Les lois du monde sont trou­vées, à moins qu’elles ne soient réin­ven­tées, à par­tir de l’empire du rêve, de l’idée ou d’ailleurs – décroché un moment des don­nées factuelles, fac­tices, fac­ti­cielles, avant retour vers elles mutées. L’ancien texte du monde effacé, le nou­veau texte redé­cou­vre un nou­veau monde.

Véronique Bergen a rassem­blé en Palimpses­tes, quadri­par­ti­tion­nés en Terre et Eau et Air et Feu : des jeux, des ora­cles, des vio­lences, des habita­cles de silence sous les masques col­orés de car­naval, des fêtes lex­i­cales, des cor­po­ral­ités de mots, de dif­frac­tés arts poétiques. 

 

Les mots trop à l’horizontale
échouent à don­ner forme

aux dés­espoirs
dressés comme des pieux

Les mots de com­plex­ion ovale
émoussent

les axiomes acérés
et les vérités véloces

Les mots au teint de porcelaine
plon­gent dans le blême
les harpails bariolés
aux taffe­tas de sang

Les mots de trois syllabes
trahissent les êtres monosyllabiques
qu’ils affublent
de chignons disgracieux

Les mots dopés au vent du « non »
dérobent à la voie lactée
ses pubis stellaires
pour les cer­cler dans l’inabouti.

 

Ses inven­tions, sophis­tiquées ou non, déjoueront les lois sophistes dans un grave car­naval, dans un air de babils de l’enfant mil­lé­naire qui flâne et s’amuse, là tout au fond de la cav­erne aux cent stat­ues de phal­lus blancs et cent stat­ues de vagins rouges. 

Sa pen­sée du cerveau mise en paroles imagées, mise en images parolées, saura tournebouler le vieux cerveau, la vieille société de la vieille pen­sée, par l’impossible car­naval, par la pen­sée non entend­able par aucun enten­de­ment mais écoutable par l’ailleurs tapi en nous, le grand final. 

Et les con­cepts, par éclairs, déchireront l’œil fort pataud, habitué aux opin­ions, fer­ont ton­ner l’armée lev­ée par mille doutes tri­om­phaux, car­naval de ques­tions d’enfant folle – aux yeux humains. 

Et surtout, son rythme et sa cadence de comptines enfan­tines, de comptines cru­elles, joueuses, au bon­net phry­gien rouge, fer­ont fon­dre le cœur, le fer­ont sursauter. 

Et sous tout, au fond, appa­raî­tra la fix­a­tion, poé­tique et ludique – d’un lud­isme aux aurores du monde –, la fix­a­tion de lois nou­velles, de prophéties, de vérités de rêve pro­mul­guées par la pythie, ou par l’être bizarre caché dans des baies, sous une mûre, der­rière un mur ou sur la baie des bouch­es clos­es, et les yeux grands ouverts, où le chant est tourné vers l’interne du corps et rejail­lit par tous les pores de la peau.

 

Ceux qui épel­lent l’amour
récoltent

l’effet sans la cause
la muti­la­tion sans le couteau
préférant le noyé à la vague
la cen­dre à la pluie d’étoiles

Ceux qui
sous leurs pieds
enter­rent l’arc-en-ciel
vivent
au car­refour des limbes
et des teintes occises.

 

Nous sen­tirons et nous saurons : une rigueur philosophique et juridique – néo­juridique – de ce monde, tout est pos­si­ble, mais exis­tent des lois, tout pos­si­ble devient selon des lois flu­ides et vives, qui défont toute mécanique, instau­rent une jus­tice inouïe. 

 

Ce qui
par l’équerre

a été tracé
mour­ra dans l’anarchie
des faits non géométriques

Ce qui
à la pointe du compas
est né
emprun­tera
le col du temps
dans les deux sens. 

 

Et quand, par­fois, nous ne com­pren­drons pas, nous com­pren­drons : qu’en nous quelqu’un com­prend, que nous mécon­nais­sons, qui nous con­naît, nous com­pren­drons : que nous com­prenons tout, très bien, au fond, ce que ces mots nous ouvrent. 

 

L’enfant
qui retourne un coquillage

libère des canon­nades d’avenir

L’adulte
qui tra­verse un miroir

noie le présent
sous le hoquet du passé

Le chien
qui déterre un crâne

le vénère comme un dieu

L’archéologue
qui exhume des douleurs

les réduit à d’inoffensifs ossements.

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Brice Bonfanti

​Brice Bon­fan­ti, œuvri­er. Né Frigau en 1978, Avi­gnon. Sept ans con­ser­va­teur des man­u­scrits de Stend­hal à Greno­ble. Depuis l’an 2000 à Milan, écrit en pre­mier lieu l’un après l’autre des Chants d’utopie, et les dit en pub­lic. Un chapitre par Chant est audi­ble sur son site : www.bricebonfanti.com. Les Chants d’utopie sont pub­liés aux édi­tions Sens & Ton­ka, par cycles de neuf Chants.

Col­la­bore aux revues Nunc, Phoenix, L’Intranquille, Sar­razine, Recours au poème, La Revue des Archers…