« Poésie Ô lap­sus » - Robert Desnos

 

Le Scalp en feu est une chronique irrégulière et inter­mit­tente, dont le seul sujet, en rai­son du manque et de l’urgence, est la poésie. Elle ouvre six fenêtres de tir sur le poète et son poème. Selon le temps, l’humeur, les néces­sités de l’instant ou du jour, son auteur, un cynique sans scrupules, s’engage à ouvrir à chaque fois toutes ces fenêtres ou quelques-unes seule­ment. Michel Host

Décem­bre 2012 / Jan­vi­er 2013

                                                                                                                               

SOMMAIRE

  • UNE PENSÉE OU PLUSIEURS / DU POÈME EN PROSE (début d’une réflex­ion) / p. 2
  • LE POÈME / LES POÈMES : Moravia Ochoa (p.6) & Anne Jul­lien (p.10)
  • LE POÈTE /  CATHY GARCIA / p.12

                D’autres poèmes de Cathy Gar­cia /  p.19

  • AUTRE(S) CHOSE(S)  /  p.27

                      L’art de la ques­tion (12 inter­ro­ga­tions fon­da­men­tales) / p. 28

     APHORISMES , SENTENCES ET PENSÉES D’AYMERIC BRUN (inédits 2) /  p. 29

  • FEU(X) SUR DAME POÉSIE  / le poète avec ou sans recueil  / p.32
  • PASCALE DE TRAZEGNIES / ADORER (L’hostie rouge)  / p. 33
  • LIEUX DE POÉSIE /  4 lieux   / p. 35

 

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UNE PENSÉE

ou plusieurs

Du poème en prose et du poé­tique (début d’une réflexion)

Ma bib­lio­thèque… Quel ennui ! On y aura fouil­lé, on l’aura pil­lée, mise à sac… Que sais-je encore ? Aloy­sius Bertrand et son Gas­pard se sont envolés  — c’est par eux que je voulais com­mencer -, le doc­u­ment que j’attends n’arrive pas (*), le monde est mal foutu de toute façon, sa fin annon­cée par des farceurs aurait mieux fait de se pro­duire, je n’aurais plus de souci à me faire.  Bien sûr, ça aus­si a raté. Ma réflex­ion organ­isée est, du coup, désor­gan­isée, sa base ébran­lée et moi de même. Res­sai­sis­sons le fil de la pelote par un autre bout, et tirons, nous ver­rons bien.

   (*) Il vient de m’arriver. C’est le dernier Cahi­er de la NRF, inti­t­ulé : La Poésie en prose au XXe siè­cle. (Les entre­tiens de la Fon­da­tion des Treilles). Ouvrage de 500 pages, qui me paraît d’emblée pas­sion­nant et que je recom­mande donc à tous ceux et celles qui sont intéressés par ces ques­tions, et dont il va être sou­vent ques­tion dans les Scalps suiv­ants.

Poème en prose dit tout autant que « poésie en prose ». Or la prose, dans son prosaïsme naturel, m’a tou­jours été don­née pour antin­o­mique de la poésie. Poiê­sis : le dic­tio­n­naire (V. Mag­nien & M. Lacroix) m’annonce : « 1. Fab­ri­ca­tion de par­fum, de navires. 2. Com­po­si­tion de mélodies. 3. Com­po­si­tion de poèmes ; d’où œuvre poé­tique, poème, genre poé­tique. 4. Créa­tion d’êtres vivants ; sans com­plé­ment. Créa­tion. » Nous y voilà. Que de « créa­teurs » en ce bas-monde, et qui ne se mouchent pas du pied ! Quant à la prose (prosa), elle est sim­ple­ment don­née, la mal­heureuse, pour cette « forme du dis­cours qui n’est pas régie par les lois de la ver­si­fi­ca­tion » (Le Robert, Dict. his­torique), pour de la syn­taxe pure et sim­ple donc, définie néga­tive­ment, une organ­i­sa­tion des phras­es en vue de les ren­dre com­préhen­si­bles par les majorités par­lantes et enten­dantes. Revenant à la poésie, je devrais pou­voir con­clure de ces pre­mières déf­i­ni­tions qu’elle se dis­tingue par l’obéissance aux règles et aux lois de la ver­si­fi­ca­tion, qu’elle se soumet à des jeux d’accents divers, à des métriques et ryth­miques var­iées, à des rimes aus­si, retours de sonorités iden­tiques à de cer­tains endroits du vers et par­ti­c­ulière­ment en fin de vers. Si je peux saisir le par­fum ou les par­fums d’un poème, cela n’arrive pas à chaque poème lu ou enten­du, et pas tou­jours si le poème m’emmène vers des jardins  d’herbes et de fleurs. En revanche, Le Dormeur du val aura des par­fums d’eau et d’oiseaux (même sans qu’ils y soient cités), de cres­son parce qu’il est bleu et que pris dans le courant il n’a pas d’autre odeur que celle de l’eau,  et celle du sang car Rim­baud me tient la tête auprès des « deux trous rouges au côté droit », mais non pas le par­fum des glaïeuls car ils n’ont pas d’odeur (pour moi du moins). Mais est-ce cela seule­ment la poésie ? Je com­prends très bien encore que tout poème est une sorte de navire, par­fois longue­ment fab­riqué, qu’on livre à la for­tune des mers et des lecteurs.

Lorsque chez Jean de Lafontaine, qui appelait fables ses poèmes, je lis des vers comme ceux-ci, que j’attrape presque au hasard : «  Cer­tain fou pour­suiv­ait à coups de pierre un sage. / Le sage se retourne, et lui dit : « Mon ami, / C’est fort bien fait à toi ; reçois cet écu-ci : / Tu fatigues assez pour gag­n­er davan­tage. » (Livre XII, fable XXII), je me dis que, hormis les con­ven­tions des rimes embrassées et d’un mètre réguli­er, c’est là une belle prose, sim­ple et équili­brée, qui ne vise à dire que ce qu’il y a à dire ni plus ni moins. Pas d’autre arti­fice vis­i­ble qui la chang­erait en « poésie », et c’est fort en avance déjà, quelque chose de bien proche de cette prose si claire et légère qu’on lira au XVI­I­Ie siè­cle. Mais, si j’ouvre, de Pierre Bet­ten­court, les Fables fraîch­es pour lire à jeun », et tombe sur « Mon bras » : « J’ai un bras qui a pris froid et qui ne s’est jamais réchauf­fé. Je l’avais lais­sé pen­dre hors du lit en dor­mant. Bien enten­du, c’est mon bras droit. Si j’écris, l’encre gèle dans le sty­lo et si je prends une femme par la taille, cela lui rap­pelle la glace qu’on lui a mis sur le ven­tre lors de son dernier accouche­ment, elle m’envoie promen­er. », ou encore sur « Les ardois­es » : « Ne croyez-vous pas que c’est dans les ardois­es que la pluie se décide ? Elles se met­tent à pal­piter les unes sur les autres comme les plumes de grandes ailes qui vont s’envoler… Alors, flat­tée, la pluie tombe. » Ici, je n’entends que poésie : certes les temps ont changé, Bre­ton et sa troupe sont passés par là, mais ce bras si gelé qu’il gèle l’encre, et pour­tant si indépen­dant qu’il veut encore s’enrouler à la taille des femmes, et ces ardois­es qui appel­lent, pal­pi­tantes, la pluie sen­si­ble à la flat­terie, tout me paraît puisé aux fontaines de la langue enfan­tine, maligne et coquine dans son savoir-faire orig­inel. Les phras­es pren­nent « des » rythmes en s’énonçant, elles les pren­nent d’elles-mêmes, de leur élan frais et rieur. Les accents répar­tis dans le sim­ple énon­cé ; « Alors, flat­tée, la pluie tombe », font un joli vers que La Fontaine ne renierait pas, de même que l’alexandrin « [Il] l’avai[t] lais­sé pen­dre hors du lit en dor­mant. » Qu’on ne me fasse surtout pas dire ce que je ne dis pas, qu’il ne serait de belle prose chez Pierre Bet­ten­court, ni de poésie fraîche et imag­i­na­tive chez La Fontaine. La ques­tion, qui n’est pas sim­ple, est ailleurs. La ques­tion est : où et quand lisons-nous de la poésie dans ce qui est nom­mé poésie ou poème ? Elle est : qu’est-ce que la poésie, ou le verbe poétique ?

