Comme son roman, Avale, paru en 2011 chez Actes Sud, les nou­velles de Sefi Atta nous entraî­nent dans les quartiers pau­vres de villes nigéri­anes. Cette fois, c’est ce qui per­met de tenir que l’auteure traque : la foi – celle des musul­mans, celle des chré­tiens –, les rêves… La rude réal­ité est présente aus­si. Sefi Atta la dépeint avec des couleurs vives et crues. Le sort des femmes fait l’objet de quelques gros plans, ces femmes que l’on marie à l’âge de qua­torze ans – que l’on aban­donne. On assiste aus­si à la mon­tée d’un autre Islam : la fin de la mix­ité dans cer­taines écoles, dans les bus, l’interdiction de suiv­re les modes ves­ti­men­taires du monde occi­den­tal (le port des talons hauts), la mort par lap­i­da­tion promise aux femmes ayant com­mis un adultère. Face aux injus­tices, face à la mon­stru­osité, les réac­tions sont con­trastées. Une femme est révoltée, l’autre dégoûtée par la révolte de la pre­mière, con­va­in­cue que le pire vient d’Amérique, pays de la débauche et de la cupid­ité. Ce qui frappe – et qui est telle­ment vrai – c’est la facil­ité avec laque­lle on endoc­trine cer­tains jeunes, qui renon­cent à tout juge­ment critique.

L’auteure braque son pro­jecteur sur ceux qui prof­i­tent de la mis­ère : les passeurs, les trafi­quants d’héroïne, les écoles évangéliques, les com­pag­nies pétrolières…

Par­fois, on s’éloigne des plus pau­vres, on approche d’autres com­mu­nautés. Des jeunes qui suiv­ent des études de théâtre, par exem­ple. Ils vivent dans une sorte de bulle, mais cela leur per­met-il d’échapper au marasme ? Ni le théâtre ni la poésie n’empêchent d’avoir faim, de souf­frir d’une pénurie d’eau. Pour­tant, le pub­lic qui rejoint les comé­di­ens, les soirs de représen­ta­tion, attend beau­coup d’eux.

Quand ils venaient, ils croi­saient les bras et voulaient que nous leur procu­ri­ons non seule­ment un diver­tisse­ment, mais une foutue joie de vivre.

Sefi Atta s’intéresse aux vies qui vont de tra­vers, au moment pré­cis où les indi­vidus bas­cu­lent. Alors les comé­di­ens se lanceront dans un vol à main armée.

Les rêves ne durent pas longtemps. Le rêve d’Eldorado, une fois le désert tra­ver­sé, part en lam­beaux con­tre des fils de fer barbelé.

La langue est tein­tée de désespoir.

Dans ma ville, l’eau était couleur arc-en-ciel. Elle avait le goût du pét­role qui s’infiltrait dans notre puits. L’eau du bain, nous la pre­nions au ruis­seau. Celle-là sen­tait l’écrevisse morte. Nos riv­ières étaient mortes elles aus­si. Quand la pluie tombait, elle rouil­lait les toits, flétris­sait les plantes. Les gens qui buvaient l’eau de pluie juraient qu’elle perçait des trous dans leur estomac. 

C’est cela aus­si, le Nige­ria : des hommes qui en sac­ri­fient d’autres pour extraire de l’or noir. Ceux qui s’insurgent et se sou­vi­en­nent d’un autre pays, ceux-là sont par­fois pris pour de vieux fous.

La terre était notre mère, dis­ait-il, et nous nous repen­tirons d’avoir lais­sé des étrangers la vio­l­er. […] Il y a quelque chose de ter­ri­ble dans l’air. Nos saisons ne sont plus comme avant. Nos ancêtres nous en veu­lent. […] Le pét­role est une malé­dic­tion sur la terre, vous m’entendez ?

Alors que le plus grand nom­bre accepte le pire sans bronch­er, ici et là, l’insoumission grandit. Une femme isolée en con­va­inc d’autres.

Nous n’aurons que des palmes à la main, et nous répon­drons à leurs men­aces par des chansons.

Cette immense force-là existe, oui. Elle a même fait ses preuves plusieurs fois. Je pense aux écol­iers de Sowe­to qui ont organ­isé une marche paci­fique con­tre l’apartheid en 1976, chan­té et dan­sé, mar­qué les esprits et fait bougé un peu les lignes. Quand un peu­ple est à genoux, il y a tou­jours cet espoir qu’une voix s’élève et dise :

Nous n’aurons que des palmes à la main, et nous répon­drons à leurs men­aces par des chansons.

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