Maria Mailat, Brancusi ad aeternitas

Par |2025-09-06T07:26:29+02:00 6 septembre 2025|Catégories : Critiques, Maria Mailat|

Douze ans après une pre­mière biogra­phie de Con­stan­tin Bran­cusi (1876–1957) pub­liée par les Edi­tions Tran­signum1, Maria Mailat nous donne une sec­onde étude sur le sculp­teur roumain. Ce sec­ond vol­ume vaut son pesant d’éternité par la triple ascèse du sculp­teur, de l’auteure, et de l’illustratrice. Depuis presque un quart de siè­cle, Wan­da Mihuleac pub­lie des livres de bib­lio­philie (plus de cent cinquante à ce jour) en assur­ant la col­lab­o­ra­tion entre auteurs, illus­tra­teurs, et musiciens. 

Évolu­ant du livre d’art au « livre de per­for­mance, » elle encour­age les poètes à offrir leurs mots dansants à des affinités mul­ti­ples. Ici il s’agit d’un livre à douze mains, com­mençant avec une pre­mière « tra­duc­tion » de l’œuvre et de la vie de Bran­cusi par Maria Mailat, suivi d’une tra­duc­tion du texte de Maria Mailat en roumain ; à ceci il faut ajouter la « tra­duc­tion » jumelle visuelle par Natia Zhva­nia du texte de Maria et des sculp­tures de Bran­cusi. Il en résulte un poème réc­i­tatif accom­pa­g­né d’un enreg­istrement sur une musique d’Alexandre Gherban, lu par Luci­enne Deschamps. https://soundcloud.com/user-281565888/brancusi-ad-aeternitas-francais . Cette inter­pre­ta­tion riche et var­iée sert de test décisif pour décider de la qual­ité poé­tique du texte initial/initiateur. 

Sur ce point, il n’y a aucun doute : Maria Mailat reste le maitre d’œuvre. Con­tre­point des mots, obser­va­tions en fugue, alter­nant entre détails biographiques très pré­cis et boulever­santes con­fes­sions : l’émerveillement vient des plus hum­bles gestes et la fougueuse créa­tion tri­om­phe de tous les obsta­cles. Bran­cusi, homme invis­i­ble dont les traces sur terre furent des plus mod­estes, légua à la France une oeu­vre qui venait des « portes de l’Orient » (Bucarest) et por­tait le sou­venir de la pau­vreté et de la poli­tique qui tuent, mais aus­si des ami­tiés qui font vivre, telle celle qui le lia (Pla­ton) à Erik Satie (Socrate). Maria Mailat évoque ses mus­es, ses échecs, et son geste « qui libère le vol de la pierre. » Elle com­prend son but — « atten­dre le messie, c’est le tra­vail de l’artiste. » Le jour où l’on cesse d’être un enfant, dis­ent Bran­cusi et Maria Mailat à l’unisson, on meurt. Frus­tré par son apparence ter­ri­enne, Bran­cusi fut vis­ité par l’ange avant de s’envoler pour retrou­ver « le Dieu qu’ils servent. »

Tout comme le pre­mier recueil, Bran­cusi ad aeter­ni­tas est guidé par la démarche artis­tique du sculp­teur. Ce sec­ond recueil dépeint toute­fois davan­tage l’homme d’une seule pas­sion, qui vécut en marge de toutes les con­ven­tions, et nous rap­pelle que le sub­lime requiert des sac­ri­fices majeurs. Maria Mailat donne la parole à un artiste qui dédia toute sa vie à inter­roger la “forme fer­mée” de la pierre afin de la tran­scen­der. Elle souligne l’absolu qu’il cher­chait à attein­dre, souf­frant dans sa chair chaque fois qu’il tra­vail­lait la pierre. Sa façon organique d’approcher la matière rap­pelle les murs péru­viens de Sac­say­hua­man et les bâtis­seurs préhis­toriques ; il fut, un siè­cle avant la let­tre, un trait d’union entre les tech­niques archi­tec­turales ances­trales et les tra­di­tions paysannes, d’une part, et, de l’autre, la reval­ori­sa­tion de la nature par les écol­o­gistes et la fas­ci­na­tion actuelle pour les civil­i­sa­tions anci­ennes. Car Bran­cusi con­sid­érait qu’une une œuvre était incom­plète sans le tra­vail des forces naturelles de l’eau, du vent, et du soleil. Vivant pleine­ment l’immensité du temps, il lais­sait l’eau creuser une meule – son « autel » — au fil des jours et dis­ait, « une goutte d’eau con­tient Dieu et tout l’univers ». Entouré de ses nom­breux inter­venants, le texte de Maria Mailat achève de libér­er la poésie de Bran­cusi et, réus­site majeure, nous cache la poète afin de mieux enten­dre ses mots inoubliables.

Note

  1.  Maria Maïlat, Con­stan­tin Bran­cusi, vu par Eva Largo. Traduit en espag­nol par Natal­ie La Valle. Paris, Edi­tions Tran­signum, 2013. 75 p. ISBN 978–2‑915862–18‑8.