Baude­laire intro­duit les pros­es brèves du Spleen de Paris, qu’il com­pare aux « tronçons d’un ser­pent », avant de les pub­li­er dans quelque revue ou pour les présen­ter à Arsène Hous­saye, en les nom­mant à chaque fois « Poèmes en prose ». À Hous­saye, out­re qu’il avoue volon­tiers sa dette envers Aloy­sius Bertrand, il con­fie ceci : « Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé du mir­a­cle d’une prose poé­tique, musi­cale sans rythme et sans rime, assez sou­ple et assez heurtée pour s’adapter aux mou­ve­ments lyriques de l’âme, aux ondu­la­tions de la rêver­ie, aux soubre­sauts de la con­science ? » Lisant une telle déc­la­ra­tion, je me dis que Baude­laire nous y offre quelque chose qui ressem­ble fort à une déf­i­ni­tion du « poé­tique », quelque chose qui paraît con­tourn­er le vers, qui va au-delà d’une prose qu’on pour­rait dire de sim­ple com­mu­ni­ca­tion et se relie comme secrète­ment à d’autres tumultes : « mou­ve­ments de l’âme », sen­ti­ments pro­fonds, intéri­or­ité de la con­science et, pourquoi pas, au drame humain. Pour l’instant, et avant plus ample infor­mé – le lan­gage des gen­darmes et celui de l’administration française n’ont-ils pas des charmes antipoé­tiques évi­dents ? -, il me sem­ble que la recherche du poé­tique dans son exac­ti­tude (si une telle pré­ten­tion ne tombe pas dans le ridicule) pour­rait se faire dans la prose d’abord, puis à l’articulation de la prose et du vers… Ain­si, pour revenir au Spleen de Paris, voici deux incip­it que l’on peut voir, du point de vue du poé­tique, comme en oppo­si­tion presque totale de fonc­tion et de reg­istre, c’est du moins mon sen­ti­ment. Cha­cun, pour­tant, ouvre un « poème en prose ».

« Il y a des natures pure­ment con­tem­pla­tives et tout à fait impro­pres à l’action, qui cepen­dant, sous une impul­sion mys­térieuse et incon­nue, agis­sent quelque fois avec une rapid­ité dont elles se seraient crues elles-mêmes inca­pables. » (Le mau­vais vit­ri­er)

« Laisse-moi respir­er longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon vis­age, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mou­choir odor­ant, pour sec­ouer des sou­venirs dans l’air. » (Un hémis­phère dans une chevelure)

J’annonçais, en sous-titre, le « début d’une réflex­ion ». Elle se pour­suiv­ra, je ne sais si dans le Scalp IV ou V… La ques­tion posée est donc : « Qu’est-ce que le poé­tique ? Quel texte, don­né pour poé­tique, pour poésie…  est véri­ta­ble­ment poé­tique ? Est véri­ta­ble poésie ? Quel texte n’en est pas ? Et pourquoi ? » Cette ques­tion a‑t-elle de l’importance, un intérêt ? Le flou le plus artis­tique règne dans ce domaine, et des impos­teurs qui se con­nais­sent ou qui s’ignorent, des imi­ta­teurs con­scients ou incon­scients se baladent un peu partout, dans les recueils et les livres, voire sur sites et blogs où ils font fureur. Toute con­tri­bu­tion à cette réflex­ion paraî­tra dans le Scalp, et gardera sa chevelure : il suf­fi­ra de la faire par­venir à Michel Host par la voie de RECOURS AU POÈME. 

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LE POÈME / LES POÈMES

Vien­nent, dans ce Scalp III, des dames épris­es des poèmes, rien que des dames… Pur hasard, qu’on veuille me croire. Cer­taines se dis­ent « poét­esses », d’autres se deman­dent si ce nom est vrai­ment sérieux, s’il ne vaudrait pas mieux pour elles de se dire « poète ». Je devrais m’en moquer, mais quoi… cela a‑t-il sens com­mun : « une poète » ? Poétesse me paraît mieux, et d’ailleurs qui n’aime pas les mairess­es, les hôt­esses d’accueil et de l’air, voire les bougress­es, les deviner­ess­es et les prêtress­es ? Et qui ne garde en son cœur sa maîtresse d’école, et d’autres peut-être qui vin­rent après elle ?

    

Prenons-les, ces poèmes, en espag­nol, chez MORAVIA OCHOA (un long poème envoyé à ses amis et con­nais­sances par voie hertzi­enne), et, en français, un autre saisi dans le dernier recueil d’Anne JULLIEN. 

                              

MORAVIA OCHOA

 

DEL LIBRO INÉDITO: CUANDO MARÍA DESPRECIÓ A LOS RUBIOS DE OAKLAND

TODAVÍA

 

Si me pre­gun­tan a dónde fue el amor

yo les con­testo que a la fosa común

Allí está arrodil­la­do, miran­do los huesitos

la ceniza y lo deforme

el ojo caí­do en la mitad de la boca

la hin­c­hazón y la espalda

raja­da por un trueno

de lás­er,

allí las manos esposadas

una y la otra amarradas

un tiro en el costa­do y en la espalda

tal vez al corazón,

el cam­po de con­cen­tración gigantesco

albrook y números al pecho

mount hope el gran crematorio

y el espa­cio que arde todavía

 

El cuar­tel

Lo que qued­a­ba del cuar­tel bombardeado

astil­las de pared muñe­cas rotas,

carne amasa­da con pan de lágri­mas y muer­tos que

no tuvieron tiem­po de saber que morían

mien­tras bus­ca­ban el fusil,

eso, hijos míos del mañana

bizni­etos glo­riosos de los sobre­vivientes avergonzados,

eso, lo que quedó, fue destrozado

a pun­ta de mazo, a golpes, a odio, a miedo

mien­tras rugìan los usurpadores

frente a las cámaras ofi­ciales democràticas

 

Dig­nidad

Uno al espan­to le puso pun­to en boca

amel­ló el filo del aire para seguir de pie

abrió la puer­ta y puso hamacas

extendió los pasadizos

mul­ti­plicó los espa­cios de la casa

se abrió a la madrugada

al rojo sol martirizado

Amor, y men­tiría si te digo

que me acordé de ti por tus dos ojos

no te lo he pre­gun­ta­do pero sé

que moriste con todo el que moría

y ambos aho­ra somos sombras,

sobre­vivientes

lo que que­da del ultraje:

vergüen­za

dig­nidad

 

El mil­i­tar

Porque esta­ba la lum­bre en ellos y

los hijos dormidos

y el bar­rio ale­gre a pesar de la ter­ri­ble amenaza

él le dijo despa­cio: anda y cier­ra la puerta

voy a hac­erte el amor

quizás el último

Ella puso una lla­ma de fuego entre los ojos

un incen­dio del bueno

y se prendió.

la T–65 descansaba

y sobre la boca del fusil ella puso

su ropa

él miró hacia el reloj ven pron­to amor

apúrate no olvides, Isabel,

Ten­go guardia a las doce

 

Espera fiera

Cuan­do se vio en los diar­ios y la vio

desnu­da

ambos

abraza­dos

miró con ojos plenos la belleza

de aquel amor

María, quiso saber ¿cuán­to tiem­po ha pasado?

entonces fue al cuar­tel y oyó con toda claridad

que un mes había pasado

y que el ban­di­do aquel

a golpe de mar­tillo gol­pea­ba con­tra muros ape­nas en pie

y la ciu­dad caía en piedras pequeñitas

Todo era destru­c­ión allí donde agar­rró el fusil

Ciego de ira buscó las cenizas de su cuer­po y

se metió entre ellas

des­de entonces una espera fiera habita

en la ciudad

de los muer­tos sagra­dos que pocos

se atreven a nombrar

 

Angela

De “Eagle” el per­ro bus­ca cadáveres que no existen,

hijo de gringa que es huésped de lujo en Panamá, todos hablan, es

noti­cia a col­or, de primera plana, mas de ti Angela, y de todas las víc-

timas de la invasión yan­ki 1989, quién habla, quién de tus hue­sos, de

las cenizas de tan­tos  quién se ocupará?

