jour. Rous­selot fait égale­ment la ren­con­tre du poète Louis Par­rot, alors libraire à Poitiers, de sept ans son aîné et qui devient son ami, son men­tor. À cette époque, Jean réside de nou­veau chez ses grands-par­ents mater­nels, qui l’ont élevé en grande par­tie : La mis­ère, le froid, mais la ten­dresse et l’exemple. 

En 1931, Rous­selot étudie le droit et le latin. Il devient rédac­teur à la mairie de Poitiers, puis, après avoir passé et réus­si un con­cours, secré­taire du com­mis­saire de police. L’expérience qu’il a de la vie, de la con­di­tion ouvrière et paysanne, comme de la mis­ère et de l’injustice, ont large­ment con­tribué à faire son édu­ca­tion poli­tique et sociale, ain­si qu’à forg­er son engage­ment social­iste et human­iste. Le poète rejoint la Ligue com­mu­niste, qui rassem­ble les mem­bres de l’Opposition de gauche (trot­skyste) avant la procla­ma­tion, en 1938, de la IVe Inter­na­tionale. S’il aban­don­nera peu à peu le mil­i­tan­tisme, Rous­selot demeur­era sociale­ment un homme de gauche et le par­ti­san d’une poésie exigeante ; mais jamais, il n’hésitera, pas plus que Hugo ou Maïakovs­ki, à en faire une arme en péri­ode de grandes circonstances.

Rous­selot par­ticipe à la revue Jeunesse, créée à Bor­deaux en 1932 par Jean Ger­main et Pierre Mala­camp. Avec  Fer­nand Marc, il fonde la revue Le Dernier Car­ré, qui accueillera notam­ment Joë Bous­quet, qui devien­dra un ami, et aus­si Michel Manoll, par qui il entr­era en con­tact plus tard avec Jean Bouhi­er, René Guy Cadou ou Lucien Beck­er. Une nou­velle épreuve le frappe à vingt ans, avec la dis­pari­tion de ses grands-par­ents Audin. La même année, le poète est hos­pi­tal­isé au sana­to­ri­um de Saint-Hilaire, à la suite de crache­ments de sang répétés. Un an plus tard, la vie reprend le dessus : il épouse Yvonne en août 1934. Le cou­ple aura deux filles : Claude, née à Poitiers en 1937, et Anne-Marie, née à Orléans en 1943, « sous les bombes », comme le rap­pelle un poème.

Rous­selot pub­lie ses deux pre­miers recueils de poèmes : Poèmes (Les Cahiers de Jeunesse) et Pour ne pas mourir (Les Feuil­lets de Sagesse) :

 

Tes regards ont beau faire, ils doivent s’écarter,
descen­dre jusqu’à l’épave qui les tenait cachés,
celle qui resplen­dit dans chaque maille de mon silence.
 

Suiv­ront : Emploi du temps (La Hune, 1935), Jour­nal (Debresse, 1937) et Le goût du pain (La Hune, 1937) :

 

Errant, par­lant,
Je sais à quelles fibres
Com­men­cent la faim le désert.
Mon silence est plein de pierres
Où tu te chauffes les mains. 

 

Jean Rous­selot passe avec suc­cès, en 1936, un con­cours pour être com­mis­saire de police (comme Lucien Beck­er et Paul Chaulot). Il est nom­mé à Rosendaël près de Dunkerque, puis muté à Vendôme en 1938. Il n’est pas mobil­isé en 1939, mais « affec­té spé­cial ». Nom­mé com­mis­saire de police dans une ville bien­tôt occupée par les Alle­mands, il con­jugue avec courage, durant toute cette sin­istre péri­ode, poésie de com­bat et résistance :

 

De lour­des fleurs de chair couron­nent les murailles
Comme les éten­dards atro­ces de l’été.
Entre les chevaux morts, les canons démâtés,
L’habitude en lam­beaux cherche son attirail…

 

Ces vers extraits du poème « Juin », pub­lié en 1943 dans Les Cahiers du Sud, seront repris dans le recueil, Le Sang du ciel. Ce poème est con­sid­éré comme l’un des plus forts de cette péri­ode trou­ble et mau­dite. Le poète entre en con­tact avec la Résis­tance et se sert de sa fonc­tion pour cacher des pris­on­niers évadés, tout en préser­vant de son mieux les Juifs. 

