En 1823, déjà,  Hölder­lin affir­mait que la seule façon d’habiter le monde était de le faire poé­tique­ment… Pour­tant,  il ne subis­sait pas, à son époque,  les rav­ages qu’une société pro­duc­tiviste et matéri­al­iste allait faire dans les esprits des humains trans­for­més en hommes-machines et en con­som­ma­teurs,  jusqu’à l’aube du vingt et unième siè­cle. Et ne voilà-t-il pas qu’en 2014, Jacques de Coulon fait entr­er la poésie dans la caté­gorie des ouvrages de « développe­ment per­son­nel », cet avatar du «  New-âge » de notre monde « west­ern­isé », avec un ouvrage titré : Soyez poète de votre vie –Douze clés pour se réin­ven­ter grâce à la poésie-thérapie. La poésie-thérapie, rien que cela, il fal­lait oser et le pire était à crain­dre, même si on pense qu’un poème matin et soir est une bien meilleure pre­scrip­tion pour attein­dre la vie heureuse que tous les tranquillisants.

J’entends d’ici se récrier nom­bre de doctes éru­dits, d’ailleurs plus spé­cial­istes de poé­tique que de poésie, face à une telle «  vul­gar­i­sa­tion », eux qui dis­ser­tent à l’infini sur « la mort de la poésie »… Vul­gar­i­sa­tion qui serait, selon ces « savants » une quasi-profanation.

Et pour­tant, on pour­rait dire en pas­tichant Rim­baud : «  Elle est rev­enue !  Quoi ? La poésie ». Nous, lecteurs fer­vents de poésie con­tem­po­raine et obser­va­teurs assidus, nous le savions déjà, à voir la pro­fu­sion de la pro­duc­tion édi­to­ri­ale, plus encore le phénomène de migra­tion de l’écriture poé­tique vers «  la toile » ( entre 800 et 1200 poètes «  référencés » par la SGDL et la banque de don­nées du  Print­emps des poètes alors que des dizaines de mil­liers de per­son­nes, en France, s’essaient à écrire), et le suc­cès pop­u­laire des fes­ti­vals de poésie depuis le début des années 2000. 

Oui, la poésie est de retour et le fait qu’un tel ouvrage Soyez poète de votre vie soit pub­lié en est une des preuves. « La poésie au ser­vice du développe­ment per­son­nel : tel est le pro­pos de cet ouvrage ».

Voilà com­ment l’éditeur le présente :

« La poésie fait du bien. Elle libère les émo­tions de l’imaginaire, nous élève et nous viv­i­fie. Elle renou­velle le regard que nous por­tons sur nous-mêmes et sur notre envi­ron­nement. Elle nous aide à vivre mieux. Dans ce livre ini­ti­a­tique, agré­men­té de 24 exer­ci­ces poé­tiques à pra­ti­quer soi-même, Jacques de Coulon mon­tre com­ment la poésie nous aide à ressus­citer les scènes qui nous enchan­taient quand nous étions enfants, à faire le plein d’énergie, à créer notre légende per­son­nelle, ou tout sim­ple­ment à êtres enthousiastes… ».

«  Se met­tre en marche : l’accord du pèlerin avec l’Etoile, Renaître : l’accord de l’enfant avec l’Aurore, Se recen­tr­er : l’accord du Mon­tag­nard avec la source, Guérir, l’accord du Magi­cien avec le Soleil, S’élever : l’accord de l’Oiseau avec le Ciel, Dilater sa con­science : l’accord de l’Explorateur avec le Cos­mos, Méditer : l’accord du Voy­ant avec l’Arc-en-ciel, Retrou­ver l’Eternité : l’accord de l’Horloger avec l’Aiguille du Midi, Tiss­er son iden­tité : l’accord du Nav­i­ga­teur avec les Iles, Rêver sa vie, l’accord du Pêcheur avec la Per­le, Aimer, l’accord du Fils du Désert avec l’Oasis, Faire de sa vie un poème : l’accord du Bate­lier avec la Riv­ière », tels sont les titres de ce véri­ta­ble « pèleri­nage aux sources » en douze étapes auquel Jacques de Coulon invite et ini­tie le lecteur. Quel poète con­séquent pour­rait ne pas adhér­er à ce pro­gramme ? N’est-il pas vrai que « Tous les poètes ont voulu chang­er la vie. Sor­tir du con­formisme. Rad­i­cale­ment »? « Sans cette exi­gence de vie nou­velle, la poésie n’est qu’une guimauve pour chas­s­er l’ennui, ou, pire, un diver­tisse­ment pour intel­los de salon. Ou alors elle se perd dans des chapelles obscures pour ini­tiés d’un lan­gage abscons » écrit-il, posément.

Mieux encore, il invite à cette « con­ver­sion du regard » en employ­ant des mots sim­ples, quo­ti­di­ens et il ponctue ce véri­ta­ble « guide d’initiation au vivre poé­tique­ment » de vingt-qua­tre exer­ci­ces pra­tiques aus­si divers que « La marche ryth­mée sur un poème » ou « L’écriture automa­tique », car, il le rap­pelle : «  Comme l’écrit André Bre­ton dans son Man­i­feste du sur­réal­isme, la poésie implique une pra­tique, un tra­vail sur soi : Qu’on se donne seule­ment la peine de pra­ti­quer la poésie ! ».

Il a choisi pour étay­er son pro­pos de faire, fort oppor­tuné­ment, appel à des poèmes de Rim­baud, Ner­val, Baude­laire, que, loin de tout académisme, il sait ren­dre clairs. Enfin,  il en appelle aus­si, régulière­ment, à René Dau­mal et à André Bre­ton, vous admet­trez qu’il y a pire comme références.

On s’interroge, par­fois fort docte­ment, dans des col­lo­ques « savants », sur les méth­odes pour « enseign­er » ( ?!?!) ou don­ner le goût de la poésie. Gageons qu’avec ce « mod­este » ouvrage, Jacques de Coulon con­ver­ti­ra au vivre poé­tique­ment et à la lec­ture de la poésie plus d’adeptes que tous les col­lo­ques réu­nis. Et son édi­teur annonce déjà un sec­ond ouvrage : Exer­ci­ces pra­tiques de poésie-thérapie. Décidem­ment, cet auteur, qui asso­cie réflex­ion philosophique, pra­tique de la médi­ta­tion et développe­ment per­son­nel ne doute de rien.

Que la lec­ture de cet ouvrage ne vous empêche pas de lire le magis­tral ouvrage de la philosophe espag­nole Maria Zam­bra­no Philoso­phie et poésie, aux exigeantes édi­tions Cor­ti. Elle nous rap­pelle, avec force, vigueur et lim­pid­ité, que philoso­phie et poésie ne sont pas antin­o­miques mais com­plé­men­taires (« deux sœurs insé­para­bles »), filles de la pen­sée logique et analogique. Com­plé­men­taires et pas antin­o­miques. Comme la lec­ture de l’un de ces ouvrages n’est pas antin­o­mique avec la lec­ture de l’autre.

Que la poésie vous garde… 

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