Angela, si tú vivieras estos días

si des­per­tara tu corazón de un salto

des­de la muerte a donde fuiste

pre­med­i­tada­mente

mejor dicho asum­ien­do los riesgos,

te extrañaría enorme­mente que

eres silen­cio aún

que nadie te maldice ni ben­dice ni dice tu nombre

que eres una his­to­ria colec­ti­va y difusa

innom­brable y temeraria

ape­nas “los muer­tos de diciembre”.

estás allí, seguro, den­tro de ese montón,

a quién le impor­ta la soledad de tus viejos zapatos

a quién tu cuader­no de muchacha

a quién le impor­ta, en ver­dad, Angela,

Agrip­ina o Arturo,

tu nom­bre y apellido,

el espa­cio que antes ocu­paras en la casa pequeña,

en las esquinas de la multitud.

A quién con­tar­le las razones de peso que tuviste

para alis­tarte en eso que fuera

patria libre o morir

ni un paso atrás — por Panamá la vida

 

Una grin­gui­ta lla­ma­da Sara York

no he oído nada de ti Sara York

vesti­da de pollera

con­dec­o­ra­da por car­tas y medallas

cabal­li­to de troya tal vez

que alguien tomó en serio.

no he oído una pal­abra de ti sara york

¿qué cosa eres?

detrás de ti ¿qué cosa Sara, Sara,

qué cosa pien­sas? ¿dices?

¿aca­so no viste a fondo?

dices que amabas Panamá

te creo

la amabas, la querías,

ya se saben las for­mas del amor

con que tu pueblo ama

voraz­mente

a la fuerza

a gar­rote

a tram­pa

Sara York qué vergüenza

estás calla­da

 

MORAVIA OCHOA /  poèmes reçus en décem­bre 2012

 

Moravia Ochoa est née au Panama.

Poète, auteure de con­tes, active dans le domaine cul­turel, mil­i­tante pour la paix, le bien-être et la jus­tice sociale pour les peu­ples qui com­posent la planète.

Après le bac­calau­réat, elle pour­suit ses Human­ités en fac­ulté de philoso­phie, let­tres et édu­ca­tion, et à l’Université de Pana­ma (Langue espag­nole et jour­nal­isme). À l’étranger, elle suit des cours spé­cial­isés relat­ifs à l’administration cul­turelle, la lit­téra­ture, les mou­ve­ments féminins.

 

En tant qu’invitée, elle par­ticipe à des forums, assem­blées, con­grès et ren­con­tres inter­na­tionaux. Mem­bre du Tri­bunal Anti-impéri­al­iste de Notre Amérique (TANA), que prési­da le Dr. Guiller­mo Toriel­lo (Guatemala). En tant qu’écrivain, elle par­tic­i­pa à divers­es activ­ités dans et hors de son pays. Jurée de la Casa de Améri­c­as (Cuba), 1978. Mem­bre représen­tant le Pana­ma au Con­seil Edi­to­r­i­al de la Presse lit­téraire de l’Amérique cen­trale. Respon­s­able de la page de l’Union Nationale des Ecrivains (UDEP) au quo­ti­di­en La Estrel­la de Panamá. A col­laboré aux jour­naux : El Matuti­no, La Repúbli­ca, Críti­ca, La Estrel­la, et tra­vail­lé dans le jour­nal­isme cul­turel à la Radio Nationale dans des émis­sions vomme : Itin­er­ario, De aquí en ade­lante (À par­tir d’aujourd’hui).

 

« Par­en­thèse à soulign­er : Moravia Ochoa, en rai­son de l’invasion de son pays par les États-Unis, en 1989, démis­sion­na de son porte de Direc­trice Nationale du développe­ment cul­turel (Insti­tut Nation­al de la Cul­ture) afin de ne pas col­la­bor­er avec le gou­verne­ment d’occupation. »

Elle a exer­cé plusieurs charges direc­to­ri­ales dans cette Insti­tu­tion, par­mi lesquelles Direc­trice du départe­ment des Let­tres, sous-direc­trice du développe­ment cul­turel, direc­trice nationale cofon­da­trice du Front des Tra­vailleurs cul­turels ; du Col­lec­tif Poésie dans la Rue, et fon­da­trice de ce qui allait être l’Institut de l’Amitié Panaméo-Cubaine. De 1994 à 1998, elle fut Attachée cul­turelle à l’ambassade du Pana­ma à Cuba. Con­seil­lère à l’INAC.

 

Par­mi ses œuvres poé­tiques les plus récentes : :Hac­er la guer­ra es ir con todo; Con­tar Desnu­da, La Gra­cia del Arcàn­gel; La Casa Inmaculada.

En 2012, el obtient le Prix de Poésie Esther María Oss­es, de l’Institut Panaméen des Etudes du Tra­vail, avec son livre Hojas de vida en la mujer que habito, qui sera édité prochaine­ment. Sous presse ; Cuan­do María des­pre­ció a los rubios de Oak­land, sur l’invasion nord-améri­caine du Pana­ma, en 1989. Les plus récents : Juan Garzòn se va a la guer­ra; En la tram­pa y otras ver­siones inèdi­tas; Las esferas del via­je (selec­ción de var­ios de sus libros y cuen­tos inéditos).

&

ANNE JULLIEN

 

Et de son recueil  « Dans la tête du cachalot »

Éd. ASPHODÈLE  / 2011 / http://asphodele-edition.pagesperso-orange.fr/

 

Anne Jul­lien ne nous par­le pas depuis la jetée, ou le phare, ou même de la plage, mais d’ « une chaise au milieu d’une pièce », et « assise sur la chaise ». C’est une sit­u­a­tion com­mune, ou ordi­naire, car la chaise il la faut bien pour s’arrêter un instant lorsque, elle nous le pré­cise en exer­gue : « quelque chose en moi s’agite que rien ne calme / ce n’est ni pen­sée ni douleur ».

Ce « quelque chose » est à pré­cis­er lui aus­si, et autour de son mys­tère s’assemblent les images du temps, de notre temps, et avec elles « les ques­tions chem­i­nent ». Ques­tions adressées aux humains :

« je me demande si les réponses

ne sont pas dans le mouvement

entre vous et moi »

mais aus­si aux objets du monde qui nous pro­posent leurs jueux d’illusions :

« la nuit les park­ings mouil­lés éclairés

quand on les longe en voiture

ressem­blent à la mer »

Dès lors la mer n’est elle-même qu’images à con­naître, à recon­naître, belles et par­fois mortelles et rêveuses :

« de la mer je ne con­nais que

les abysses mar­tiens où les cadavres plongent

à la recherche

d’une main d’ange »

Le cachalot y voit, lui, à de pareilles pro­fondeurs. Le cachalot est dans la tête d’Anne Jul­lien. Il sait de quoi il par­le. De la poésie d’abord, de l’insupportable poééézzzzzie : « Je ne sais pourquoi / la poésie cul-de-poule / ou celle auric­u­laire / me fait froid dans le dos ». « … quand je lis des mots sans chair / je préfère les champs / les jar­diner­ies et les nichoirs / la poésie sans crème et sans jouis­sance / me rend femme frigide quand le mot pour mot hor­rip­ile ma con­science »… Sur cette « mis­ère », nous sommes bien d’accord. Mieux valent alors les gens que ces mots-là, « les gens qui marchent et les gens qui recu­lent / les gens qui bafouil­lent et les gens qui piéti­nent »… Mieux vaut « le triv­ial », oui, qui alors devient « triv­ial ». Pour gag­n­er autre chose, par con­séquent, s’extraire et descen­dre dans les choses, au pro­fond, une déci­sion s’impose : « J’ai instal­lé mon bureau dans la tête du cachalot », nous dit l’occupante de ce bureau. Con­nais­sance par les gouf­fres, dis­ait quelqu’un ! Dans les gouf­fres se joignent les rêver­ies, les enfances, les lec­tures – Quee­queg ! — et l’on sait tou­jours de quoi l’on parle :

« Dans la tête du cachalot je coule et je le console

je suis la mélan­col­ie du cachalot »

Les jours dif­fi­ciles, les cauchemars de la con­tem­po­ranéité se résol­vent peut-être… peut-être… de cent manières, dès lors que notre bureau est si bien instal­lé : dans la poésie d’abord, « un pot dans lequel vers­er / les foulards et les lap­ins // La poésie est un pot scel­lé / un ton­neau des danaïdes », un pot où trou­ver à nous nour­rir ; dans les croisières qui, pour n’être pas à la portée de toutes les bours­es, sont à regarder comme le fai­sait Pes­soa, du bord du quai :