En 1942, Jean Rous­selot est nom­mé à Orléans. Il y pour­suit son action de poète-résis­tant : poèmes, tracts, faux papiers… Il sauve son beau-frère, puis, en 1943, le poète Mon­ny de Boul­ly et sa femme Paulette (la mère de Claude Lanz­mann), arrêtés par la Gestapo.  En févri­er 1943, Jean Rous­selot s’engage dans les rangs de la France Libre et devient le Cap­i­taine Jean, au sein du réseau Asturies. Entretemps, le poète s’était lié d’amitié avec Élu­ard et avait ren­con­tré Max Jacob en 1942, à Saint-Benoît-sur-Loire. Rous­selot cor­re­spondait avec le poète du Lab­o­ra­toire cen­tral, depuis un an. Une forte ami­tié s’instaura d’emblée. Le 24 févri­er 1944, Max Jacob « reçoit cette vis­ite tant de fois red­outée et tou­jours remise, des hommes aux man­teaux de pluie dont la servi­ette d’écolier ne con­tient que le nerf de bœuf et les chaînes dont ils ont fait leurs attrib­uts »: ils vien­nent l’arrêter. Le 13 mars, éclate l’atroce vérité : « Max est mort, huit jours plus tôt… Mais com­ment « réalis­er » cette mort, cet efface­ment, cette perte ? Nous cher­chions en vain des mots, des images, et ne ren­con­tri­ons que notre douleur bru­tale et nue… » Max Jacob  est l’un de ces deux grands poètes, qui l’ont forte­ment mar­qué et influ­encé, ain­si que ses amis de l’École de Rochefort, fondée par Jean Bouhi­er en 1941. Il y a donc Max Jacob : l’éveilleur extra­or­di­naire de Saint-Benoît, l’aîné con­sid­érable ; et Pierre Reverdy : le som­met. Deux lumières bril­lent sur la Loire : « Une lumière douce et un peu aigre qui était celle de Max Jacob, et une lumière dure, dra­ma­tique, qui était celle de Reverdy. » Jacob et Reverdy ; deux phares dans la nuit, sur lesquels Rous­selot lais­sera deux essais péné­trants : Pierre Reverdy (en col­lab­o­ra­tion avec Michel Manoll, éd. Seghers, 1951), et le boulever­sant Max Jacob, l’homme qui fai­sait penser à Dieu (Laf­font, 1946 ; réédité chez Subervie en 1958 et à La Bar­tavelle édi­teur en 1994). 

Mais, la grande aven­ture pour Rous­selot, se joue alors du côté de Rochefort-sur-Loire, dès juin 1940, où cette « école buis­son­nière », comme la surnomme René Guy Cadou, son poète-archange, qui est fondée en 1941, con­tribue par­mi d’autres revues ou groupes, à la survie d’une poésie libre et sans com­plai­sance envers Vichy et l’occupant. Rous­selot est du groupe dès le début, aux côtés de René Guy Cadou et de Jean Bouhi­er, aux­quels vien­dront se join­dre Michel Manoll, Mar­cel Béalu, Luc Béri­mont, Roger Toulouse et bien d’autres. Ces poètes, provin­ci­aux pour la plu­part, se récla­ment aus­si bien de Milosz, d’Apollinaire ou de Rilke, que de Jacob ou de Reverdy. Pro­posant une plate-forme d’envol pour les poètes et la poésie, Rochefort n’a pas de doc­trine. La diver­sité de ses mem­bres est sa richesse. Tous ont en com­mun, l’horreur de la tour d’ivoire, le mépris du parisian­isme, la fra­ter­nité avec les élé­ments et, bien sûr, le refus du fas­cisme. Cadou, mort d’un can­cer à trente-et-un ans en 1951, en fut l’âme pré­cieuse et incon­tourn­able, fédérant à lui seul les valeurs du groupe, avec son lyrisme sim­ple mais fort, émer­veil­lé bien que soli­taire et tour­men­té. Rous­selot ne ménagera jamais ses efforts pour faire accéder l’œuvre de Cadou à la reconnaissance.

Durant cette péri­ode, le poète pub­lie : L’Homme est au milieu du monde (Fontaine, 1940), Instances (Cahi­er de l’École de Rochefort, 1941), Le Poète resti­tué (Le Pain Blanc, 1941), Refaire la nuit (Les Cahiers de l’École de Rochefort, 1943), Argu­ments (Laf­font, 1944), Le Sang du ciel (Seghers, 1944) :

 

La nuit plus longue que l’espoir
La nuit plus longue qu’un baiser
La nuit mor­celle le sommeil
En jours entiers qu’il faut tuer
Qu’on tue avec des mains d’étoupe
Et des couteaux mal aiguisés
Des jours qui sont à tout le monde. 
 

