Le Scalp en feu est une chronique irrégulière et inter­mit­tente, dont le seul sujet, en rai­son du manque et de l’urgence, est la poésie. Elle ouvre six fenêtres de tir sur le poète et son poème. Selon le temps, l’humeur, les néces­sités de l’instant ou du jour, son auteur, un cynique sans scrupules, s’engage à ouvrir à chaque fois toutes ces fenêtres ou quelques-unes seule­ment. M.H.

 

SOMMAIRE

  • UNE PENSÉE OU PLUSIEURS /  De la rime / de Théodore de Banville à Joë Bous­quet et à Louis Aragon. /  p. 2
  • LE POÈME /  Blas de OTERO  / p. 4
  • LE POÈTE /  Max PONS et le recueil « VERS LE SILENCE » /  p. 10
  • AUTRE(S) CHOSE(S)  /  p.20  / 2012-JUIN

     APHORISMES , SENTENCES ET PENSÉES D’AYMERIC BRUN (inédits)

  • FEU(X) SUR DAME POÉSIE  / le poète avec ou sans recueil / p.23

§ ANNE JULLIEN  /  FLOTTILLES  /  p.23

§  JANINE MODLINGER /  UNE LUMIÈRE À PEINE (Car­nets) / p.25

  • LIEUX DE POÉSIE /  5 Lieux, dont ceux de GUILLAUME SIAUDEAU et MARLÈNE TISSOT /  p.28

 

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UNE PENSÉE

ou plusieurs

C’est au print­emps 1941, dans le numéro 4 de la revue Poésie 41, des mois de mai et juin. Joë Bous­quet répond à André Gide qui com­mente cette déf­i­ni­tion de la poésie par Théodore de Banville : « … cette magie qui con­siste à éveiller des sen­sa­tions à l’aide d’une com­bi­nai­son de sons… cette sor­cel­lerie grâce à laque­lle des idées nous sont néces­saire­ment com­mu­niquées, d’une manière cer­taine, par des mots qui cepen­dant ne les expri­ment pas. »  Puis Louis Aragon répond à Joë Bousquet.[1]

J. Bous­quet : « … le mot qui, dans l’expression en prose est le spec­tre d’une pen­sée, devient en vers la sub­stance même de l’expression, où, par iri­sa­tion, la pen­sée appa­raît. Aus­si le poète fait-il la nuit dans les mots, comme le vit­ri­er, obscur­cis­sant les ver­res (où le noir pren­dra toutes les couleurs de l’arc, en atten­dant l’élaboration du vitrail.

Les mots ain­si réduits à leur être physique sont sus­cep­ti­bles d’arrange­ments admirables. Là est le secret de la poésie ; comme la nature semant les élé­ments où la vie choisira sa combinaison… 

[…] Je n’hésite pas à déclar­er que le lan­gage poé­tique n’est pas le frère de notre pen­sée, mais le frère de notre être : la pen­sée s’y reflète au lieu de s’y traduire. […] L’homme pour­rait donc dire de la poésie qu’il vocalise en elle son essence. Mais j’insiste surtout sur le fait que dans tout poème le mot est pre­mier à l’idée. »

Puis il est ques­tion de la rime. J. Bous­quet : « … on ne peut que souhaiter l’obligation de rimer. À chaque vers, la rime apporte un peu de nuit sur la pen­sée, elle empêche la rai­son de tir­er ses plans. Je l’appelle l’inter­locu­teur noc­turne. »

Louis Aragon, qui ne veut pas « bous­culer le sys­tème philosophique » « idéal­iste » sur lequel repose la réflex­ion de Joë Bous­quet, lui répond sur le point de la rime, venue selon lui jusqu’à nous du bas peu­ple de Rome et dans les bagages des légion­naires : « Avec autrement d’élévation dans la pen­sée, vous reprenez pour­tant la con­cep­tion de la rime qu’accuse Ver­laine, et qui est celle qui l’oppose à la rai­son. Pour moi (et d’autres sans doute), la rime à chaque vers apporte un peu de jour, et non de nuit, sur la pen­sée : elle trace des chemins entre les mots, elle lie, elle asso­cie les mots d’une façon inde­struc­tible, fait apercevoir entre eux une néces­sité qui, loin de met­tre la rai­son en déroute, donne à l’esprit un plaisir, une sat­is­fac­tion entière­ment raisonnable. Enten­dons-nous : je par­le de la rime digne de ce nom, qui est à chaque fois réso­lu­tion d’accord, décou­verte, et non pas de ce mis­érable écho mécanique, qui n’est qu’une cheville sonore, et qui n’a pas plus de droit en poésie que le mir­li­ton n’est poète, que n’est le faiseur de bouts-rimés. » (Louis Aragon)

Out­re que ces cita­tions tron­quent le développe­ment des deux pen­sées de Bous­quet et d’Aragon, elles nég­li­gent l’ouverture qu’elles pro­posent sur la fonc­tion humaine de la poésie, sa néces­sité pri­mor­diale. Néan­moins, il me paraît tout aus­si néces­saire d’interroger la poésie dans ses formes qui, tenues sou­vent pour aller de soi ou d’elles-mêmes (il est une poésie régulière­ment métrique et rimée, une autre dite du vers libre et non rimée), ne sont ni dis­cutées ni envis­agées dans leur pro­fondeurs sig­nifi­antes, leurs con­séquences. J’admire donc tout autant, ici, chez Bous­quet, l’obstacle obscur­cis­sant que met la rime à la rai­son raison­nante dans le poème, et que la pen­sée y pénètre « par iri­sa­tion », et que notre « être » y ait sa part frater­nelle essen­tielle, que chez Aragon la poésie ne se réduise pas à une sorte de dérai­son, la rime, la belle rime, la rime néces­saire – j’imagine ! — se chargeant de met­tre le bon ordre de la décou­verte dans les vers qui ne sont pas de mir­li­ton. Je ne suis pas per­suadé que d’Aragon à Bous­quet il y ait une si franche oppo­si­tion quand la nuit de l’un nous apporte le mys­tère humain, quand le jour de l’autre est le lien qui nous donne le sens bril­lant d’autres feux, mieux acces­si­bles soudain parce qu’il nous sem­ble les décou­vrir à tra­vers la magie du verbe poétique.

J’ai un faible pour cette rime qui « empêche la rai­son de tir­er ses plans », pour cet « inter­locu­teur noc­turne » : je crois bien qu’il apporte cette vibra­tion, ce trem­ble­ment qui fait vac­iller un instant la pen­sée et la porte plus loin. — M.H.

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LE POÈME

Prenons-le (prenons-les, j’en don­nerai trois) chez Blas de Otero, cet « ange cru­elle­ment humain », poète espag­nol né en 1916, oublié ou presque aujourd’hui, bien qu’il n’eût me sem­ble-t-il que d’honorables fréquen­ta­tions intel­lectuelles : il m’est pénible d’écrire la phrase que je viens d’écrire, mais je ne m’explique pas cette dis­pari­tion autrement que par la stu­pid­ité des aveu­gle­ments idéologiques de toutes sortes qui n’ont jamais cessé d’exercer leurs pou­voirs de gommes mécaniques, ou alors par ce désaveu de la poésie et de toute cul­ture qui, dans le monde englué dans les lugubres pan­tomimes de l’argent où nous patau­geons depuis des décen­nies con­stitue un véri­ta­ble ordre nou­veau on ne peut plus fas­ciste, dom­i­na­teur et esclavagiste. Blas de Otero fut abon­dam­ment lu et com­men­té, traduit dans divers­es langues, et il reste le poète de l’angoisse d’être homme, cette sorte de sup­plice, où comme dans l’arène, entr­er en lice, vivre et mourir par­ticipe de la même cérémonie.