« les yeux lev­és sur le Queen Mary

je fais par­tie des badauds à quai

étrangère

au rêve de s’embarquer » -

et, à la fin, un bizarre goût de mort :

« je vais mourir d’une déchirure à la plèvre

aspi­rant les eaux, l’air, les insectes

les mau­vais­es herbes et le pollen,

à mes lèvres un poème

prières de païen »

Anne Jul­lien nous emmène avec elle  (avec nous-mêmes aus­si, pour peu que nous y pen­sions), dans son voy­age, que ce soit autour de son / de notre nom­bril, ou autour des arbres tibé­tains et leurs « chif­fons à prière ». Comme elle nous pou­vons dire :

« je n’ai qu’une vie à disposition

cuir, soie, éther entre les os

le véhicule est un corps

une vie à expérimenter »

C’est de notre vie, de notre unique vie qu’il est ques­tion dans cette poésie qui, pour ne pas se hauss­er du col, pour éviter de tomber dans les rhé­toriques creuses et pré­ten­tieuses, n’en est pas pour autant d’une sim­plic­ité qui toucherait à la pau­vreté. Elle nous place entre des miroirs qui por­tent nos reflets, corps, temps, espace, « éther entre les os », sans nous assom­mer de con­cepts. Elle ne nous laisse pas, cepen­dant, tout à fait tran­quilles ni sere­ins… Elle finit pas nous ten­dre un « poème de novem­bre », où gît un rêve de Por­tu­gal, la fig­ure du « plus grand voyageur » qui est, il fal­lait nous en douter, « un poète assis ». La boucle se boucle, disque tour­nant sur la pla­tine, pas triste, atten­dant qu’on replace le bras artic­ulé, à la manière d’antan, sur le sil­lon, avec « l’odeur grise du sable », et « ici, le vent fou de novem­bre ». « Quelqu’un » nous rejoin­dra, qui est là, non loin, soi dans l’autre, l’autre-soi, dans l’énigme, le priv­ilège, le sacre­ment de vivre, et peut-être même nous sera-t-il don­né de retrou­ver Blaise Cen­drars, car il est quelque chose de partagé, dans ces vers libres, avec ces gens que Dante et Vir­gile ren­con­traient, au Pur­ga­toire mieux qu’ailleurs, dans une com­mu­nauté de des­tinée dont témoignent de sem­blables images :

«j’entends les vagues

qui roulaient à trois-riv­ières ou à capesterre

dans la nuit tropicale

quand nous allions de mai­son en maison

toi et moi et laura

et que nous n’avions rien que nos peaux »

M.H.

 

 

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LE POÈTE

 

C’est CATHY GARCIA.

Le choc ini­tial s’est pro­duit avec la lec­ture de Salines. Il m’a été offert la pos­si­bil­ité de post­fac­er le recueil : je reprends ici l’intégralité de ce texte écrit dans l’éblouissement et la prise de con­science de ce qu’à tra­vers cet ensem­ble, une énergie renou­velée et abreuvée à d’anciennes sources se man­i­fes­tait dans la poésie française de cette fin de siè­cle, poésie le plus sou­vent exsangue, cal­cu­la­trice, pau­vre­ment rusée dans ses apparte­ments peu­plés de pro­fesseurs bavards et d’écoliers peu attentifs. 

 

Post­face

 

Il n’est pas de faux-sem­blants, ni dans le dire, ni dans l’image, ni dans la tra­jec­toire chez Cathy Gar­cia-Canalès, et moins qu’ailleurs peut-être dans SALINES. Ce beau titre assume une ampli­tude et un regard qui, d’emblée, nous rap­prochent de la mer et du vent, de la peau chargée des odeurs chaudes de l’amour, et, pour tout dire, d’un élan vital orig­inel, celui que Cathy Gar­cia sait cueil­lir aujourd’hui encore, avec toute son énergie, sa puis­sance, par­mi notre monde qui se le dis­simule peut-être der­rière les écrans de fumée de la pol­lu­tion des esprits, sous le voile d’une bien­séance digne des hypocrisies bour­geois­es anci­ennes, monde dont les échap­pa­toires vont au  « porno »  pau­vre qui, mis en image ou en mots, passe pour liberté.

La lib­erté poé­tique intérieure est d’une tout autre matière : c’est l’élément moteur, astral et mag­né­tique qui, s’il désta­bilise les cen­tres émo­tion­nels, rétablit l’âme humaine dans les beautés et les grandeurs ter­restres. Le recueil s’ouvre sur une éton­nante affir­ma­tion des mul­ti­ples facettes de la féminité, énuméra­tion à la façon de Rabelais, moins impudique que gon­flée des sèves de la séduc­tion et de son chant. Et, dans la foulée, cette osten­ta­tion de l’être féminin — totale­ment féminin -, entière­ment soi, pro­téi­forme et, comme dans une fierté coulant de source, ancrée dans la blancheur, la saveur et l’éclat du sel ! 

 

Je suis femme

 

Unique mul­ti­ple

 

Je suis la grande saline

 

Cela, pour­tant, man­querait beau­coup de sel si ne se présen­taient, comme sur l’éventail his­torié d’une belle madrilène, ou dans une tapis­serie du par­adis d’avant l’humiliation des chutes et des divins oppro­bres, les véri­ta­bles for­tunes, les bon­heurs, et même les joies, de s’établir, fût-ce pour un temps lim­ité, dans le monde des vivants. Cette fon­da­tion n’est pas une con­quête, pas davan­tage une revanche  — ce serait comme de vouloir installer les bon­heurs sur les com­bats et les guer­res, sur les obscu­ran­tismes qui, eux, ne désar­ment jamais  — mais une posi­tion de nais­sance, en quelque sorte, parce qu’être femme c’est cela, ni plus ni moins, c’est être dans la ger­mi­na­tion, l’efflorescence, l’offrande et le plaisir :

 

j’aime à fleurir

clan­des­tine­ment

 

m’ouvrir à des nuits étoilées de plaisir

éclater sous la brûlure d’un soleil mâle

 

Com­ment ne pas se sen­tir envahi quoique pleine­ment en accord, emporté par la mélodie d’un grand Pan retrou­vé, revenu d’une éter­nelle absence, celui dont Michelet pleu­rait la dis­pari­tion aux rivages de l’Égée après que s’y fut enrac­iné le moral­isme judéo-chré­tien ? Quel plaisir donc  — et le mot est char­nu, gorgé comme fruit à la fin de l’été —  de lire, de dire ces vers libres de leur pleine lib­erté, ces cadences brèves et longues tirées par les vents des désirs et des effrois !

Salines, avec ses poèmes, ses images, ses rac­cour­cis par­fois sauvages, par l’innocence non dépourvue de rus­es et de sub­til­ités de ses inven­tions, par ses assem­blages ver­baux inouïs, nous plonge sans crier gare dans ce qu’une pen­sée poé­tique renais­sante  — celle de Rabelais et de Ron­sard notam­ment, que précédèrent des fabli­aux sou­vent chargés d’autant de frus­tra­tion que de drô­lerie – cher­chait et retrou­vait si bien en écar­tant les déguise­ments des tra­di­tions guindées et guidées depuis les Pères de l’Église et la Rome vat­i­cane. Dans Salines, le carpe diem,  n’a plus à se sig­naler comme ambi­tion et désir, car il est, désor­mais et explicite­ment, l’existence elle-même, son pro­jet de vivre, sa réal­i­sa­tion la plus entière imag­in­able. Cela se dit dans une langue mag­nifique, dans l’inattendu des sen­sa­tions traduites, cueil­lies et éprou­vées à l’unisson :

 

sur mes désirs parallèles

j’ai ten­du des ponts

des passerelles instinctives

pour attir­er la foudre

bal­afr­er la plénitude

de mes courbes peut-être trop

mater­nelles

 

Cela se dit avec plus d’instinct encore, dans la cru­dité fraîche du mot sen­si­ble et juste, dans la sim­plic­ité des évi­dences toutes accept­a­bles, toutes acceptées :

 

je suis une bête de lit
miauleuse jouisseuse
une arche de tendresse
une manne une nef
je suis un souf­fle une fièvre
une fente à polir

 