En août 1944, Rous­selot par­ticipe aux com­bats pour la libéra­tion d’Orléans et est nom­mé com­mis­saire cen­tral par la Résis­tance, soit, la respon­s­abil­ité de cinq départe­ments de la région. À la Libéra­tion, il est nom­mé à Paris en qual­ité de chef de cab­i­net du Directeur-adjoint de la Sûreté nationale. Il adhère au Comité nation­al des écrivains. Rous­selot est recon­nu par ses pairs, ce qui ne se démen­ti­ra jamais, comme l’une des voix mar­quantes de son temps et por­teuse d’avenir.

René Lacôte pour­ra écrire : « Rous­selot est un des esprits les plus représen­tat­ifs de sa généra­tion. Cette langue nue qui veut avant tout demeur­er intel­li­gi­ble, prend un accent trag­ique pro­pre à attir­er l’attention autant sur le drame intérieur du poète que sur sa méth­ode d’écriture. »

Joë Bous­quet, le poète de La Con­nais­sance du soir, ajoute : « Il est l’un des seuls qui « tien­nent » devant cette stu­peur que j’entrevois pour le jour où les hommes s’éveilleront de l’hypnose intel­lectuelle et franchi­ront la par­tial­ité glaciale où, désor­mais et depuis longtemps, toute pen­sée s’étale. Rous­selot sait saisir l’acte dans la pen­sée qu’il exprime : il sait réduire la phrase à cette den­sité sim­ple qui fait d’elle un élé­ment de com­po­si­tion ; aus­si ce qu’il écrit respire et in peut le con­cevoir sans ruin­er son innocence. » 

En 1946, le poète prend une déci­sion impor­tante. Tout auréolé de son action de poète et de résis­tant (on lui décerne la médaille des Forces Français­es Libres, le titre de Cheva­lier de la Légion d’Honneur et celui d’Officier de l’Ordre Nation­al du Mérite ; il sera, plus tard, nom­mé Com­man­deur de l’ordre des Arts et des Let­tres), une voie royale lui est offerte et promise… qu’il refuse. Il démis­sionne de la Sûreté nationale et décide de vivre de sa plume.  Jean Rous­selot devient un poète globe-trot­ter, un infati­ga­ble défenseur de la poésie, des poètes, de la lib­erté, et l’un des plus grands cri­tiques de sa généra­tion. Il col­la­bore à de nom­breuses revues et jour­naux : Gavroche, Les Let­tres Français­es, Cal­iban, L’Écho d’Oran (jour­nal dans lequel il tient plusieurs chroniques, notam­ment sur la pein­ture, le théâtre, usant de pseu­do­nymes, tel celui de Jean-Louis Audin), Les Nou­velles Lit­téraires, où il tien­dra une fameuse rubrique de poésie pen­dant seize ans. Longtemps, Jean Rous­selot col­la­bore à un grand nom­bre de revues et de jour­naux, pour lesquels il écrit des arti­cles. Par­mi eux, on peut citer encore, La Nou­velle revue française, Le Temps des Hommes, Poésie présente, etc. Pour cer­tains quo­ti­di­ens et mag­a­zines (L’Aurore ou Le Parisien Libéré), il com­pose une trentaine de con­tes qui parais­sent pour la pre­mière fois dans les années 50.

De 1946 à 1973, Jean Rous­selot pub­lie trente pla­que­ttes ou vol­umes de poèmes, de La Mansarde (Jeanne Sain­tier, 1946), à Du même au même (Rougerie, 1973), en pas­sant par, Il n’y a pas d’exil (Seghers, 1954), Agré­ga­tion du temps (Seghers, 1957), Maille à par­tir (Seghers, 1961) ou Hors d’Eau (Cham­bel­land, 1968), alors qu’en 1974, paraît le chef‑d’œuvre (qui reprend le titre d’un recueil qui a paru en 1950, chez Rougerie) : Les Moyens d’existence,  Œuvre poé­tique 1934–1974 (Seghers) : C’était l’aurore et nous allions manger le pain — Qu’on fait la nuit comme l’amour et les poèmes. Sur la qua­trième de cou­ver­ture, Georges Mounin écrit notam­ment : « Cet homme ne s’est jamais endor­mi sur l’oreiller la lit­téra­ture. Plus le suc­cès se con­fir­mait, plus l’inquiétude gran­dis­sait. C’était une inquié­tude exacte, sans absol­u­ment rien de pathologique. »