Les poèmes ici cités et traduits sont extraits des recueils ÀNGEL FIERAMENTE HUMANO et REDOBLE DE CONCIENCIA, pub­liés par la Edi­to­r­i­al Losa­da, à Buenos Aires, dans son édi­tion de 1960.

 

Un mun­do como un árbol desgajado.
Una gen­eración desarraigada.
Unos hom­bres sin más des­ti­no que
apun­ta­lar las ruinas.

Un monde comme un arbre arraché.
Une généra­tion déracinée.
Des hommes sans autre des­tin que
d’étayer les ruines.

Rompe el mar
en el mar, como un himen inmenso,
mecen los árboles el silen­cio verde,
las estrel­las crepi­tan, yo las oigo.

La mer se rue
Dans la mer, comme un hymen immense,
les arbres bercent le silence vert,
les étoiles crépi­tent, je les entends.

Sólo el hom­bre está solo.
Es que se sabe­vi­vo y mortal.
Es que se siente huir
ese río del tiem­po hacia la muerte -.

 

Seul l’homme est seul. Car il se sait
vivant et mor­tel. Car il se sent en fuite
ce fleuve du temps roulant vers la mort -.

 

Es que quiere quedar. Seguir siguiendo,
subir, a con­tra muerte, has­ta lo eterno.
Le da miedo mirar. Cier­ra los ojos
para dormir el sueño de los vivos.

Car il veut rester. Con­tin­uer de continuer,
mon­ter, à con­tre-mort, jusqu’à l’éternité.
Il a peur de regarder. Il ferme les yeux
pour dormir du som­meil des vivants.

 

Pero la muerte, des­de den­tro, ve.
Pero la muerte, des­de den­tro, vela.
Pero la muerte, des­de den­tro, mata.

Mais la mort, de l’intérieur, regarde.
Mais la mort, de l’intérieur, regarde-la.
Mais la mort, de l’intérieur, tue.

 

… El mar  — la mar -, como un himen inmenso,
los árboles movien­do el verde aire,
la nieve en lla­mas de la luz en vilo…

… La mer  — la mer –(*), comme un hymen immense,
les arbres remuant l’air vert,
la neige en flammes de la lumière en suspens…

 

(*) Le français n’a pas cette pos­si­bil­ité de dire « la mer » au mas­culin comme au féminin. Au mas­culin ce serait la mer quo­ti­di­enne, au féminin la mer selon les poètes. Les dic­tio­n­naires le prétendent.

 

-*-

 

VÉRTIGO

VERTIGE

Des­o­lación y vér­ti­go se juntan.
                    Déso­la­tion et ver­tige s’unissent.
Parece que nos vamos a caer.
                    On dirait que nous allons tomber,
que nos ahogan por den­tro. Nos sentimos
                    Qu’on nous étouffe par dedans. Nous nous sentons
solos, y nues­tra som­bra en la pared
                    Seuls, et notre ombre sur le mur
no es nues­tra, es una som­bra que no sabe,
                    n’est pas la nôtre, c’est une ombre qui ne sait pas,
que no puede acor­darse de quién es.
                    qui ne peut se rap­pel­er à qui elle appartient.
Des­o­lación y vér­ti­go se agolpan
                    Déso­la­tion et ver­tige se rassemblent
en el pecho, se escur­ren como un pez,
                    dans notre poitrine, s’échappent comme un poisson,
parece que pati­na nues­tra sangre,
                    on dirait que notre sang dérape,
sen­ti­mos que vac­ilan nue­stros pies.
                    nous sen­tons que nos pieds vacillent.

El aire viene lleno de recuerdos
                    Le vent souf­fle empli de souvenirs
y nos duele en el alma su vaivén,
                    et au fond de l’âme son va-et-vient nous fait mal,
divisamos azules mares, dentro
                    nous apercevons des mers bleues, dans
de la niebla infini­ta del ayer.
                    l’infini brouil­lard de l’hier.
Des­o­lación y vér­ti­go se meten
                    Déso­la­tion et ver­tige se fourrent
por los ojos y no nos dejan ver.
                    dans nos yeux et nous empêchent de voir.
Un pañue­lo en el vien­to anda perdido,
                    Un mou­choir dans le vent vole égaré,
Que viene y va, como un tro­zo de papel,
                    qui vient et s’en va, comme un bout de papier,
y lo lavan tus manos con las lágrimas
                    et tes mains le lavent avec les larmes
que nue­stros ojos han ver­tido en él.
                    que nos yeux y ont versé.

 

Des­o­lación y vér­ti­go se juntan.
                    Déso­la­tion et ver­tige s’unissent.
Parece que nos vamos a caer,
                    On dirait que nous allons tomber,
que nos ahogan por den­tro. Nos quedamos
                    qu’on nous étouffe par dedans. Nous restons
miran­do fija­mente a la pared,
                    à regarder fix­e­ment le mur,
no podemos llo­rar y se nos queda
                    pleur­er nous ne pou­vons et nous restent
el llan­to amon­ton­a­do, de través,
                    les larmes amon­celées, en travers,
nos tapamos los ojos con las manos,
                    nous nous bou­chons les yeux de nos mains,
apre­ta­mos los dedos en la sien,
                    nous pres­sons nos doigts sur nos tempes,
sen­ti­mos que nos lla­man des­de lejos,
                    nous enten­dons qu’on nous appelle au loin,
no sabe­mos de dónde, para qué…
                    nous ne savons d’où, ni pourquoi…

 

 

-*-

 

Es a la inmen­sa may­oría, fronda
de tur­bias frentes y sufri­entes pechos,
a los que luchan con­tra Dios, deshechos
de un solo golpe en su tiniebla honda.

Ceci à l’immense majorité, frondaison
de fronts trou­blés et de cœurs souffrants,
à ceux qui lut­tent con­tre Dieu, défaits
d’un seul coup en leur pro­fonde ténèbre.

A ti, y a ti, tapia redonda
de un sol con sed, faméli­cos barbechos,
a todos, oh sí, a todos van, derechos,
estos poe­mas hechos carne y ronda.

À toi, et à toi, mur rond
D’un soleil assoif­fé, jachères faméliques,
à tous, oh oui, ils vont à tous, et tout droit,
ces poèmes faits chairs et chansons.

Oíd­los cual el mar. Muer­den la mano
De quien la pasa por su hirviente lomo.
Restal­la al mar­gen su bra­mar cercano

Enten­dez-les pareils à la mer. Ils mor­dent la main
de qui la passe sur leur échine bouillante.
Éclate à l’écart leur mugisse­ment tout proche

Y se der­rum­ban como un mar de plomo.
¡ Ay, ese ángel fiera­mente humano
corre a sal­varos, y no sabe cómo !

Et ils s’écroulent comme une mer de plomb.
Hélas, cet ange cru­elle­ment humain
accourt pour vous sauver, et il ne sait comment !

 

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LE POÈTE

C’est Max Pons.