Présentation de l’auteur

Maria Mailat

Maria Mailat, née le à Târ­gu Mureș en Roumanie, est une écrivaine française d’o­rig­ine roumaine. Elle écrit et pub­lie de la prose, de la poésie, des essais et des tra­duc­tions de poésie du hon­grois vers le français.

Bibliographie 

Romans

  • Sainte Per­pé­tu­ité, ed. Jul­liard, 1998
  • La grâce de l’en­ne­mi, ed. Fayard, 1999
  • Quitte-moi, ed. Fayard,
  • La cuisse de Kaf­ka, ed. Fayard.
  • S’il est défendu de pleur­er, 198 p., Édi­teur Robert Laf­font, 1988, (ISBN 222105430X) ; (ISBN 978–2221054307)
    • Wenn es ver­boten ist zu weinen (Ver­sion traduite en alle­mand) Ver­lag: Volk und Welt, 1991
    • Le roman est traduit et pub­lié en Suède.

Poèmes

  • KLOTHO (pre­mi­ul Voron­ca), Ed. Jacques Bremond
  • Cailles en sar­cophage (Prix du Val de Seine), Ed. Editinter
  • Graines d’Antigone, ed. Editinter
  • Trans-syl­­va­­nia, Ed. Signum
  • Abri/Redos, poèmes traduits en cata­lan par Anna-Maria Core­dor, Ed. Tri­pod (Barcelona)
  • Con­statin Brân­cuși — une auto­bi­ogra­phie, poème en prose traduit en espag­nol par Natalia La Valle, édi­tion bilingue, Ed. Transignum
  • Brân­cusi ad aeter­ni­tas, poème en prose traduit en roumain par Car­men Vlad, édi­tion bilingue, Ed. Transignum
  • Paroles de Vol­can (Vol­cano Talk), poèmes traduits en anglais par Patrick Williams, édi­tion bilingue, Ed. Transignum

Essais et théâtre

  • Silences de Bour­gogne, ed. de l’Ar­mançon (Bourse de lit­téra­ture chez Jules Roy à Véze­lay (Bour­gogne))
  • Wal­ter Ben­jamin et Bertold Brecht, ren­con­tre à Port Bou, pièce de théâtre bilingue, traduite en cata­lan par Anna-Maria Core­dor, Ed. Reremús.
  • Paul Celan ren­con­tre Wal­ter Ben­jamin, essai, post­face à l’édi­tion espag­nole des poèmes de Paul Celan traduits par le poète Anto­nio Pous, Ed. Reremús (Spania)

Nouvelles

  • Intrare liberă, București: Cartea Românească, 1985.
  • Avant de mourir en paix, ed. Fayard, 2000.

Traductions

  • Ago­ta Kristof, Clous: Poèmes hon­grois et français, Carouge, Switzer­land. Edi­tions Zoé. 2016. 200 pages. (poèmes d’Ago­ta Kristof traduits du hon­grois au français par Maria Mailat)

Autres lec­tures

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Alice-Catherine Carls

For­mée en Sor­bonne aux let­tres et civil­i­sa­tions alle­mande et polon­aise, tit­u­laire d’un Doc­tor­at d’Histoire des Rela­tions Inter­na­tionales de Paris I, Alice-Cather­ine Carls est actuelle­ment Tom Elam Dis­tin­guished Pro­fes­sor of His­to­ry à l’Université de Ten­nessee à Mar­tin où elle enseigne depuis 1992 l’Histoire mon­di­ale, européenne, et con­tem­po­raine. Elle col­la­bore régulire­ment et/ou fait par­tie du comité de rédac­tion de plusieurs revues et est mem­bre du jury du Céna­cle européen de Poésie, Arts, et Let­tres. Elle partage ses activ­ités entre la recherche his­torique, les tra­duc­tions lit­téraires (du polon­ais et de l’anglais améri­cain en français et du polon­ais et du français en anglais améri­cain), et les arti­cles de cri­tique lit­téraire. Elle a été pub­liée en polon­ais, alle­mand, anglais, et français ; en Hon­grie, Pologne, Alle­magne, Suisse, France, Bel­gique, et aux Etats-Unis.

Ses livres com­por­tent une étude his­torique sur la Ville Libre de Dantzig en 1938–1939, et une his­toire de l’Europe au XXème siè­cle, Europe from War to War, 1914–1918 (Rout­ledge, 2018). Elle col­la­bore régulièr­ere­ment aux revues “World Lit­er­a­ture Today,” “Poésie Pre­mière,” “Le Jour­nal des Poètes,” et « Recours au Poème. » Elle a fait con­naître en français la poésie de nom­breux poètes améri­cains, amérin­di­ens, et polon­ais, dont Stu­art Dybek, Mar­ilou Awiak­ta, Charles Wright, et Ren Pow­ell. Elle a pub­lié plusieurs vol­umes de tra­duc­tions en français (Stephen D. Carls, Józef Wit­tlin, Joan­na Pol­laków­na, Anna Fra­jlich, Jan Kochanows­ki, et Alek­sander Wat), et a intro­duit aux Etats-Unis l’oeuvre de Claude Michel Cluny, Maria Maïlat, Hélène Dori­on, et Marc Alyn.

 

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