Cela se dit de cent façons, et tou­jours dans une mag­nif­i­cence ver­bale qui émeut ! Cette poésie, sans aucun doute, m’émeut jusqu’à la moelle des os, et j’en jouis sans me lass­er. C’est la parole de célébra­tion de ce qui existe : de ce qui est par con­séquent. Foin des sub­tiles et col­lantes bar­rières par lesquelles des philosophes, mais aus­si des poètes en forme de pois­sons froids, voudraient quadriller le vivant, le chang­er en spec­tre, en pur con­cept, en reg­istre cadas­tral… J’aime ici la saline sen­su­al­ité, l’aveu sans détours de la splen­deur des mou­ve­ments libérés par et à tra­vers la puis­sance de vie du corps, des corps… Oui, c’est beau, et très « entre­prenant » au sens où il faut se percevoir en vision totale pour entre­pren­dre d’être. Au risque de ma banal­ité, je lis le chant joyeux de ces vers comme un hymne à la joie, comme la délivrance pre­mière, l’entrée dans le jour, au matin où tout commence…

 

La célébra­tion est un reg­istre qui s’affronte aux dan­gers du répéti­tif, de la solen­nité et de l’ennui. Cathy Gar­cia s’en évade comme le papil­lon, avec la grâce val­sante de l’inspirée. Elle mul­ti­plie les points de vue, les approches, les sit­u­a­tions ; ni l’air ni l’eau ne lui man­quent et ne nous man­quent, ni le ciel ni la terre, ni la nuit ni le jour, ni les frimas ni les chaleurs. Le monde créé est, de par sa nature, une total­ité de nature. Tout le recueil vibre sour­de­ment, et non moins lumineuse­ment, de ce con­traste implicite entre le jardin de la Créa­tion que nous n’avons plus que le choix de regarder en songe, et ce jardin mutilé que, sous nos yeux, salit et mar­tyrise la moder­nité cupi­de. La poétesse Cathy Gar­cia — elle ne récuse pas ce beau titre ! — n’écarte jamais l’homme,  je veux dire le mâle, le por­teur de phal­lus immod­este ou dom­i­na­teur —  cet impor­tun majeur qu’elle veut allié, com­pagnon non pas adouci, ni domp­té, mais com­plice nécessaire :

 

je cours encore après toi

ani­mal intrépide 

aux mains si fines

homme riv­ière aux étreintes

mille fois renouvelées

homme si vaste

aux bras de sable

homme pro­fond

de sagesse infinie

 

 

De cette con­fi­ance, de cette com­plic­ité amoureuse nais­sent des sen­ti­ments d’une autre sorte. Nous glis­sons soudain sur le ver­sant périlleux et boulever­sant des choses : la con­science se fait jour  — aiguë comme la mor­sure d’une bête ven­imeuse —  de la fragilité de toute con­struc­tion ou représen­ta­tion du monde et de soi. La men­ace, fût-elle masquée par l’attente des bon­heurs, est per­ma­nente, aux aguets, prête en un instant à jeter à bas l’édifice de notre vie. Elle sur­gi­ra du nœud même de l’amour :

 

l’illusion

est si belle

 

vaut bien la blessure

que tu ne man­queras pas 

de me faire

 

Elle sur­gi­ra de notre pro­pre faib­lesse  — « et si l’on n’était pas aus­si fort / que l’on croy­ait ? » —  comme de la puis­sance qu’il est besoin de déploy­er, tou­jours, jusqu’à l’épuisement de nos forces, pour se tenir en vie d’abord, puis « faire tourn­er le monde / à l’envers ».

 

Elle sur­gi­ra, en dépit que l’on danse « la danse dis­solue / des algues amnésiques », de notre fragilité, de la fugac­ité du temps qui est notre loi et notre geôle ! C’est là source d’une crainte et d’un vac­ille­ment constant :

 

ne pas se prendre
le plein fouet
le ver­sant nu de nos extrêmes
fragilités

 

Le désor­dre cos­mique est aus­si un ordre immuable qui ne peut être refusé ou nié. L’âme s’y veut au large, s’y crée son espace ensoleil­lé d’un moment ; mais le cœur, s’il fut un jour « chas­seur soli­taire »eh bien, il n’en fini­ra pas de 

Soli­tude
le cœur dans son terrier
un lapereau tremblant

 

De cette tragédie dis­crète qui touchera cha­cun de nous, dans un désamour, un recoin d’hôpital ou un lit famil­ial, Cathy Gar­cia-Canalès ne fait pas tout un drame ! —  car, si « nos mains [ne sont]  rien que des oiseaux  dans la cage du temps », notre flamme de plaisir et de vie, dés­espérée noblesse, réside en fin de compte dans ce qui leur est propre,

 

le geste

tou­jours neuf

 

 

L’oubli dans lequel a som­bré aujourd’hui la poésie rejoint le tré­fonds de l’obscurantisme. Les poètes n’en ont cure, ils et elles chantent dans l’arbre, sous le ciel. De Marie de France à Louise de Vil­morin, d’Anne des Mar­quets à Marie Noël, en cas­cadant de Per­nette du Guil­let à Louise Labé, Marce­line Des­bor­des-Val­more, Anna de Noailles et  — bien sûr – jusqu’à Madame Colette, le long poème écrit par les femmes dans cette langue sub­lime encore appelée française, est ce ruis­seau clair et cour­tois, tour à tour ensoleil­lé et ombré, sen­suel et incisif, qui mur­mure et chu­chote comme l’esprit du monde vivant. Il coule de source anci­enne et nou­velle par le sous-bois de la forêt lit­téraire où les hommes se sont faits chas­seurs abso­lus, dom­i­na­teurs sans partage. Cathy Gar­cia-Canalès est de cette eau pure, de cette force infinie et loin­taine des fontaines résur­gentes. Elle est la per­le qui fait la for­tune du pêcheur de per­les. Cer­tains l’ont déjà décou­verte, et je suis des élus. Mon admi­ra­tion est sans mesure. Je voudrais seule­ment la ren­dre à sa lignée, à cette foi con­fi­ante en l’unité, en la beauté pos­si­ble, qui lui fait écrire :

 

je cours encore après toi

homme qui sait la danse

homme loup qui me chasse

nuit après nuit

en mes forêts perdues

 

je cours encore après toi

magi­cien de la terre

aux savoirs de nuit

                                                                                           

 

 Michel Host 

 Octo­bre 2007

 

D’autres poèmes de Cathy Garcia

 

3 poèmes extraits des Chroniques du hamac

et deux citations

 

                                     Des oiseaux chantent la nuit

comme en plein jour

 

envoûté par la voix

de Sainkho Namtchylak

le hamac fait voile

vers un lever d’étoiles

 

de la fleur à l’arbre

tout cherche à croître

cha­cun à son rythme

crois­sance jouissance

 

appren­dre à goûter

sans l’immédiate torsion

du désir qui creuse

son trou

son manque

 

trans­mu­ta­tion

âge de plomb

la leçon que nous palpitent

tous les papil­lons de nuit

 

accepter l‘impermanence    

la pépite si précieuse

du présent

 

sen­tir le fourmillement 

des racines

la plante

des pieds

 

longue­ment

s’étirer vers le ciel

 

 

                                     Nos mains dans la pâte

mes yeux dans les siens

Ce que j’apprends à ma fille

C’est moi qui dois l’apprendre

 

vie don­née

couteau plan­té

 

le bois disparaît

la pierre demeure

 

la pierre

est gar­di­enne de mémoire

 

le bois l’homme

l’homme est un arbre

 

l’homme est l’arbre

qui a aimé le serpent

 

écaille écorce

écoute

 

les pier­res

racon­tent

 

 

                                     Peu­ple hyperactif

peu­ple fou

peu­ple malade

 

mais tous en marche

de toute façon

alors poète

tu dois stop­per le monde

t’étirer à loisir

dans l’instant

éter­nité

 

tu témoignes

tu n’as pas le choix 

tu es le témoin

tu n’as pas à expliquer 

seule­ment dire 

l’indicible

l’inconnaissable

 

jon­g­leries des trans­fuseurs de lune

acro­bates funam­bules qui dans le vide

font le grand mot périlleux

 

les poètes je ne les con­nais pas

mais par­fois

ils me reconnaissent

 

les poètes      est-ce ?

doit-on dire d’une femme

qu’elle est poétesse ?