Il sert la poésie, les poètes, les gens de l’être depuis qu’il est au monde ou presque. Il est amoureux des mots et des pier­res depuis qu’il sait les lire. La Bar­ba­cane, revue et mai­son d’édition qu’il a fondées, ont avec con­stance été au ser­vice de la poésie. De grands noms s’y côtoient avec d’autres moins grands… trait de vérité, le sens et la beauté du monde s’y éclairent ensem­ble de tous leurs feux. Max Pons, à l’occasion de la pub­li­ca­tion de VERS LE SILENCE, son « Itinéraire poé­tique » et son plus récent recueil, a reçu de la Société des Gens de Let­tres le Grand prix de Poésie pour l’ensemble de son œuvre. Ce n’est que mérité pour un homme dont la valeur unique se recon­naît dans ses mots comme dans cette joie qui l’habite. Quoiqu’il puisse con­naître les moments qui acca­blent, il a cette force immuable des pier­res, de la langue et du temps. Force de l’amour aus­si, qui embrasse, au-delà des lit­téra­tures, la vie et tous les êtres dont un cœur généreux ne peut que s’éprendre. C’est pour cela que Max nous émeut aus­si et nous est l’exemple même de la fidél­ité. J’ai eu la chance d’être choisi pour pré­fac­er VERS LE SILENCE. Ce fut un plaisir autant qu’un hon­neur. Voici cette pré­face. Elle sera suiv­ie de quelques poèmes de Max et de la liste de ses publications. 

 

Pré­face

 

« Je suis d’aujourd’hui et de naguère, dit-il. Mais
j’ai quelque chose en moi qui est de demain, et
d’après-demain, et de plus tard. »

Frédéric Niet­zsche, Ain­si par­lait Zarathoustra

 

 

Marcher en lucid­ité vers le silence est sans doute, avec les mots et le rire, l’un des apanages de l’homme. Cer­tains y ajoutent la rai­son, dont pour­tant les traces ont de tout temps été imper­cep­ti­bles chez les bipèdes. Le poète, que d’aucuns qual­i­fient aisé­ment de fou, paraît devoir s’en pass­er sans trop de dom­mages, s’étant de nais­sance  _  je veux dire dès l’éveil de l’esprit _ con­sacré à l’incalculable, à l’incommensurable. Rentes et rentabil­ité ne sont pas de son ressort, d’où l’accusation dérisoire. Quand il bâtit, il prévoit aus­si bien la demeure que la ruine de la demeure. Il pour­suit son chemin et ne s’afflige pas de l’imparable. Il sait les cycles, les péri­odes, les tré­sors invis­i­bles, les vraies pau­vretés. Dis­ons : la voilà sa raison.

 Vient un temps où il faut se retourn­er sur l’itinéraire, en pren­dre la dis­tance et le sens. Après ce seront des pas encore, vers l’ailleurs, et c’est dans la cer­ti­tude d’avoir « fait » pour le mieux que l’on peut fix­er cet hori­zon du dernier inconnu :

Mon regard m’a construit,
La parole bâti,

Ce que j’ai fait m’a fait.
Dans le bon­heur des mots

Je suis venu au monde
Pour m’unir au mystère,
Acqui­escer au silence. 

 

Max Pons se cite en ouver­ture. Ce n’est pas suff­i­sance, mais volon­té d’énoncer le cap : il ne s’agit ici que de con­stru­ire et bâtir, du faire en somme  — le poieîn des Grecs – inau­gu­rant poésie et poème ! Parole ini­tiale d’ouverture face à l’étrangeté du monde. La trace vis­i­ble et audi­ble ! L’unique sens pos­si­ble et les véri­ta­bles richess­es _ l’acquiescement dans le choix des actes _   dont on trans­met­tra l’héritage sans avoir à en rou­gir : on n’a rien volé à quiconque, on n’a fait que les saisir là où on était seul d’abord à les apercevoir, et on les a légués sans même exiger un mer­ci. C’est ici que l’on édi­fiera le mieux une vie et son chant. Toute bâtis­sure   - qu’on par­donne le néol­o­gisme —  sera réplique aux innom­brables flétris­sures qui noir­cis­sent le tableau du monde. Il y fau­dra donc des pier­res, et de toutes sortes.

C’est à Rabelais, je crois, que Max Pons emprunte celles, vives, qui fondent ce recueil qu’il veut tes­ta­men­taire. Nous avons sou­venir de cette repar­tie de Panurge à Pan­ta­gru­el, lors de leur échange au sujet des jeunes mar­iés que cer­taines lois dis­pensent d’aller à la guerre [2] :

« […] les beaulx bastis­seurs nou­veaulx de pier­res mortes ne sont escriptz en mon livre de vie. Je ne bastis que pier­res vives : ce sont hommes. »

Oui, tout est ver­sé à la vie et aux hommes, et à leur seul crédit. Les ban­ques ne sont pas encore inven­tées, tout part d’un élan naturel. Aucune retenue, donc, dans le geste et dans le mot.

Nous savons que Max Pons aime « les pier­res et les hommes » à la folie  — c’est son hubris, sa démesure intime -, au point d’avoir été, des années durant, et de rester en son cœur, le « gar­di­en » de Bonaguil, ce puis­sant château du Lot-et-Garonne (en fut-il le gar­di­en sour­cilleux ? Le drag­on débon­naire ?) [3], et d’intituler sa revue La Bar­ba­cane, la dédi­ant elle aus­si aux pier­res et aux hommes.

Si l’on veut bien s’y arrêter un instant, cette pen­sée de la pierre est plus qu’essentielle, elle est pre­mière ! Tout a com­mencé, du moins ici-bas, en ce recoin de l’univers, par le feu et le mag­ma orig­inel : de ces ges­ta­tions incen­di­aires, de ces com­pres­sions titanesque sont nées les cristalli­sa­tions, les ser­tis­sages de pier­reries célestes, les schistes et les silex, les gran­ites et les cal­caires, la houille et le sable, l’argile et le dia­mant, la mer et les nuages…

La pluie te rend la mémoire
De l’eau première
Et le soleil te redonne

À l’enfance du feu Le proces­sus vital s’engage alors, et, par la médi­a­tion de la Pierre de caresse / Pierre mater­nelle…  […] Cette car­rière / devient chair… Puis nais­sent dans un puis­sant mod­e­lage : archi­tec­ture et demeure, et seuil, voûte, fenêtre, porte, cin­tre, pas­sage, vis de l’escalier… où s’abritent chairs, rêves, avec aus­si la beauté et déjà tout un passé de femmes… Il n’est pas indif­férent que Max Pons grave ici cette dis­crète allu­sion à la fine amor, à la cour­toisie des âges per­dus  — à ce « passé de femmes [vril­lé] en nous », au chant et à l’âme du trou­ba­dour. Il ancre l’esquif de son exis­tence dans les murailles des châteaux, à leurs tours d’angle et de flanc, dans ces images fon­da­tri­ces qui l’ont peu­plé et « bâti » entre instant et éter­nité. Bonaguil, cer­taine­ment, et quelques hautes fig­ures minérales dressées sur l’horizon des vieilles ter­res  — « poignante con­ju­gai­son de l’horizontalité et de la ver­ti­cal­ité »  -,  sont à l’origine de ses songes et visions. De sorte que s’il est quelque nos­tal­gie au Chant des ruines, il n’est pas de tristesse à leur fatal­ité. Les ruines tien­nent leur essence de la marche et du regard qui les organ­isent, les dis­tribuent, les réalig­nent dans le temps ren­ver­sé. Les herbes mêmes, si frag­iles, dis­ent la vie encore, la vie mal­gré les éro­sions, les éboulements :

L’herbe, l’herbe partout dans ce chaos pierreux,
c’est sa manière à la grande ruine de porter ses cheveux blancs.