Rous­selot donne égale­ment une ving­taine de pièces pour la radio, comme il traduit ou adapte de nom­breux poètes, du hon­grois au français (Gyu­la Illyès, Fer­enc Szen­ta, Atti­la Jozsef, Imre Madach, Sán­dor Pető­fi) ; de l’anglais au français (Shake­speare, Blake, Edgar Poe…), pour les besoins d’un livre ou d’une antholo­gie (con­sul­ter : Antholo­gie de la poésie hon­groise (réal­isé par son grand ami Ladis­las Gara), Antholo­gie de la poésie roumaine, Antholo­gie de la poésie polon­aise, Antholo­gie de la poésie por­tu­gaise, Antholo­gie de la poésie macé­doni­enne ou l’An­tholo­gie de la poésie slo­vaque, aux édi­tions du Seuil et chez divers éditeurs).

Une ving­taine d’essais de haute-voltige, sur : Max Jacob, Oscar Vladis­las de Lubicz Milosz, Paul Ver­laine, Tris­tan Cor­bière, Pierre Reverdy, Edgar Allan Poe, Blaise Cen­drars, Mau­rice Fombeure, Atti­la Jozsef, Orlan­do Pelayo, William Blake, Jean Cas­sou, Agrip­pa d’Aubigné, Vic­tor Hugo, Albert Ayguesparse…

Six recueils de con­tes et nou­velles, de Les Bal­lons (Feuil­lets de l’Ilot, 1938) à Dés­espérantes Hes­pérides (Amiot-Lenganey, 1993) ; huit ouvrages d’histoire, ou vies romancées, sur Diane de Poitiers, Chopin, La Fayette, Liszt, Gengis Khan, Wag­n­er, Berlioz et Vic­tor Hugo.

Onze romans, de La Proie et l’ombre (Laf­font, 1945), à Pen­sion de famille (Bel­fond, 1983), en pas­sant par Si tu veux voir les étoiles (Jul­liard, 1948), Une fleur de sang (Albin Michel, 1955), ou Un train en cache un autre (Albin Michel, 1964).

Dès les années 60, les œuvres de Rous­selot sont présentes dans la majorité des antholo­gies poé­tiques con­tem­po­raines, et sont traduites dans de nom­breuses langues. Plusieurs revues lui con­sacrent des numéros spé­ci­aux, comme Le Pont de l’Épée, dont le numéro dou­ble (n°43/43, 1970) — com­prenant égale­ment un recueil inédit de Jean, Des droits sur la Colchide -, coor­don­né par Jean Bre­ton et Guy Cham­bel­land, l’un des meilleurs de la série, fait tou­jours référence et de loin. Out­re, ce numéro excep­tion­nel du Pont de l’Épée ; de nom­breux mémoires de maîtrise en France et en Ital­ie, et des ouvrages sont con­sacrés à Jean Rous­selot, notam­ment le Jean Rous­selot d’André Maris­sel (Seghers, 1960). Sig­nalons aus­si le vol­ume des actes du « col­loque Jean Rous­selot / Roger Toulouse » (Press­es Uni­ver­si­taires d’Angers, en 1998).

Citoyen du monde, fidèle à ses engage­ments et à ses orig­ines, Rous­selot se querelle en 1956 avec Aragon et le Comité nation­al des écrivains : il dénonce l’imposture, les crimes stal­in­iens, et man­i­feste publique­ment sa sol­i­dar­ité avec les insurgés de Budapest où il séjour­nait, avec son ami le grand poète hon­grois Gyu­la Illyés, quelques jours avant l’éclatement de l’insurrection, le 23 octo­bre 1956.

Un an aupar­a­vant, en 1955, en par­tie grâce à l’argent du Prix Cino del Duca, qu’il reçut pour son œuvre romanesque, Rous­selot put faire con­stru­ire une mod­este mai­son (mais qui était sienne) à l’Étang-la-Ville (Yve­lines). Par­al­lèle­ment, il con­tin­ue à men­er de front son tra­vail de poète, d’écrivain, de cri­tique, et d’homme engagé, non au sein d’un par­ti quel­conque, mais dans la vie des hommes, ses sem­blables. Ce qui ne l’empêche pas, élu Prési­dent du Syn­di­cat des écrivains en 1958, d’épouser la révolte de Mai 68 et de se rap­procher du Par­ti social­iste unifié de Michel Rocard. C’est sur la liste du PSU, qu’il se présente, en vain, aux élec­tions munic­i­pales de 1971, à l’Étang-la-Ville. Mais Jean Rous­selot est avant tout poète. Il ne sera jamais un homme de par­ti, car il con­naît trop bien les risques encou­rus, tant pour l’individu que pour l’œuvre, par une posi­tion sans nuances. Il devient Prési­dent de la Société des gens de let­tres, en 1971. La créa­tion d’un régime de sécu­rité sociale pour les auteurs lui doit beaucoup.