 

que le poète choisisse

son sexe d’ange

mâle femelle

pan­da chamelle

sexe à la bouche

pour garder les mains

libres de l’écrire  

 

 

                                      Ici est le pays caillasse 

la terre rare et pauvre

n’y retient pas la pluie

 

le soleil y polit ses os

le sang  se calcifie

le cœur ralentit

la parole s’épuise

 

le regard se creuse pour accueillir

ce que les mains ne savent retenir

 

ici pour­tant en ce sobre écrin

le ver encore luisant

voit fleurir l’orchidée rare

 

au pied des chênes

des dia­mants noirs

dor­ment en rond

se dressent soudain

mégalithes plus anciennes

que la mémoire

 

dans les souch­es les murets

vivent des créa­tures cachées

peut-être des gnomes

ou bien des fées

des êtres de sève

et de lune

 

ici les amis finis­sent à poils

ou à plumes

et on se surprend

à par­ler aux herbes

 

ici l’obscurité a des reflets

au fond des puits précieux

gisent des clés

mais rien ne se dit

tout se tait

 

ici s’achèvent les cycles

grande mer minérale

sa longue chevelure

agitée d’oiseaux

 

Deux cita­tions :

 

L’écriture est le chemin qui me con­duit aux hommes.  Je com­prends mieux ce qu’ils écrivent que ce qu’ils disent.

 

L’écriture est mon hamac, la mère que je n’ai pas eue.

À moins qu’elle ne soit juste un lièvre rose.

 

 

Le recueil « Celle qui manque », pub­lié aux édi­tions Aspho­dèle en 2011, étend et explicite le pre­mier vers de la sec­onde de ces cita­tions.  Il s’ouvre ainsi :

     « En manque de lait, sang, ciel. Socle dyna­mité. Ma vie cul de jat­te. Avancer à la seule force des bras. Je les voudrais ailes. Je la voudrais Elle. La créer de toute la force de mes rêves estropiés. Je la voudrais ten­dre. Ne plus rien atten­dre. Je la voudrais aimante. La tran­chante, acide, dure mère. Du nec­tar de ma vie, vinai­gre. La mère venue du nord aux yeux de brume. Intouch­able. Par­le trop, ne dit rien. Un vide qui ne se comble pas. Con­fu­sion, con­tu­sion, ressentiment.

J’ai trop man­qué d’amour ! »

 

Deux poèmes extraits de « Ailleurs sim­ple », recueil pub­lié en décem­bre 2012, aux Édi­tions Nou­veaux Dél­its, avec les illus­tra­tions de Jean-Louis Millet

TEMPLE

Une cloche

Et la montagne

Des roches et l’or pur

Qui coule et saigne

Sur le poli des murs

Une cloche et la montagne

 

CHANTICO NEGRA

Une petite déesse noire

Aux grands yeux d’obsidienne

Un frag­ment d’étoile vive

Arrachée à la nuit, là-bas

Où la femme de l’aube

Se baigne nue dans le fleuve

Nue et noire

Ruis­se­lante de lune

 

Pub­li­ca­tions de Cathy Garcia :

UN VANITY DE VANITÉS Asphodèle 2012 
AILLEURS SIMPLE éd. Nouveaux Délits 2012 
CALEPIN PAISIBLE D’UNE PÂTRESSE DE POULES
éd. Nouveaux Délits – Coll. Les Délits Vrais : n° 2 – 
2012 LES MOTS ALLUMETTES éd. Cardère 2012 
QUÉ WONDERFUL WORLD éd. Nouveaux Délits - Coll. les Délits Vrais : n°1 - 2012 
PURGATOIRE DU QUOTIDIEN 32e mi(ni)crobe, janvier 2012
LE POULPE ET LA PULPE éd. Cardère 2011 
CELLE QUI MANQUE, éd. Asphodèle 2011 
JARDIN DU CAUSSE, éd. de l’Atlantique 2010 (autoédition 2004)
ESKHATIAÏ éd. de l’Atlantique 2010 
(comprenant SALINES autoédition 2007 et MYSTICA PERDITA autoédition 2009)
ÉTATS DU BIG BANG, éd. Nouveaux Délits 2010 
TRANS(e)CRÉATION ou l’art de sabrer le poulpe et la pulpe, éd. Dlc 2009
NOUVELLE HISTOIRE DE LA CHÈVRE DE MONSIEUR SEGUIN (conte - autoédition 2008) 
CHRONIQUES DU HAMAC (autoédition 2008)
OMBROMANIE, éd. Encres Vives 2007
LES ANNÉES CHIENNES (Série autodigestion, autoédition 2007)
GRIS FEU, Ambition Chocolatée et Déconfiture (Collection de poésie, n°1, 2003) 
PAPILLON DE NUIT, éd. Clapàs 2001 
FRAGMENTS DE TOUT ET DE RIEN, éd. Clapàs 2001 
PANDEMONIUM 1, éd. Clapàs, 2001. 

 

BIOGRAPHIE

 

Cathy Gar­cia, née en 1970. ex-artiste de théâtre de rue, prin­ci­pale­ment avec les Plas­ti­ciens Volants (1991–2003). Aujourd’hui auteur et artiste plas­ti­ci­enne (http://cathygarcia.hautetfort.com/ et ghttp://gribouglyphesdecathygarcia.wordpress.com/). Fon­da­trice de la Revue Nou­veaux Dél­its (juil­let 2003) et de l’association du même nom (2009) : http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/ et http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/. Ses œuvres illus­trent des revues et des recueils de poésie. Elle fait égale­ment des notes de lec­tures (lit­téra­ture et poésie adulte et jeunesse) pour divers sites et revues lit­téraires et de la pho­to en ama­teur (http://imagesducausse.hautetfort.com). A exposé à Cahors, Tarbes, Tours, Limogne-en-Quer­cy, Château de See­dorf (Suisse), Limo­ges, Cajarc, Souil­lac… Pub­liée (et traduite) dans de nom­breuses revues en France et à l’étranger.

 

 

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AUTRE(s) CHOSE(s)

 

L’art de la Ques­tion (12 inter­ro­ga­tions fondamentales).

 

2012 – Fin de l’année. Il a plu ces derniers temps, et il fait chaud : sur les Boule­vards des maréchaux nous aurons des bananier et des eucalyptus.

  • Je te mets un chalumeau sous la plante des pieds : sauras-tu retenir tes cris hérétiques ?

 

  • Sur le boule­vard Richard Lenoir, aurons-nous des palmiers dat­tiers ou des fraisiers du Gabon ?

 

 

  • « La qual­ité d’ambassadeur

Peut-elle s’abaisser à des con­tes vul­gaires ? » (Jean de La F.)

 

  • Par le trou dans le mur, l’œil du voyeur… et si j’y plan­tais ce clou pour accrocher mon Déje­uner sur l’herbe ?

 

  • Dans l’abîme où nous courons trou­vera-t-on l’accent que l’on voy­ait en haut de la cime ?

 

  • Est-il vrai que Satan revint auprès de saint Pierre pour lui ren­dre M. Mit­tal, pré­tex­tant qu’il n’en voulait plus en enfer, car il lui avait éteint deux fours en moins de trois semaines ?

 

  • Est-il vrai que sous M. Pal, com­man­dant de Gen­darmerie dans une bour­gade de l’Yonne, les brig­ands des envi­rons ser­raient les fess­es comme jamais ?

 

  • « — Qui te rend si har­di de trou­bler mon breuvage ? — dit cet ani­mal plein de rage. » « – Com­ment l’aurais-je fait, si je n’étais pas né ? »

 

  • Pour être, suf­fit-il de naître ?

 

  • À quoi pense donc l’araignée depuis quinze jours atten­dant le moucheron au cen­tre de sa toile ?

 

  • Venez, venez ! — dit la pucelle. Croyez-vous me faire atten­dre longtemps ?

 

  • À qui l’interpelle : « Je me per­me­ts de prier pour vous. », Emil Cio­ran répond : « Je le veux bien. Mais qui vous écoutera ? »  Et vous, que répondriez-vous ?

 

*

 

APHORISMES

SENTENCES & PENSÉES D’AYMERIC BRUN

II — Inédits / avril – mai — juin 2001 (choix)

 

3 avril. – La gloire de Dieu a véri­ta­ble­ment été ma pre­mière demeure.

9 avril. – Il est quelque­fois extra­or­di­naire­ment doux de pécher.