Et c’est le pou­voir du poète de lire sur les por­tu­lans les lieux où sont enfouis ces tré­sors dont je par­lais tout à l’heure, les bon­heurs, les beautés, l’indomptable per­ma­nence des choses qui ne font que mimer leur éloignement :

Quelle est donc cette force sauvage qui habite 
La somptueuse gésine minérale, dans la quié­tude des mousses. 

Dès lors, il n’est plus de ces con­tra­dic­tions, fussent-elles soulignées, voire démon­trées par les obser­va­tions de la sci­ence et les rati­o­ci­na­tions de la physique  (m’ont tou­jours paru admirables et éton­nantes quoique super­fi­cielles, ces oppo­si­tions entre roc des collines et eaux des sources et des riv­ières, par­ties « molles » et par­ties « dures » des corps qu’irrigue le sang…) qui n’ont pour objet que de faciliter les descrip­tions, de don­ner un sem­blant de sens aux non-sens et aux hasards. Tout dérive de tout, tout s’inclut dans tout : il n’est plus d’impossible à l’esprit qui veut vivre. Sur­vivre n’est pas encore tout à fait de sai­son ! De tou­jours le poète sait ces choses. L’on va et c’est tout. Il n’est que voy­ages et traversées :

Savoir que la chair est cette pâte à pétrir 
Que le sang à fleur de peau rosit la ten­dresse du monde

Le mys­tère du sexe
Fait éclater le temps

 Gai savoir que celui-là, et illim­ité, nous pou­vons le penser, car il va « au plus pro­fond du décou­vrir… dans la soyeuse grotte… », menant au « ver­tige tout puis­sant / de l’insaisissable. » L’invention du sacré est à hau­teur d’homme, car il ne se cache pas, mais ne fait que se mas­quer dans ce « désas­tre de matière », ces minéral­ités, dans le leurre de « l’insecte pétri­fié » :

Inven­ter la survie 
Débus­quer le mouvant 
Jusqu’à l’immobilité lucide 
Au seuil du sanctuaire 

 

La vie ne cesse pas car la mort est niée rad­i­cale­ment : le mou­vant en témoigne, la lucid­ité la garan­tit. Dès lors la chair, l’eau, la caresse, les bais­ers se gor­gent de mots, à moins que ce ne soit l’inverse. Les corps ont la parole. Ils l’ont tou­jours eue, et même s’ils se livrent peu à peu au silence ils se réfractent dans la lumière de la mémoire ; ils ne peu­vent donc périr. Cela s’appelle physique du poétique :

Et tes yeux s’ouvriront, sous leurs paupières closes,
Aux sour­des rumeurs de la vie.

Alors je me tairai…
Et ton corps devien­dra multiple.

Dans ce chant, comme d’un chœur, du Corps mul­ti­ple, Ève renaît car elle est « la pre­mière et la dernière », elle n’est appelée à aucune dis­pari­tion : c’est la force du vivant que  de « reformer » sans cesse la vis­i­ble, la sen­si­ble, l’indispensable forme du monde. L’amour est en per­ma­nente ges­ta­tion, algues et mouss­es n’ont ni com­mence­ment ni fin, le poète s’est fait démi­urge parce qu’il tient sa puis­sance des formes sen­si­bles du monde dans lesquelles il ne cesse de vibrer:

Je suis du règne de la chair
J’ai faim de viande rouge
Mais aus­si de froment
De forêt et de ciel

Au terme de son Chant pro­fond  (si juste­ment emprun­té à l’Espagne, à Fed­eri­co Gar­cía Lor­ca  - « cante hon­do » -, le poète que l’on assas­si­na sans pou­voir le faire mourir, parce que de tou­jours il appar­tient au règne de la vie : chair, viande, fro­ment, forêt, ciel !), Max Pons peut annon­cer à la Total­ité : « Je te bâtis ». C’est ain­si que l’on hon­ore la page de sa pro­pre vie et que l’on use des mots pour dire quelque chose plutôt que rien, ce rien étant de nos jours la pre­mière des fonc­tions que leur attribue une société qui a décidé de ne plus par­ler mais seule­ment de communiquer.

Les mots !  Les mots !

Max Pons, se libérant des pesan­teurs ordi­naires, dans le même élan libère ses mots des car­cans des pros­es bien­séantes et chargées de sens pra­tique. Les gains ne sont pas moné­taires, mais d’esprit et de pures émo­tions. Avec eux il « refait le monde / À la mesure d’une fumée ». Lucid­ité n’est pas désen­chante­ment, bien au con­traire : d’un côté les deuils inélucta­bles, ce « gel du sou­venir », de l’autre les visions pais­i­bles, l’âtre et ses brais­es, la pen­sée des corps frag­iles et le dépouille­ment des ris­i­bles (et vaines) ambi­tions : « Faire trois petits tours, / Pour le sou­venir // Et puis, laiss­er faire / La mémoire des âges. »

De ces sagess­es de chaque jour, qui ne tien­nent pas de l’ataraxie épi­curi­enne ni des détache­ments stoï­ciens, naît cette énergie qui ouvre les champs de la fan­taisie et du songe. Cela aurait à voir avec l’éternel retour peut-être, avec ce mou­ve­ment créa­teur per­pétuel que rien ne peut ni ne doit figer, mais peut-être plus encore avec cette essen­tielle et jeune intu­ition nietzschéenne :

 

« Tout luit, tout est neuf, très neuf même.
Midi dort sur l’espace et le temps :
Seul ton œil, énorme,
Me regarde, ô Infini ! »

 

Les coqs désor­mais per­dent l’esprit de clocher, le théâtre de la Vie rou­vre ses portes sur les sou­venirs heureux, ceux des gares, par exem­ple, où cher­chaient à se combler les anci­ennes soli­tudes amoureuses, et « C’était d’une beauté /  Où tout nais­sait encore. »

Le pro­pre du poète est, non pas de refuser ce qui vient  — le « Jour pâle, gris, indé­cis : / Jour mort de notre vie. » -, ni même de reculer les échéances, mais de ne jamais douter de la puis­sance de vie qui émane de lui et du monde. La nais­sance est sa spé­cial­ité, il accouche le monde comme Socrate accouchait les esprits. S’étant mis à table, ayant « [mangé] le soleil », il renaît de ses cen­dres et entraîne tout avec lui, autour de lui. Les vrais objets sen­si­bles, les êtres sont ain­si. Dans la vision poé­tique ils dessi­nent leurs vis­ages. Il n’est pas de triste fin, d’irrémédiable perte. Il n’est que nais­sances et renais­sances. Cette con­fi­ance belle et généreuse nous est offerte. De ce cadeau témoignent ces paroles admirables :

 

C’est le début d’un monde.
Réson­nent les trois coups.
Le vide s’organise.
Une forme l’habite.

…………………..

L’identité acquise
Il sera donc cet homme
Qui s’acheminera
Jusqu’au bout de son temps.
Vers une plus grande naissance.

 

M.H. Octobre 2010

 

TROIS POÈMES DE MAX PONS

(extraits de « VERS LE SILENCE » / Éd. de La Bar­ba­cane)

 

Pierre de caresse
Pierre maternelle
Baignée de patience aquatique
Pois­son immobile
La nage des eaux t’a modelé.

