Maria Mailat, Brancusi ad aeternitas

Par |2025-09-06T16:13:20+02:00 6 septembre 2025|Catégories : Critiques, Maria Mailat|

Douze ans après une pre­mière biogra­phie de Con­stan­tin Bran­cusi (1876–1957) pub­liée par les Edi­tions Tran­signum1, Maria Mailat nous donne une sec­onde étude sur le sculp­teur roumain. Ce sec­ond vol­ume vaut son pesant d’éternité par la triple ascèse du sculp­teur, de l’auteure, et de l’illustratrice. 

Depuis presque un quart de siè­cle, Wan­da Mihuleac pub­lie des livres de bib­lio­philie (plus de cent cinquante à ce jour) en assur­ant la col­lab­o­ra­tion entre auteurs, illus­tra­teurs, et musi­ciens. Evolu­ant du livre d’art au « livre de per­for­mance, » elle encour­age les poètes à offrir leurs mots dansants à des affinités mul­ti­ples. Ici il s’agit d’un livre à douze mains, com­mençant avec une pre­mière « tra­duc­tion » de l’œuvre et de la vie de Bran­cusi par Maria Mailat, suivi d’une tra­duc­tion du texte de Maria Mailat en roumain ; à ceci il faut ajouter la « tra­duc­tion » jumelle visuelle par Natia Zhva­nia du texte de Maria et des sculp­tures de Bran­cusi. Il en résulte un poème réc­i­tatif accom­pa­g­né d’un enreg­istrement sur une musique d’Alexandre Gherban, lu par Luci­enne Deschamps. https://soundcloud.com/user-281565888/brancusi-ad-aeternitas-francais . Cette inter­pre­ta­tion riche et var­iée sert de test décisif pour décider de la qual­ité poé­tique du texte initial/initiateur. 

Sur ce point, il n’y a aucun doute : Maria Mailat reste le maitre d’œuvre. Con­tre­point des mots, obser­va­tions en fugue, alter­nant entre détails biographiques très pré­cis et boulever­santes con­fes­sions : l’émerveillement vient des plus hum­bles gestes et la fougueuse créa­tion tri­om­phe de tous les obsta­cles. Bran­cusi, homme invis­i­ble dont les traces sur terre furent des plus mod­estes, légua à la France une oeu­vre qui venait des « portes de l’Orient » (Bucarest) et por­tait le sou­venir de la pau­vreté et de la poli­tique qui tuent, mais aus­si des ami­tiés qui font vivre, telle celle qui le lia (Pla­ton) à Erik Satie (Socrate). Maria Mailat évoque ses mus­es, ses échecs, et son geste « qui libère le vol de la pierre. » Elle com­prend son but — « atten­dre le messie, c’est le tra­vail de l’artiste. » Le jour où l’on cesse d’être un enfant, dis­ent Bran­cusi et Maria Mailat à l’unisson, on meurt. Frus­tré par son apparence ter­ri­enne, Bran­cusi fut vis­ité par l’ange avant de s’envoler pour retrou­ver « le Dieu qu’ils servent. »

Tout comme le pre­mier recueil, Bran­cusi ad aeter­ni­tas est guidé par la démarche artis­tique du sculp­teur. Ce sec­ond recueil dépeint toute­fois davan­tage l’homme d’une seule pas­sion qui vécut en marge de toutes les con­ven­tions, et nous rap­pelle que le sub­lime requiert des sac­ri­fices majeurs. Maria Mailat donne la parole à un artiste qui dédia toute sa vie à inter­roger la “forme fer­mée” de la pierre afin de la tran­scen­der. Elle souligne l’absolu qu’il cher­chait à attein­dre, souf­frant dans sa chair chaque fois qu’il tra­vail­lait la pierre. Sa façon organique d’approcher la matière rap­pelle les murs péru­viens de Sac­say­hua­man et les bâtis­seurs préhis­toriques ; il fut, un siè­cle avant la let­tre, un trait d’union entre les tech­niques archi­tec­turales ances­trales et les tra­di­tions paysannes, d’une part, et, de l’autre, la reval­ori­sa­tion de la nature par les écol­o­gistes et la fas­ci­na­tion actuelle pour les civil­i­sa­tions anci­ennes. Car Bran­cusi con­sid­érait qu’une une œuvre était incom­plète sans le tra­vail des forces naturelles de l’eau, du vent, et du soleil. Vivant pleine­ment l’immensité du temps, il lais­sait l’eau creuser une meule – son « autel » — au fil des jours et dis­ait, « une goutte d’eau con­tient Dieu et tout l’univers ». Entouré de ses nom­breux inter­venants, le texte de Maria Mailat achève de libér­er la poésie de Bran­cusi et, réus­site majeure, nous cache la poète afin de mieux enten­dre ses mots inoubliables.