11 avril. – Qui croirait que cette vie n’est pas extra­or­di­naire­ment heureuse, en voy­ant la plu­part des hommes courir sans cesse de diver­tisse­ments en diver­tisse­ments et de plaisirs en plaisirs ?

12 avril. – Notre état est si mis­érable que nous nous aban­don­nons avec délices à tout ce qui nous empêche d’y penser.

14 avril. – Mal­gré nos dégoûts, mal­gré nos trist­esses, nous sommes extra­or­di­naire­ment attachés au monde.

16 avril. – Où la mort nous précipite-t-elle ?

18 avril. – Pourquoi désiré-je si vive­ment me rap­pel­er l’homme que j’ai pu être, ses goûts, ses pen­sées, ses mépris ? Est-ce parce que j’éprouve le sen­ti­ment qu’une par­tie de ma vie est désor­mais achevée, et que je n’aurai bien­tôt plus rien en com­mun avec celui que j’ai autre­fois été ?

21 avril. – Ce qui n’a jamais été, existe.

23 avril. – Com­ment ne pas sans cesse bat­tre intérieure­ment des mains en lisant La Princesse de Clèves ?

25 avril. – Il me sem­ble par­fois qu’un voile invis­i­ble me sépare des hommes.

26 avril. – Dieu se délecte des souf­frances de ses enne­mis, comme des tour­ments des réprouvés.

28 avril. – J’ai longtemps joui avec une volup­té pro­fonde des plaisirs que je goû­tais dans le monde. Leur douceur me ravis­sait et fai­sait mes délices.

29 avril. – Je pense quelque­fois à mon ago­nie avec une angoisse inexprimable.

30 avril. – J’ignore si un Dieu m’a créé.

3 mai. – Je n’ai pas désiré être.

4 mai. – Je m’abandonne par­fois fugi­tive­ment au monde.

6 mai. – Je ne puis savoir pourquoi je vis et dois mourir.

8 mai. – J’apprécie extra­or­di­naire­ment cer­tains mots. Leur saveur me rav­it, leur son m’enchante ; je me les dis et redis avec délices ; je me délecte de leur den­sité et de leur ron­deur ; un sen­ti­ment de pléni­tude m’envahit chaque fois que je les rencontre.

10 mai. – Je doute d’être au monde, tant le lieu où je vis me sem­ble irréel.

12 mai. – La langue de peu de livres me sem­ble plus par­faite, et m’agrée davan­tage, que celle d’Emile et Sophie.

14 mai. – L’idée d’un Dieu sou­verain, créa­teur de l’univers et dis­pen­sa­teur de bien­faits, est si sim­ple qu’elle répugne à la rai­son. Seuls des peu­ples grossiers ont pu la con­cevoir. Com­bi­en néan­moins elle est récon­for­t­ante, et comme on souhait­erait qu’elle soit vraie !

16 mai. – La splen­deur de la nature, sa prodigieuse diver­sité, m’inspirent un émer­veille­ment extraordinaire.

19 mai. – Je sais que j’ignorerai, à l’article de la mort, pourquoi j’aurai vécu.

22 mai. – Mes pen­sées ne sont d’abord presque qu’une sen­sa­tion ; mais je les trans­forme en mots ; elles devi­en­nent alors intel­li­gi­bles, et je puis les juger, les repren­dre, les refor­muler, ou même les écarter.

24 mai. – Ouvert le Jour­nal de Gide, poussé par le désir de relire Numquid et tu… ?

26 mai. – Qui en moi-même s’est dépris du monde ?

27 mai. – Adam igno­rait qu’il pou­vait péch­er et déplaire à Dieu.

28 mai. – Cer­tains ani­maux sen­tent avec hor­reur approcher la mort.

30 mai. – Com­ment puis-je être à la fois matériel et spirituel ?

 

4 juin. – Rien ne saurait dire l’absurdité, la bassesse et l’abjection de mes rêves.

5 juin. – Sodome et Gom­or­rhe, La Nausée, Rome, Naples et Flo­rence…, livres sans beauté, sans grandeur.

7 juin. – Emile Zola est un immense créa­teur, – et un mag­nifique styliste.

8 juin. – Je feuil­lette les Mémoires du car­di­nal de Retz. Ils sont pleins de nég­li­gences admirables.

10 juin. – Il est sin­guli­er que j’aie lu tant de livres du XXe siè­cle, alors que ma préférence est tou­jours allée aux écrivains des XVIIe et XVIIIe.

11 juin. – Il me sem­ble par­fois que je suis devenu invisible.

12 juin. – Il y a des athées dans chaque religion.

15 juin. – J’oublie à chaque instant presque tout ce que je viens de penser et de voir.

16 juin. – J’aurais tant voulu ne pas être !

17 juin. – Je n’ai plus d’attache au monde, ni à moi-même.

19 juin. – Je m’étonne et m’effraie de sen­tir que je suis.

20 juin. – Je ne puis souf­frir que Dieu ordonne à son peu­ple de tuer tous ses enne­mis, violant ain­si le com­man­de­ment qu’il lui avait donné.

21 juin. – Je sais que je suis né et que je mour­rai, mais j’ignore pourquoi.

23 juin. – Qu’est-ce qu’une pen­sée, sinon un sen­ti­ment, une sen­sa­tion, que notre esprit, for­mé par des années de con­ver­sa­tions et de lec­tures, est capa­ble de trans­former en mots qui pour­ront être com­pris par tous nos semblables ?

25 juin. – Je vois des hommes qui entrent dans la mort avec un mélange d’indifférence et de mépris.

27 juin. – L’âme qui a longtemps vécu à l’écart du monde con­serve dans ses plus grands débor­de­ments une nos­tal­gie de la solitude.

29 juin. – Les Hébreux ne craig­naient pas les châ­ti­ments dont Dieu les avait menacés.

 

30 juin. – L’impuissance où je me trou­ve de con­naître la vérité m’inspire une pro­fonde indifférence.

Aymer­ic BRUN

 

Je reprends ici, en par­tie, ce que je dis­ais des pen­sées & sen­tences d’Aymeric Brun dans Le Scalp II : un choix implique une inter­ven­tion, et même une sorte de cen­sure dont la seule excuse serait ici le trop-plein, l’extrême abon­dance. Ce n’est pas cela : d’abord la réflex­ion d’Aymeric Brun me touche parce qu’elle ne pré­tend pas briller absol­u­ment, ni débor­der l’esprit du lecteur par le rire, l’ironie ou la facile drô­lerie qui la rendrait pop­u­laire. Ensuite, elle se lim­ite le plus sou­vent à sa per­son­ne, à ses ques­tion­nements, à ses inquié­tudes (c’est le fait d’une vérité intérieure, et en cela poé­tique) qui par­fois répon­dent aux nôtres, même autrement formulés.

Les choix, en revanche, se sont ici faits con­tre des pentes per­son­nelles, afin de laiss­er ces pen­sées vagabon­der autour d’un divin, ou d’une divinité à laque­lle il m’est impos­si­ble de croire. Qu’importe, cha­cun est soi-même. Et il m’a fal­lu éla­guer, car plus ce Dieu se fait loin­tain et invis­i­ble, plus il occupe les esprits. J’ai eu pitié de moi-même en tout pre­mier lieu, et de tous ceux à qui il ne fait ni chaud ni froid. En échange, quoique ne voy­ant pas en Zola « un immense styl­iste », ni un si mau­vais livre en Sodome et Gom­or­rhe, je con­cours à penser qu’on peut désir­er n’être pas, se mon­tr­er indif­férent à con­naître des vérités pas­sagères qui sont les erreurs de demain matin, s’éprendre puis se dépren­dre du monde, ne pas trop savoir ce qui nous aura valu le sort de vivants éphémères, recevoir de la mort plus de leçons de la part des ani­maux que des humains… et bien d’autres choses de ce genre. 

Je con­firme que : c’est la pen­sée de l’autre qui fait ma pen­sée et nous met « en con­ver­sa­tion ». Mon­taigne avait repris l’idée de quelque ancien, pour nous en nour­rir.  M.H.

A suiv­re…

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FEU(x) SUR DAME POÉSIE

 

Il est plusieurs façon de faire feu : sur qui l’on attache au poteau : il y fau­dra tout un pelo­ton d’exécution, d’ailleurs dif­fi­cile à réu­nir ; et sur qui l’on allume les flam­beaux pour voir briller ses joues, son front, ses yeux. Nous préférons user de cette manière. De la pre­mière, beau­coup moins, et s’il se peut jamais, quoiqu’il faille bien, par­fois, que jus­tice soit faite. 