Tu ouvres tes yeux de taupe secondaire
Quand le car­ri­er jette à la lumière
Tes cents mil­lions d’années
De reclus
La pluie te rend la mémoire
De l’eau première
Et le soleil te redonne
À l’enfance du feu

Le roc s’est ouvert
Cette carrière
Devient chair
Ici
On se perpétue

Roc bleui à force
De regarder le ciel
Rôti à coups de grand soleil
Tu portes ta charge d’homme
Une tour éblouie du blanc
De la carrière.

                         […]

 

ÈVE

Toi la pre­mière et la dernière
Je te recom­mence patiemment
Toi per­due et retrouvée
Détru­ite et reformée
Tou­jours la même

Me voici
Lucide et heureux
Devant dette glèbe
Cette argile fertile
Te pétrir
Te lisser
Te polir
Te recon­naître enfin
Te finir

Me voici
Devant ce val déli­cate­ment veiné
À la nais­sance d’un fleuve d’ombre et de feu
Estu­aire au limon de vie
Devant ces meules lour­des de louanges
Cette fête de courbes
Ce lan­goureux ballet
Paysage pour la grande faim
Du dehors et du dedans

Me voici
Après une longue errance
Aux con­fins de toute une flore
D’algues et de mousses
Depuis tou­jours je te connais
Inven­tée avant de te toucher
Faite pour que je te révèle
Ce que tu es

 

*

 

Ô le grand gel du souvenir.
Cette eau glacée à la margelle
De la vie exigeante,
On en croy­ait tout connaître.
Pour­tant, chaque année apportait
Son lot de nou­veaux deuils.
Cru­auté du grand âge,
Tous ces amis perdus,
Leur sur­vivre est blessure.
Inéluctable marche
D’ultime vérité.

________________________.

 

Max Pons a écrit :

Bonaguil, château de rêve (Pri­vat) / Évo­ca­tion du vieux Fumel (Pri­vat) / Cal­caire, poème (Rougerie) / Vie et légende d’un grand château fort (La Bar­ba­cane) / Écri­t­ure des pier­res, le château des mots (La Bar­ba­cane) / Guide des châteaux de France  — Dor­dogne et Lot (Her­mé) / Poésie de Bre­tagne, aujourd’hui – Antholo­gie (La Bar­ba­cane) / À pro­pos de Douarnenez, réc­it (La Bar­ba­cane) / Vis­iter Bonaguil (Édi­tions Sud-Ouest) / Les Armures du silence, poème (La Porte) / Voy­age en chair, poème (La Bar­ba­cane) / Regards sur Bonaguil, étude (La Barbacane)/ Le poète Ray­mond Datheil, un grand mécon­nu (La Bar­ba­cane) / Mont­cabri­er, une bastide en Quer­cy (La Bar­ba­cane)

 

_____________________________________________________.    

 

AUTRE(s) CHOSE(s)

 

2012 — Juin mar­que, comme un principe de proche sor­tie des class­es, l’ouverture de l’été. Juin est mi-figue mi-raisin, et le temps aléa­toire ne fait rien pour arranger les choses. Cela sent les élec­tions, la farce, la sor­tie des affaires, l’arrivée aux affaires, les men­songes des Rodomonts, les sourires aux pho­tographes à la mon­tée et à la descente des march­es des palais de l’État, la petitesse des per­son­nels poli­tiques… cela pue, l’été est mal par­ti et ne trou­vez-vous pas que c’est là une drôle de poésie ?

*

APHORISMES

SENTENCES & PENSÉES D’AYMERIC BRUN

I — Inédits / jan­vi­er-févri­er-mars 2001 (choix)

 

4 jan­vi­er. – Pourquoi désiré-je tant décrire l’homme que je suis ? Ne me con­nais-je pas ? Serait-ce parce que j’ai le sen­ti­ment qu’une par­tie de moi-même m’échappe ?

7 jan­vi­er. – Que sais-je ? Que puis-je décou­vrir ? Que suis-je con­damné à tou­jours ignorer ?

8 jan­vi­er. – Je ne vois partout que chaos et confusion.

11 jan­vi­er. – J’écris ordi­naire­ment sans but, et comme au hasard.

12 jan­vi­er. – Pourquoi devrais-je m’attacher à une opin­ion, plutôt qu’à une autre ?

15 jan­vi­er. – Quel homme en lui-même ne porte plusieurs hommes ?

19 jan­vi­er. – Blot­ti en moi-même, je pense admirablement.

22 jan­vi­er. – Comme il y a peu de pro­por­tion entre l’univers et moi-même !

26 jan­vi­er. – J’aimais tant lire, enfant, que tous les plaisirs me parais­saient fades auprès de la félic­ité que je goû­tais en tour­nant les pages d’un livre.

30 jan­vi­er. – Je m’abandonne au monde tout en aspi­rant à y renoncer.

31 jan­vi­er. – Il faut sans cesse écrire, afin de ne rien perdre.

3 févri­er. – Je n’ai con­science que d’un tout petit nom­bre de mes actions, que de quelques opéra­tions de mon esprit.

6 févri­er. – Je ressens une félic­ité déli­cieuse chaque fois que je me retire en moi-même.

8 févri­er. – Je songe à un roman qui pour­rait être le roman de l’ennui.

10 févri­er. – Jésus s’afflige de la grandeur des tour­ments que souf­frent les hommes.

12 févri­er. – La puis­sance qui a conçu l’univers désire que toutes ses créa­tures se reproduisent.

13 févri­er. – Je ne vois rien sur quoi je puisse me fonder.

16 févri­er. – Je crains par­fois de me rencontrer.

19 févri­er. – Un Dieu a‑t-il voulu que je sois ?

20 févri­er. – Les choses que je vois me parais­sent si peu réelles que je doute par­fois d’être au monde.

24 févri­er. – On ne s’éloigne de Dieu qu’insensiblement, et avec volupté.

25 févri­er. – Pourquoi la puis­sance qui a for­mé le monde ne se décou­vre-t-elle pas à nous ? – Peut-être le fait-elle, mais ne l’apercevons-nous pas.

3 mars. – Une éter­nité de délices ne saurait racheter un seul moment d’indicible souf­france, un seul instant de détresse absolue.

5 mars. – A quoi les hommes servent-ils ?

8 mars. – Dieu ne se décou­vre plus aux hommes, parce que l’excès de leurs crimes les en rend indignes.

13 mars. – J’aime rêver que je me promène dans des jardins magnifiques.

15 mars. – Rien ne me sem­ble plus extra­or­di­naire que je puisse penser que Dieu existe et ne pas avoir la foi.

16 mars. – Je n’ai jamais eu le sen­ti­ment d’être observé par les morts.

19 mars. – J’ignore qui par­le en moi-même. (Je ne sais pourquoi cette pen­sée me tra­verse l’esprit, ni quelle puis­sance ou quel être me l’inspire.)

20 mars. – Je désire par­fois des choses dont la pos­ses­sion me serait insupportable.

22 mars. – Je par­cours les abîmes qui entourent le monde.

26 mars. – Je vois dans la nature des imper­fec­tions qui m’étonnent.

27 mars. – L’homme peut nier la puis­sance qui l’a créé.

29 mars. – Il est juste que Dieu ne se décou­vre plus aux hommes, tant leur cor­rup­tion est grande.