En 1975, Jean Rous­selot par­ticipe à la refon­da­tion de l’Académie Mal­lar­mé (dis­soute en 1951), avec Denys-Paul Bouloc, Michel Manoll, Mar­cel Béalu, Edmond Humeau et Guille­vic, qui en devient le pre­mier Prési­dent. L’Académie Mal­lar­mé est à ses yeux, une défense et illus­tra­tion de la poésie, un rassem­ble­ment de poètes, certes, mais il y a aus­si le fait que la mémoire et l’œuvre du poète du coup de dé, l’in­ter­pel­lent de plus en plus.

Qua­torze recueils vont venir à la suite de l’anthologie de poèmes, Les Moyens d’existence (œuvre charnière), dont, Les Mys­tères d’Eleusis (Bel­fond, 1979), Où puisse encore tomber la pluie (Bel­fond, 1982), Pour ne pas oubli­er d’être (Bel­fond, 1990), Con­ju­gaisons con­ju­ra­tions (Sud-Poésie, 1990), Le Spec­ta­cle con­tin­ue (La Bar­tavelle, 1992), Un Clapo­tis de Sol­fatare (Rougerie, 1994) ou Sur Parole (La Bar­tavelle, 1995) :

 

Au risque de se pren­dre les pieds
Dans les siè­cles qui s’effilochent
On a du s’arracher à l’étreinte suppliante
Du seul néfli­er survivant
Pour vol­er au sec­ours d’imprudents soleils
Coincés dans les con­gères du souvenir
On est pour­tant traité comme
Le dernier Abencérage.

 

Un impor­tant choix de poèmes de Jean Rous­selot, paraît chez Rougerie en 1997, sous le titre, Poèmes choi­sis 1975–1996, nous don­nant un choix représen­tatif d’une œuvre poé­tique qui, tra­ver­sant son temps, en demeure égale­ment l’œil authen­tique. Des pros­es de Au Pro­pre, aux poèmes inédits de 1996, en pas­sant par Les Mys­tères d’Eleusis, ou par Pour ne pas oubli­er d’être, Rous­selot pour­suit son œuvre sans jamais déroger aux idées et aux valeurs de sa jeunesse. N’a‑t-il pas écrit (in Des Pier­res, 1979) : Écrire est une fonc­tion – Ni plus ni moins noble – Que pon­cer, découper, empil­er – Porter à boire aux moisson­neurs. Ain­si se trou­ve mise en évi­dence la néces­sité de rester homme par­mi les hommes, d’être un tra­vailleur par­mi les tra­vailleurs. Rous­selot, comme le souligne Jean Bouhi­er, ne sait pas men­tir, il se dépouille, il se livre, passe aux aveux, fait le don de soi au sens le plus frater­nel du mot, il se « restitue » quitte à con­fi­er qu’il lui faut « un poème pour ense­mencer l’amour ».

Ain­si, le pre­mier ver­sant de cette œuvre « bal­isé » par l’anthologie Les Moyens d’existence, chante l’homme dans sa vérité la plus nue et la plus hon­nête qui soit, son espoir, son désar­roi. Le sec­ond ver­sant que sym­bol­isent Poèmes choi­sis, sans renon­cer aux valeurs pro­fondes et au lyrisme du poète, s’oriente encore davan­tage vers une per­pétuelle et inces­sante recherche sur le lan­gage, la nature de l’opération métaphorique, qui est à la base de toute écri­t­ure. L’amour du lan­gage est très sen­si­ble au sein de cette œuvre, qui aura util­isé sans aucun préjugé, pra­tique­ment toutes les formes du vers, de la stro­phe et du poème : poème en prose, vers libre, hexa­s­yl­labes, hep­ta­syl­labes, octo­syl­labes, déca­syl­labes, alexan­drins, mar­quant une fidél­ité indélé­bile aux orig­ines ouvrières, à la terre, aux amis, à l’homme du quo­ti­di­en, l’homme tout court, sur lequel le poète aura tant misé avec ent­hou­si­asme, mal­gré de nom­breuses déceptions :

 

L’homme est der­rière son regard
Comme der­rière une vitrine
Lavée à grande eau par le jour.