« Dame Poésie » — ne sig­ni­fie nulle­ment que Le Scalp en feu ne trait­era que de la poésie des poétesses.

(en dépit des apparences) [ajout 1]

« Le Poète avec ou sans recueil » — sig­ni­fie que des débu­tants, voire des incon­nus pour­raient se voir ici scalpés sans plus de façons !

 

 

Pas­cale de Trazegnies

 

ADORER (L’HOSTIE ROUGE)

Ador­er. Quand plus rien ne reste. La beauté. Dou­ble. Et son con­traire. Eucharistie. Le trou dans le soleil doré. Le trou blanc de l’hostie. Le creux blanc de Dieu. Leur dieu. Mon dieu est rouge. Rose mourant. Hostie noire des pornographes. Sur le jour­nal des obscènes. Ador­er. L’hostie rouge. Rose passé. Amère.

Entr­er dans le céna­cle. A pas lents. A pas trem­blants. L’eau bénite sur mes doigts. Sur ses lèvres. L’eau au goût de béni­ti­er. Croupie. Divine et croupie. Sa croupe. Ma croupe. Dans le bleu de la cav­al­cade céleste. Du bleu amer sur les larmes du Christ. Et les siennes. Quand on ne les voit pas. Der­rière. Der­rière les voiles. Les persiennes.

Perse ? Percez le ton­neau. Per­sépo­lis. Et la Thrace et la Perse que je trace et je perce.

Sa dévo­tion tout con­tre. Illu­minée. Une obscu­rité qui se retourne en lumière. Une froideur en chaleur. Et la loupe. La chaloupe. De sa trans­fig­u­ra­tion sous le désir. Des flammes jail­lis­sent en auréoles de ses seins aux mamel­ons petits. De ses seins pri­apiques et forniquent. Forniquent les dieux ter­restres à défaut de pénétr­er un ciel. Immor­tels en cet instant.

Coule, lave ! Coule, flam­beau ! Mouille de ta voix lâchée le bas de mon échelle. Je ren­tre dans le Saint des Saints. Et jamais ne me retire ma con­tri­tion sen­si­ble. Jamais ne me ren­voie au trou­peau. Jamais ne ferme la porte de bronze. Ou je meurs avec toi. Et nous mourons de ne pas croire. En la fourche. L’enfourchement de la fourche. Et le repos. Béni soit le spec­tre de la désolance, de l’abandon, le sperme spec­tre qui anni­hile la terre, qui tue la matière vers toi, sorte de Dieu. Et tu tends tes mains. Tu écartes les bras. Venez à moi enfants ! Et nous ne venons pas. Si, nous venons. Nous ne savons pas vers quoi nous allons, mais nous venons. Sans regarder, dans le tun­nel. Nous venons.

Cette empreinte indéfiniss­able quand le mem­bre est pris dans la gaine bleutée, car bleu est notre désir et bleu est notre plaisir, le cœur qui s’arrête et les veines qui se gor­gent. Gorge. Vers quoi ? Vers quoi ? Des extases, stases, apo­s­ta­tiques Stasi absente de ça des strates de la sat­is­fac­tion sex­uelle savam­ment orchestrée par le savoir et non. On ne sait rien. On avance et on avance. Béli­er vers la porte d’airain. Et plus tard la délivrance.

A jamais

Le fra­cas de la porte lourde et les flots qui roulent. Ravageurs. Des frag­ments de délire lâchés en un frag­ment de sec­onde que l’Etre d’en haut nous a don­nés ici-bas dans nos êtres d’en bas. Nous croyons ? Croyons quoi ? Qu’il s’est remisé là. Et nous le forçons. Nous le dépeçons. Nous le soumet­tons par l’enfonce. L’enfonce. Acculé. Enculé. Dieu. De nos misères.

Ça y est. Il m’a souri. Il m’a dit : bien mon garçon. Et je pleure de mon bon­heur, de mon délire, de mon délice. Ma verge comme mon spec­tre a touché le roy­aume et Dieu a dit « bénis soient ses enfants ».

Je suis ton enfant.

Enfante-moi à jamais dans tes grandes jambes à la douceur pis­til de fleur, enfante-moi, crée-moi, je me donne à toi, prends, et ne me lâche jamais.

Les pleurs

La mer

Au bout la mer

L’Amer

Et ses doigts sales sur ma peau tarzanienne.

Der­rière la porte, il y a

 

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LIEUX DE POÉSIE

4 lieux

Lieu 1

  • Ce petit homme qui marche sur la route, pourquoi garde-t-il son cha­peau vis­sé sur la tête ?
  • Il n’a donc per­son­ne à saluer ?
  • Mes­dames, messieurs, il tient surtout à ne pas être scalpé.

 

Lieu 2 : Les Boss­es

  • Le petit Bébert, qui ne cherche que plaies et boss­es, m’en a fait une sur l’occiput. Ah, le fils de… !

 

  • C’est injuste, je n’ai jamais eu la bosse des maths, pleu­rait la baleine à bosse.

 

  • Com­bi­en de boss­es le dro­madaire ? Com­bi­en le chameau ? Cela fait par­tie des grands mys­tères de la créa­tion, bien avant celui de la sainte Trinité.

 

  • Cet illus­tra­teur ne des­sine que d’après la bosse. ‑Juste­ment, oui, des dro­madaires et des zébus.

 

  • Vous trou­vez ça amu­sant, vous, ces his­toires de boss­es ?  ‑Venez, dan­sons la bossa-nova.

 

  • ‑J’ai eu la bosse des affaires.  – Elle se sera donc dégonflée…

 

  • Ce petit bon­homme sec comme un coup de trique dis­ait à qui voulait l’entendre qu’il avait roulé sa bosse. Il n’eut pas de con­tra­dicteurs car ce que les gens préfèrent c’est arrondir les angles.

 

 

Lieu 3

À la page 588 du 6e vol­ume de mon Lit­tré (édi­tion Gal­li­mard / Hachette, 1971) j’ai trou­vé votre ptéry­gion. C’est, en zoolo­gie, le nom de l’aile du nez chez les mam­mifères. Autre­fois, j’aimais bais­er douce­ment votre ptéry­gion. D’ailleurs, vous et moi sommes bien des mam­mifères, n’est-ce pas ?

   

 

Lieu 4 : Les Trous

 

Il en est partout, de toutes formes et inten­tions. Les trous, grands ou petits, pro­fonds ou à fleur de peau, sont de ver­tig­ineux mystères.

 

  • Le trou de la ser­rure m’a offert la vision récon­for­t­ante d’un authen­tique mobili­er Louis XV.

 

  • Par un trou de souris j’ai vu pass­er des dames volu­mineuses et des messieurs à l’embonpoint stupéfiant.

 

  • Dans un trou de mémoire j’ai per­du votre visage.

 

  • Un trou nor­mand m’a ren­du la mémoire. Plus belle que vous, je meurs !

 

  • Un trou dans la terre, à quoi ça sert ? Ne répon­dez pas tous en même temps.

 

  • Le trou de la Sécu, n’a‑t-on vu ça qu’en France ? – Non. Il se creuse, il se creuse, il est aux Antipodes.

 

  • J’ai un trou dans ma chaus­sette. J’ai froid au pied.

 

  • Un trou dans la terre, ça sert aux enterrements.

 

  • Soyons sérieux. Pour faire rire son bébé, la maman lui dit : qu’est-ce que c’est que ce troutrou dans ton pyja­ma ? Mais quand même, c’est un trou, non ?

 

  • Faux ! C’est un trou-là-là-itou !  — Itou ? Comme vous y allez !

 

  • Ce mon­sieur a fait son trou. – Bra­vo. Qu’on l’y mette.

 

  • Un trou-madame, qu’est-ce que c’est ?  — Pas ce que vous croyez, vilain per­son­nage. – Moi je sais : en français d’autrefois, c’était un juke-box sans l’électricité.

 

  • Comme il avait un trou dans son emploi du temps, ce mon­sieur qui avait de la suite dans les idées fit ses dix-huit trous au Golf de Trouville.

 

 

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Fin de Scalp 3 – décem­bre 2012

 

 

 

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