31 mars. – Il m’arrive par­fois de penser que, tan­dis que je crois lire dans ma cham­bre, je me promène peut-être dans une forêt mer­veilleuse­ment belle.

Aymer­ic BRUN

 

Un choix implique une inter­ven­tion, et même une sorte de cen­sure dont la seule excuse ici serait le trop-plein, l’extrême abon­dance. Ce n’est pas cela : d’abord la réflex­ion d’Aymeric Brun me touche parce qu’elle ne pré­tend pas briller absol­u­ment, ni débor­der l’esprit du lecteur par le rire, l’ironie ou la facile drô­lerie qui la rendrait pop­u­laire. Ensuite, elle se lim­ite le plus sou­vent à sa per­son­ne, à ses ques­tion­nements, à ses inquié­tudes (c’est le fait d’une vérité intérieure, et en cela poé­tique) qui par­fois répon­dent aux nôtres, même autrement for­mulés. À tra­vers ces trois pre­miers mois de l’an 2001, j’ai fait main basse sur ce que je con­nais de près moi aus­si, qui peut donc sem­bler quo­ti­di­en ou même banal, cette angoisse du « chaos et de la con­fu­sion » par exem­ple ; main basse sur ce « roman de l’ennui », celui que Flaubert parvint à écrire et qui n’est pas ennuyeux pour deux sous ; sur le sen­ti­ment de la faible util­ité de soi au monde… voyons, le ciron pas­calien !…  et sur cette idée que ce n’est pas moi qui fuis Dieu en niant qu’il existe, mais Dieu qui fuit mon indig­nité et peut-être me nie quoique cer­tains pré­ten­dent qu’il m’aurait créé. Quant à celui « qui par­le en moi », je le con­nais très mal moi aus­si. Bref, c’est la pen­sée de l’autre qui fait ma pen­sée et nous met « en con­ver­sa­tion ». M.H.

A suiv­re…

________________________________________________________.

 

FEU(x) SUR DAME POÉSIE

LE POÈTE AVEC OU SANS RECUEIL

 

Il est plusieurs façon de faire feu : sur qui l’on attache au poteau : il y fau­dra tout un pelo­ton d’exécution, d’ailleurs dif­fi­cile à réu­nir ; et sur qui l’on allume les flam­beaux pour voir briller ses joues, son front, ses yeux. Nous préférons user de cette manière. De la pre­mière, beau­coup moins, et s’il se peut jamais, quoiqu’il faille bien, par­fois, que jus­tice soit faite. 

« Dame Poésie » — ne sig­ni­fie nulle­ment que Le Scalp en feu ne trait­era que de la poésie des poétesses.

(en dépit des apparences) [ajout 1]

« Le Poète avec ou sans recueil » — sig­ni­fie que des débu­tants, voire des incon­nus pour­raient se voir ici scalpés sans plus de façons !

 

Il va fal­loir nous atta­quer à la ques­tion du Poème en prose… Songez que l’on y songe. Ce ne sera pas facile !  Pensez‑y : qu’est-ce donc qui rend une prose poé­tique et une autre pas ? M.H.

 

Poésie avec recueil 1

Anne JULLIEN

FLOTTILLES

Ed. de l’Atlantique, col­lec­tion PHOIBOS, 50 pp., 14 €

 

Les flot­tilles d’ANNE JULLIEN sont de pais­i­bles « réu­nions » de petits bateaux, genre esquifs de pêcheurs… Un vieux Larousse ne me par­le-t-il pas aus­si d’escadres, de marine nationale ! Holà ! On pense avoir embar­qué pour « le cuir la four­rure les soies / le retour sans fail­lir à l’herbe à l’eau / à la per­ti­nence d’exister / plan­tés roulés en terre »  — car la terre jouxte for­cé­ment la mer, nav­iguer sur l’eau pour « que le sen­ti­ment ne naisse que de nos corps / des plantes des riv­ières des sables et des eaux… », mais prompte­ment on vire de bord, car­guez les voiles ! voici que le temps, celui qui mesure nos vies, se met de la partie :

« les fées mères ne durent pas
un jour elles se détachent

………………………………………

le temps passe
ou c’est nous qui passons
dans le temps immobile »

Il faut ren­tr­er au port, fouler à nou­veau le bitume, le pavé, les chemins de cam­pagne… un virage est pris… oh, il est des beautés iné­gal­ables, le vol du mar­tin pêcheur, j’en témoigne, ou « la zébrure d’un regard ». Nous sommes au monde, ANNE JULLIEN nous en fait con­science pren­dre, et le pren­dre comme notre devoir, sinon com­ment pour­rions-nous vivre. « La poésie / une con­va­les­cence » nous guérit quoi qu’il arrive. Le désir de retour vers l’avant, je veux dire vers l’avant-nous, tristes que nous sommes, vers les « choses sans nom » des com­mence­ments n’est pas com­pro­mis dans ce virage de bord :

«plus loin je ne puis aller
il aurait fal­lu percer
le mys­tère des mondes » 

 Nous fer­ons avec deux mon­des par con­séquent, et c’est dit fort bien, haut et fort, avec un brin d’humour :

« je batifole
ma gorge offerte à des soleils coupants

je deviens chauve à mon tour
je vais bien »

Aller bien est une belle chose, mais qui ne suf­fit pas à nous emplir du suc de la vie. Il en faut plus – toute poésie juste et vraie nous offre une éthique, des ponts où franchir les abîmes, les poteaux indi­ca­teurs qui nous y con­duiront. S’abandonner à la poésie « éblouie de lumières et de ciels » est notre pre­mier pas, l’ouverture et la con­di­tion sine qua non de l’être ; nous explorerons les vis­ages, voy­agerons avec le chi­nois Li Po car nous sommes à lui liés comme au reste, et alors

« la flot­tille, origa­mi men­tal, coule
pour de bon, vivre dans le vide laissé
vivre »

Les poèmes d’ANNE JULLIEN recréent notre paysage vis­i­ble, res­pirable. Nos savoirs, nos igno­rances, les mots eux-mêmes y sont à leur place légitime, loin des bar­bares, près des oiseaux, « aux côtés de [nos] frères humains ». Les inter­férences, le dimanche incol­ore, nos corps « matière du temps », « des nuages de rouille / au-dessus des autoroutes », rien n’est dépourvu de sens. Cela se recom­pose en nous, de nous, autour de nous. Celle qui écrit se voit dès lors, et mieux encore, elle est « La folle de bas­san », l’oiseau que dépeint Buf­fon (His­toire naturelle : t.1–18 : Oiseaux) qui, lui aus­si, fait ce qu’il doit « pour éviter de mourir ». Cette poésie est mag­nifique dans sa sim­plic­ité rigoureuse, elle nous porte à la médi­ta­tion de notre con­di­tion dans l’univers à tra­vers un art déli­cat et sug­ges­tif de la pen­sée. Une pen­sée longue et péné­trante. Ne pas lire serait une faute, ou pis encore, une erreur. Tal­leyrand l’eût répété. Ô vieille his­toire… ce qui se perdrait à n’être pas lu !

M.H.

