Raide. Un man­nequin. Et le vis­age figé. Et dans le vis­age, les yeux. Der­rière les lunettes, les yeux, comme des huîtres mortes.

Le nar­ra­teur par­le de sa vieille belle-mère et, juste après, de l’enfant qu’il était le jour du mariage de cette femme avec son père. Il par­le de lui à la troisième per­son­ne : l’enfant ou on. La vielle dame y est pour quelque chose. Tout se passe comme si elle l’empêchait encore, des décen­nies après leur vie com­mune – mais était-ce vrai­ment une vie ? –, de dire je

 

On voudrait ren­con­tr­er son regard, le regard ter­ri­ble d’autrefois, on essaie de lui faire lever les paupières, on ne trou­ve que ses yeux morts.

 

La guerre est finie. La guerre qu’ils ont menée, cha­cun con­tre le camp de l’autre. En face du nar­ra­teur, il n’y a plus per­son­ne. Alors même le pronom per­son­nel qui la désig­nait s’efface.

 

Plus envie de dis­cuter. Veut qu’on lui fiche la paix.

 

Les sou­venirs des batailles anci­ennes remon­tent. Et même les scènes qui pour­raient paraître anodines révè­lent la volon­té de la marâtre de tout contrôler.

 

Elle fait couper les cheveux de l’enfant. Les boucles, l’enfance, c’est fini.

 

Si aujourd’hui elle est sans force, elle en avait à reven­dre autre­fois. Elle s’approchait même de la toute-puis­sance. Elle rég­nait sur son ter­ri­toire et n’aurait pas accep­té qu’on s’y oppose.

 

Cha­cun con­naît son rôle, sa place à table, la chaise où il doit s’asseoir, le lit où il dort. Tout fonc­tionne. On peut vivre indéfin­i­ment sans penser.

 

Très vite, l’enfant com­prend que cette force surhu­maine cache un grand vide. Cette femme est dépourvue d’amour. En elle, quelque chose s’est figé, desséché, est même com­plète­ment mort. Alors elle fait en sorte que tout se fige autour d’elle. La pen­sée, la lib­erté, le goût pour l’aventure et la joie des autres sont abom­inables, sans doute, pour qui en est dépourvu.

On ne peut s’empêcher de penser aux V.F. (Vengeance Fol­coche) qu’un autre enfant a gravés sur les arbres (dans le roman large­ment auto­bi­ographique d’Hervé Bazin, Vipère au poing). Mais l’enfant d’Aucune chan­son n’est douce n’a rien gravé à l’extérieur, lui. Il a ravalé sa haine. En est resté au cha­grin silen­cieux et à l’ennui. A préféré se met­tre lui-même entre par­en­thès­es. Il a en fait passé son enfance à observ­er cette étrangère, arrivée bru­tale­ment dans sa vie, qui n’a eu de cesse d’asphyxier autour d’elle toute vel­léité d’existence. Il n’y a eu ni explo­sions de colère ni insultes, mais la vio­lence n’en est pas moins là, immense. Car frap­per d’interdit une enfance, c’est une vio­lence immense. Danielle Bassez s’empare de ce sujet avec beau­coup de déli­catesse. Elle n’aime rien tant que les détails révéla­teurs, préfère aux larges aplats les petites touches.

La col­lec­tion Grands Fonds de Cheyne accueille des textes « en marge de tout genre lit­téraire cod­i­fié ». Plusieurs autres titres de l’auteure sont disponibles dans cette collection.

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