Lors de la céré­monie d’in­vesti­ture de Barack Oba­ma comme prési­dent des Etats-Unis, le poète Eliz­a­beth Alexan­der lut un poème. Le poète peut jouer ce rôle dans dif­férentes cul­tures. Mais dans la vie quo­ti­di­enne, et la plu­part du temps, le poète est un mar­gin­al. Un ban­dit soli­taire dans le désert. C’est ain­si en Europe, comme dans le reste du monde.

Nous autres, écrivains, sommes des solistes. Nous célébrons les mêmes ver­tus que les Bédouins : per­sévérance et générosité. Quelques poètes par­mi les meilleurs con­nais­sent la faim et la soif, la pau­vreté héroïque et le désir. Il y a d’autres valeurs que les valeurs matérielles, et main­tenir ce savoir est la tâche de la poésie.

Jamais aupar­a­vant dans l’his­toire mon­di­ale autant d’hommes n’ont été en exil — de nos jours, nous sommes tous des sortes des nomades. Tan­dis que para­doxale­ment, dans le même temps, prospère le nation­al­isme. Nous sommes poètes et rési­dons dans la république lit­téraire. Physique­ment, nous sommes à Shangai, Bogo­ta, Istan­bul ou Copen­h­ague, mais la poésie et notre patrie men­tale et spirituelle.

La poésie n’est pas pour les cho­chottes. Il faut tenir à l’oeil ceux qui ont le pou­voir et par­ler des choses comme elles sont. Si la vérité était sup­primée, les poètes seraient les pre­miers à être enfer­més, et c’est logique. Mais la poésie con­fine à la musique, et quand un poème réus­sit, les mots réson­nent pro­fondé­ment dans l’âme et l’e­sprit. La Bonne poésie est magique.

La poésie doit se dédi­er à la beauté et à la grandeur de la vie — comme aux prob­lèmes de tous les jours des gens ordi­naires. Chercher la vérité revient à chas­s­er des lézards dans le noir, et quelle que soit la façon dont on se tor­tille et tourne, les fess­es sont tou­jours der­rière. Il faut recon­naître hon­nête­ment notre con­fu­sion. L’art cherche une vérité plus pro­fonde que les solu­tions poli­tiques, pour­tant la poésie veut tou­jours être une instance cri­tique avec en plus le devoir de dire la vérité à pro­pos des prob­lèmes réels dans le monde réel.

Dans ce con­texte, il est impor­tant que nous ayons davan­tage de bonnes tra­duc­tions. En tant qu’écrivain européen, je suis pris­on­nier de l’al­pha­bet latin. Les écrivains chi­nois et arabes ont l’a­van­tage, sur leurs col­lègues européens, de lire pour la plu­part d’en­tre eux deux alpa­ha­bets. Com­bi­en d’al­pha­bets y a‑t-il dans le monde? J’ai demandé à ma maman, elle ne sait pas. J’ai demandé au chauf­feur de taxi, il ne peut pas répon­dre non plus.  Per­son­ne ne sait avec cer­ti­tude. Mais il y en a beau­coup, et les alpha­bets chi­nois, hin­di, ben­gali et asi­a­tiques, sont util­isés par un tiers de la pop­u­la­tion planétaire.

Alors, ren­dons hom­mage à nos tra­duc­teurs, ils con­stru­isent des ponts entre tous les alpha­bets du monde, créant ain­si les con­di­tions d’une meilleure com­préhen­sion inter­na­tionale. Espérons en un nou­v­el épanouisse­ment de l’art et de la poésie dans un monde paci­fique. La com­mu­ni­ca­tion inter­na­tionale est plus que jamais impor­tante. La poésie peut con­tribuer à la com­préhen­sion entre les peu­ples et les cul­tures du monde, et con­tribuer au respect de l’in­di­vidu et de son rêve per­son­nel de vie heureuse et har­monieuse. Nous parta­geons tous ce rêve.

 

 

(traduit par Mar­i­lyne Bertoncini)

 

 

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Trapped in the alphabet

                                                                   

When Barack Oba­ma was inau­gu­rat­ed as pres­i­dent in USA, the poet Eliz­a­beth Alexan­der was read­ing at the cer­e­mo­ny. The poet may take on a sim­i­lar role in dif­fer­ent cul­tures. But in every­day life, and most of the time, the poet is an out­sider. A lone­ly ban­dit in the desert. That’s how it is in Europe, and so it is in the rest of the world.

We writ­ers are soloits. We cel­e­brate the same virtues as the Bedouins: per­se­ver­ance and gen­eros­i­ty. Some poets among our best col­leagues know about hunger and thirst, hero­ic pover­ty and long­ing. There are oth­er val­ues than the mate­r­i­al, and retain­ing this knowl­edge is one of poet­ry’s tasks.

Nev­er before in the world his­to­ry have so many peo­ple been liv­ing in exile – today we are all a kind of nomads. It is a para­dox that nation­al­ism flour­ish­es at the same time. We are poets and reside in the lit­er­ary repub­lic. Phys­i­cal­ly we are in Shang­hai, Bogo­ta, Istan­bul or Copen­hagen, but poet­ry is our men­tal and spir­i­tu­al homeland.

Poet­ry is not for sissies. The task is to keep an eye on those in pow­er and to speak about things as they are. If the truth is sup­pressed, poets are the first ones to be jailed, and this is log­i­cal. But poet­ry is adja­cent to the music, and when a poem is suc­cess­ful, the words have a deep res­o­nance in mind and soul. Good poet­ry is magical.

Poet­ry must be com­mit­ted to life’s beau­ty and grandeur – and to the prob­lems of dai­ly life of ordi­nary peo­ple. To seek truth is like hunt­ing lizards in the dark, and no mat­ter how we twist and turn, the ass is at the back. We must be hon­est about our con­fu­sion. Art is in search of a deep­er truth than polit­i­cal solu­tions, but still poet­ry always want to be a crit­i­cal instance with the addi­tion­al duty of telling the truth about real prob­lems in the real world.

In this con­text it is essen­tial that we get more good trans­la­tions. As a Euro­pean writer I am trapped in the Latin alpha­bet. Chi­nese and Arab writ­ers have the advan­tage over Euro­pean col­leagues, many of them read two alpha­bets. How many alpha­bets are there in this world? I asked my Mom, she doesn’t know. I asked the taxi dri­ver, he can’t answer the ques­tion either. Nobody knows for sure, but there are many, and alone Chi­nese, Hin­di, Ben­gali and oth­er Asian alpha­bets are used by more than one third of the plan­et’s population.

So let’s pay trib­ute to our trans­la­tors, they build bridges between the many alpha­bets in this world — and they there­by cre­ate the con­di­tions for a grow­ing inter­na­tion­al under­stand­ing. Let’s hope for a new flow­er­ing of art and poet­ry in a peace­ful world. Inter­na­tion­al com­mu­ni­ca­tion is more impor­tant than ever. Poet­ry can con­tribute to the under­stand­ing between the world’s peo­ples and cul­tures, and con­tribute to the respect for the indi­vid­ual and his per­son­al dream of a life in hap­pi­ness and har­mo­ny. We all share that dream.

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