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Pen­sées avec recueil 2

Jane MODLINGER

UNE LUMIÈRE À PEINE  (Car­nets)

Ed. de l’Atlantique, col­lec­tion ATHENA, 80 pp., 19 €

 

Ces car­nets, comme c’est leur fonc­tion, nous offrent le jour le jour, les anno­ta­tions, impres­sions, sen­ti­ments, pen­sées, inter­ro­ga­tions de Jane MODLINGER. Cela marche comme ses pas la mènent…  ici, là, ailleurs… non pas au hasard, mais guidée par l’éveil du regard (de tous les sens, en fait) et de l’esprit, une vig­i­lante atten­tion au monde, à soi… et enfin à l’intérêt pri­mor­dial pour l’écriture de l’expérience humaine, comme s’il fal­lait pos­er ses pro­pres repères, ses amers… les phares, les grands foy­ers que les marins homériques, depuis la haute mer, aperce­vaient au som­met des collines de la Grèce aus­si bien que dans leur cœur. Gérard Bocholi­er, pré­faci­er du recueil, situe claire­ment la per­son­nal­ité de Jane MODLINGER : « J.M. fait par­tie de ces veilleurs inlass­ables, tout entiers tournés vers cette beauté offerte que l’on ne prend pas assez le temps d’accueillir en soi. »

Il y faut la lumière, l’essentiel n’étant pas qu’elle soit forte, ou crue, mais qu’elle soit du dehors comme du dedans, en simul­tanéité, et n’importe où n’importe quand : « Sur les Alpes ce jour, une lumière comme une aile, une caresse, une lumière à peine. Et pour­tant, elle est là, elle vous comble, elle est celle que l’on attend depuis tou­jours. Une présence totale dans son retrait et son effleurement. »

Dès lors, sous ce jour neuf à chaque fois, la poésie n’est plus affaire de mots seule­ment, elle devient notre nour­ri­t­ure : « … appelée à devenir ger­mi­na­tion et fécon­dité dans la vie elle-même. » Et la mort, qu’en faites-vous ? — dira l’esprit cha­grin, le voy­ant des mau­vais jours. On n’a pas oublié que Goethe demandait plus de lumière, à cet instant. Jane MODLINGER en pos­sède assez pour n’avoir pas à la réclamer : « Je me tiens là, dans cette abon­dance, dans cette clarté. / La mort n’est pas oubliée, mais elle n’est plus une entrave à la pléni­tude. Un peu comme un bruit que l’on apprend à met­tre en sourdine. »

Dès lors, si toute inquié­tude ne s’est pas effacée, un art de vivre la vie (notre seule vie, selon moi) s’est mis en place, qui dis­pose à l’accueil de l’harmonie, de la mag­nif­i­cence, et même du désac­cord avec lequel on négociera plus pais­i­ble­ment, à l’acceptance, en somme, qui tend à rassem­bler les bonheurs : 

« Puis­er au puits de joie. » 

« Unité bien­faitrice qui jubile en vous, sus­cite un mur­mure, un “oui” salvateur. »

Dès lors, on sera prêt à tout, je veux dire aus­si à l’intelligence des sit­u­a­tions, et jusqu’à la com­pas­sion : « Mag­nif­i­cence et mis­ère. Tout l’inconnu et la fragilité d’une vie à tra­vers les plis d’un vête­ment, l’impact du pied sur le sol, l’inclinaison d’une nuque. » L’autre se présen­tera sous un jour neuf : « S’incliner. Incli­nai­son. Ou bien, proster­na­tion. L’amour entre l’homme et la femme se conçoit aus­si dans la grâce de l’inclinaison mutuelle. »

Cela nous emmène vers la prière. Et nous qui ne pri­ons pas, qui n’avons prié qu’une fois et en vain pour qu’un tout petit enfant ne meure pas, nous suiv­ons le poète qui sait approcher « l’invisible » que nous récu­sons car l’intention est belle, ou noble, ou généreuse, comme on voudra, nous la suiv­ons, elle qui a con­fi­ance, jusque dans sa « dona­tion », et d’autant qu’elle n’ignore pas la dif­fi­culté des choses : « Lorsqu’il s’émerveille, notre regard fait des étin­celles, lesquelles vont nid­i­fi­er dans le cœur de l’autre. Ain­si d’étincelle en étin­celle, cette dona­tion, d’humain à humain. Pré­car­ité de tout cela. Certes. Mais qu’importe la fini­tude, puisque ces fêtes auront eu lieu, et ces feux allumés dans le cours de nos vies. »

Revenons à la lumière : « Chaque jour, ges­ta­tion de lumière. Telle est ma tâche. » C’est bien là qu’est l’essentiel : décou­vrir la tâche et y sat­is­faire autant qu’il est en notre pou­voir. Nous éloign­er ain­si de « l’indifférence, pre­mier pas vers la bar­barie. » JANINE MODLINGER ne nous dicte pas nos devoirs, elle nous indique les routes que nous pour­rions pren­dre, celui-ci l’une, celui-là l’autre, cha­cun sur la voie qui lui con­vien­dra pour être entière­ment lui-même…

J’ai été arrêté par cette réflex­ion con­sacrée à la vul­gar­ité, qui à l’évidence est le pre­mier pas vers la bar­barie. « À la ques­tion ” qu’est-ce que la vul­gar­ité ? “ Yves Bon­nefoy répond : « c’est celui qui reste à la sur­face de lui-même, qui ne descend pas dans ses pro­fondeurs. » Celui, donc, qui s’il en pos­sède les moyens, ne va pas au bout de sa tâche et des forces qu’elle exige. Plus encore, celui qui s’il en pos­sède tou­jours les moyens, ne tente pas d’aller au bout de lui-même. Le con­tre-exem­ple de toutes les con­vic­tions exprimées dans ce très beau recueil, et à quoi peut-être répond, sur la page en regard, l’exigeante solu­tion : « Par rap­port à toute chose, ne faudrait-il pas devenir plus poreux. Porosité de l’âme, du corps. Laiss­er entr­er en soi les mul­ti­ples effluves d’autrui, du monde, dans un mou­ve­ment inlass­able d’ouverture. Et abolir, abolir enfin la bar­rière-citadelle du moi. »

Une indis­pens­able somme de réflex­ions et, avec le recueil d’ANNE JULLIEN, l’honneur des poètes et de leur édi­teur. Les plus forts et hon­nêtes, les plus lucides et sen­si­bles y parvien­dront, de toutes les manières. Lire les y aidera.

M.H.

 

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LIEUX DE POÉSIE

Lieu 1

Une taupe amie m’en a fait con­fi­dence. Elle aime ses frais cor­ri­dors qu’elle creuse dans le jardin, elle y voit comme per­son­ne que le monde n’est ni blanc ni noir, ni même illis­i­ble, mais que tout de même, dans cette gri­saille, de bonnes lunettes lui seraient utiles. Elle a trou­vé très poé­tique aus­si que je ne la sai­sisse pas dans des pincettes d’acier, ni ne l’enfume ni ne la gaze ni ne l’emprisonne dans des réseaux d’ondes malé­fiques. Bref, elle me croit généreux et aris­to­crate, sachant com­bi­en ses façons nuisent à la cul­ture des carottes et des salades. En fait, elle l’ignore, j’achète mes légumes au marché. 

 

Lieu 2

L’écran du téléviseur éteint. On y voit pass­er des ombres famil­ières, et par­fois, depuis la fenêtre, reflété un instant, l’oiseau qui tra­verse le monde. Puis c’est l’immobilité : le buf­fet, le canapé s’y instal­lent. Je con­state que je dis­pose d’un mobili­er très ordi­naire quoique con­fort­able. C’est un con­tente­ment appréciable.