 

Définis­sant son art poé­tique, Rous­selot écrit: « Le poème est une prise de con­science des pou­voirs du poète sur le temps, qu’il arrête, les sen­ti­ments qu’il rend à leur nature sub­lime, sur le réel, qu’il perce, trans­mue, déplace, pour en mon­tr­er l’essence et la péren­nité. » L’homme, comme le poète, est fait de paroles, de mou­ve­ments et d’engagements dans son temps, mais avec exi­gence : « Me paraît bon (en poésie) ce qui m’apporte une vision neuve du monde, ce qui « force » la mienne ou m’aide à la pré­cis­er. Encore faut-il qu’il y ait sûreté, beauté, sinon nou­veauté d’expression. Tout ce qui est « fab­riqué » me hérisse, même si c’est joli. Pas de bibelots chez moi. » Il ne fuit pas l’être, il ne cherche pas à le grandir, mais l’assume pleine­ment tel quel, avec ses lim­ites, ses erreurs, ses rêves et ses espoirs : J’ai vu des hommes par mil­liers comme des plantes. — Mais libres de mourir ou d’imposer au ciel — La fédéra­tion immense de leurs sèves.

Notre cher ami nous quit­ta dans sa qua­tre-vingt onz­ième année, le dimanche 23 mai 2004, dans la soirée. Il fut enter­ré le ven­dre­di 28 mai au matin, au cimetière du Pecq. Nous venions d’enterrer soix­ante-dix ans de poésie française; un homme d’action, qui a durable­ment mar­qué les per­son­nes qui l’ont approché. Malade et fatigué, Jean nous a quit­tés, usé par une vie dont il n’ignora pas le grince­ment des gonds au fond de la cour froide, ni l’acier, le cuiv­re et les marteaux, qui sont au-dedans de l’homme.

Avec plus de cent trente vol­umes (son œuvre s’étend sur près de soix­ante-dix ans), soit, pour être pré­cis : soix­ante-dix-huit livres et pla­que­ttes de poèmes, onze romans, cinq livres de con­tes et nou­velles, quinze biogra­phies, vingt-sept essais, treize livres traduits et/ou adap­tés de l’étranger et vingt pièces radio­phoniques; l’œuvre de Jean Rous­selot est mon­u­men­tale ; l’une des plus impor­tantes de notre temps, tant par sa qual­ité que par sa diver­sité ; elle est « imagée, rude, vir­ile, parsemée de mots du jour et de for­mules famil­ières comme pour ne pas trahir un vécu dif­fi­cile et com­bat­tif », comme l’a écrit Jean Breton. 

Rap­pelons enfin que du 18 sep­tem­bre au 18 octo­bre 2013, la Mai­son de la poésie de Saint-Quentin-en-Yve­lines, rend hom­mage à Jean Rous­selot — qui aurait eu cent ans le 27 octo­bre 2013 -, à tra­vers une expo­si­tion, qui per­met de (re)découvrir le par­cours sin­guli­er et l’écriture forte d’un poète qui n’a pas seule­ment été le témoin, mais surtout l’un des acteurs de son temps, ce dont ren­dent compte et sa vie et son œuvre, à tra­vers une foi inébran­lable en l’homme envers et con­tre tout. Rap­pelons qu’yvelinois d’adoption, le poitevin Jean Rous­selot vivait depuis 1955 à l’Étang-la-Ville, un petit vil­lage en bor­dure de la forêt de Marly ; rap­pelons égale­ment, qu’il avait inau­guré le 14 févri­er 2002, à Guyan­court (à quinze kilo­mètres de chez lui), cette Mai­son de la poésie, ain­si que, située juste à côté, la médiathèque qui porte son nom. Jean Rous­selot, comme l’a écrit Georges Mounin, « on ne se demande même pas si c’est un grand poète. Mais c’est un poète, et c’est quelqu’un. »

A l’occasion du cen­te­naire de la nais­sance de Jean Rous­selot, paraît au 4e trimestre 2013 : Christophe DAUPHIN : Jean Rous­selot, le poète qui n’a pas oublié d’être, édi­tions Rafael de Surtis.

Sur Jean Rous­selot, ce texte signé Paul Vermeulen :

https://www.recoursaupoeme.fr/chroniques/notes-pour-une-po%C3%A9sie-des-profondeurs‑8/paul-vermeulen

image_pdfimage_print