Note

  1.  Maria Maïlat, Con­stan­tin Bran­cusi, vu par Eva Largo. Traduit en espag­nol par Natal­ie La Valle. Paris, Edi­tions Tran­signum, 2013. 75 p. ISBN 978–2‑915862–18‑8.

Présentation de l’auteur

Maria Mailat

Maria Mailat, née le à Târ­gu Mureș en Roumanie, est une écrivaine française d’o­rig­ine roumaine. Elle écrit et pub­lie de la prose, de la poésie, des essais et des tra­duc­tions de poésie du hon­grois vers le français.

Bibliographie 

Romans

  • Sainte Per­pé­tu­ité, ed. Jul­liard, 1998
  • La grâce de l’en­ne­mi, ed. Fayard, 1999
  • Quitte-moi, ed. Fayard,
  • La cuisse de Kaf­ka, ed. Fayard.
  • S’il est défendu de pleur­er, 198 p., Édi­teur Robert Laf­font, 1988, (ISBN 222105430X) ; (ISBN 978–2221054307)
    • Wenn es ver­boten ist zu weinen (Ver­sion traduite en alle­mand) Ver­lag: Volk und Welt, 1991
    • Le roman est traduit et pub­lié en Suède.

Poèmes

  • KLOTHO (pre­mi­ul Voron­ca), Ed. Jacques Bremond
  • Cailles en sar­cophage (Prix du Val de Seine), Ed. Editinter
  • Graines d’Antigone, ed. Editinter
  • Trans-syl­­va­­nia, Ed. Signum
  • Abri/Redos, poèmes traduits en cata­lan par Anna-Maria Core­dor, Ed. Tri­pod (Barcelona)
  • Con­statin Brân­cuși — une auto­bi­ogra­phie, poème en prose traduit en espag­nol par Natalia La Valle, édi­tion bilingue, Ed. Transignum
  • Brân­cusi ad aeter­ni­tas, poème en prose traduit en roumain par Car­men Vlad, édi­tion bilingue, Ed. Transignum
  • Paroles de Vol­can (Vol­cano Talk), poèmes traduits en anglais par Patrick Williams, édi­tion bilingue, Ed. Transignum

Essais et théâtre

  • Silences de Bour­gogne, ed. de l’Ar­mançon (Bourse de lit­téra­ture chez Jules Roy à Véze­lay (Bour­gogne))
  • Wal­ter Ben­jamin et Bertold Brecht, ren­con­tre à Port Bou, pièce de théâtre bilingue, traduite en cata­lan par Anna-Maria Core­dor, Ed. Reremús.
  • Paul Celan ren­con­tre Wal­ter Ben­jamin, essai, post­face à l’édi­tion espag­nole des poèmes de Paul Celan traduits par le poète Anto­nio Pous, Ed. Reremús (Spania)

Nouvelles

  • Intrare liberă, București: Cartea Românească, 1985.
  • Avant de mourir en paix, ed. Fayard, 2000.

Traductions

  • Ago­ta Kristof, Clous: Poèmes hon­grois et français, Carouge, Switzer­land. Edi­tions Zoé. 2016. 200 pages. (poèmes d’Ago­ta Kristof traduits du hon­grois au français par Maria Mailat)

Autres lec­tures

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Alice-Catherine Carls

Alice-Cather­ine Carls est pro­fesseure émérite de l’University of Ten­nessee at Mar­tin aux États-Unis. Diplômée de Paris I‑Pan­théon-Sor­bonne et Paris IV-Sor­bonne, elle est spé­cial­iste de l’histoire diplo­ma­tique, cul­turelle, et lit­téraire de l’Europe des 20e et 21e siè­cles et tra­duc­trice du polon­ais et de l’anglais améri­cain en français et du français et du polon­ais en anglais. Elle a écrit/édité/traduit trente-deux livres et env­i­ron cinq cents arti­cles, tra­duc­tions, et recen­sions pub­liés en plusieurs langues dans une douzaine de pays. Sa co-tra­duc­tion de poèmes de Krzysztof Siw­czyk, A Cal­lig­ra­phy of Days, a été final­iste du Prix Oxford-Wei­den­feld de tra­duc­tion pour 2025. Elle col­la­bore régulière­ment à plusieurs pub­li­ca­tions dont World Lit­er­a­ture Today, Recours au Poème, et Archi­wum Emigracji.

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