 

Lieu 3    

Les Édi­tions de l’Atlantique – BP. 70041 – 17 102  SAINTES CEDEX

 

Bowenchina12@yahoo.fr/

http://mirra.pagesperso-orange.fr/EditionsAtlantique.html

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Les Édi­tions de l’Atlantique pub­lient aus­si la superbe et abon­dante revue

SARASWATI

dont le prochain numéro devrait paraître à l’automne-hiver 2012–2013 / Thème cen­tral : la poésie espag­nole con­tem­po­raine / Réflex­ion, logos & spir­i­tu­al­ité : Poésie & pein­ture / Poésie & pho­togra­phie / Art & Vérité / Poésie & con­nais­sance de soi / Se ren­con­tr­er soi-même // Invité : Maxime Godard, pho­tographe et por­traitiste / Poèmes / Encres / Notes de lec­ture / Revue des revues.

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Un mot de Michel Host

 

Les Édi­tions de l’Atlantique con­nais­sent, comme tous les édi­teurs de poésie, des dif­fi­cultés qui pour­raient les con­duire à fer­mer leurs portes dans le courant de l’année 2013. La recherche de sou­tiens divers est en cours, et celui des poètes qu’elles pub­lient ne leur est pas encore entière­ment acquis. Nous savons que poètes, écrivains et « créa­teurs » réfugiés en haut de leurs tours de mots n’ont pas tou­jours de gros moyens financiers, mais qu’ils sont aus­si de fief­fés indi­vid­u­al­istes, sou­vent fort peu recon­nais­sants de l’intérêt que leur porte leurs édi­teurs, voire éventuelle­ment les con­sid­érant comme des enne­mis pour des motifs mineurs, pour n’avoir pas été « servis » comme ils pensent que le mérite leur tal­ent excep­tion­nel, par exem­ple, etc.  Or ce monde glob­al­isé, dirigé par l’argent et le com­plot anti-cul­turel  (la cul­ture, c’est l’esprit cri­tique et donc l’obstacle aux achats mécaniques et aveu­gles) les men­ace, eux, et men­ace les quelques édi­teurs qui n’ont pas renon­cé à la poésie. L’entraide me paraît donc une sorte de devoir élé­men­taire.  M.H.

 

 

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LIEU 4

 

Ne craignons pas de nous répéter, la péd­a­gogie ne peut qu’y gagner :

La revue      

NOUVEAUX DÉLITS

est et reste régulière­ment pub­liée par Cathy Gar­cia, dont l’activité, pour ne pas dire l’activisme, en faveur de la poésie est constante.

Sous une cou­ver­ture sans chichis, NOUVEAUX DÉLITS offre des tré­sors, des pages inat­ten­dues… L’un de ses derniers numéros (N°41) est en grande par­tie con­sacré à la tragédie de FUKUSHIMA et con­tient des haïkus orig­in­aux. Sans être exclu­sive ni envahissante, la préoc­cu­pa­tion de la san­té de la planète, celle de la préser­va­tion de ce que j’appelle NOTRE JARDIN est bien présente dans les pages de la revue.

 

Aller sur le site :  http://larevuenouveauxdelits.hautefort.com/

et sur : http://www.arpo-poesie.org/

 

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LIEU  5

On m’a com­mu­niqué les dif­fi­cultés ren­con­trées par l’éditeur de poésie ASPHODÈLE-ÉDITIONS, Pas­cal Pratz, sis au

23 rue de la Matrasserie –
44 340 – à BOUGUENAIS

Il pub­lie des livres qui tien­nent dans la poche et la main, on ne peut plus porta­bles, sur un papi­er de très belle qual­ité, dans des gra­phies elles aus­si de qual­ité et dans sa Col­lec­tion Minus­cule. Le soutenir, c’est acheter ses recueils, les faire pass­er de main en main, les offrir… C’est facile, ils ne coû­tent que 7 € !

Les con­tacts aus­si sont aisés :
Tél. 06 43 35 49 14

http://pages-perso-orange.fr/asphodele-edition

asphodele-edition@orange.fr

 

Pour ma part, dans la Col­lec­tion Minus­cule, j’ai retenu l’humour de Guil­laume SIAUDEAU dans ses Poèmes pour les chats borgnes.

Pourquoi les avoir écrits ? Parce que

« C’est étrange d’écrire pour les chats. / Voici quand même quelques poèmes / pour les chats de gout­tières, / parce que je me dis qu’il y a peut-être encore / des chats borgnes qui lisent, / la nuit, entre deux combats. »

Parce que

« Nous sommes ce loup qui creuse / la nuit d’un regard / nous sommes cette bête qui enfonce / ses pieds dans les soirs plu­vieux / nous sommes ce chien sauvage / qui plante ses crocs / dans les jours faibles / et interminables »

Parce que 

« Dans ce désert / il n’y avait que moi / et une brindille / j’étais la faune / et elle la flo­re / elle ressem­blait à une mag­nifique actrice / qui aurait eu un trou de mémoire / pen­dant une scène cruciale »

Et dans la même col­lec­tion, de Mar­lène TISSOT, Nos par­celles de ter­rain très très vague m’ont été l’occasion de quelques vis­ites en ter­rains con­nus, ceux de la cru­dité de la vie.

Au cinoche, par exemple :

« Par­fois la vie m’emmerde / autant qu’un mau­vais film / mais je ne suis pas du genre / à quit­ter la salle / avant / la fin de la pro­jec­tion / est-ce seule­ment / pour éviter de faire chi­er / les gens sur les sièges / d’à côté ? »

ou sur les ter­ri­toires du matin :

« Ce matin je me suis réveil­lée / dans un paquet de sucre en poudre / tout était blanc, poudré, cristallisé / les voitures, les maisons, les arbres / c’était joli, telle­ment joli / que j’ai fini par me deman­der / si on ne nous avait pas plutôt / roulés dans la farine. »

et là où c’est un « gars » au lieu d’une fille :

« C’était juste un gars ren­con­tré comme ça / à l’intersection d’un jour vide et / d’une nuit froide / au moment où la lumière s’incline / en pente ter­ri­ble­ment glis­sante / quand on s’accroche au pre­mier / sourire venu pour pas tomber au fond de soi / à l’instant où tout ce qu’on demande / pour avoir la force de se relever / c’est un peu de chaleur / animale »

 

_____________________________.

Qu’on veuille croire que l’auteur de ces lignes n’a aucune par­tic­i­pa­tion dans les nom­breux et rich­es porte­feuilles d’actions des maisons d’éditions dont il par­le. Il con­sid­ère sim­ple­ment que s’il lui appar­tient de par­ler de poésie, donc de soutenir les derniers poètes de ce mal­heureux pays, il ne lui est nulle­ment inter­dit de soutenir aus­si ceux qui les sou­ti­en­nent face au pub­lic, leurs édi­teurs. / M.H.

 

Fin de Scalp 2  — juin / juil­let / août 2012

 


[1] On trou­vera ces cita­tions dans leur total­ité in ARAGON, Œuvres poé­tiques com­plètes, vol. I, aux pp. 822 à 829. Bib­lio­th. De La Pléi­ade, NRF / Gallimard.

[2] Le Tiers Livre, ch.VI

[3] Max Pons a dédié plusieurs ouvrages au château de Bonaguil, « mon uni­ver­sité » déclare-t-il.  Entre autres : Bonaguil, château de rêve (Pri­vat), Vis­iter Bonaguil (Edi­tions Sud-Ouest), Regards sur Bonaguil (La Bar­ba­cane). 

 

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