Karina Borowicz, Tomates de septembre

Par |2021-04-10T12:12:47+02:00 5 avril 2021|Catégories : Karina Borowicz|

« C’est une ques­tion utile que de deman­der à chaque poème : qu’est-ce qui dérange celui qui parle ? »

Kari­na Borow­icz The trou­bled speak­er, mis en ligne le 8 jan­vi­er 2014, https://karinaborowicz.com/blog/

Chaque poème comme une fenêtre d’angoisse et de ten­dresse sur l’énigme du monde.

 

Je ne me sou­viens pas avoir rien demandé de tout ça :
naitre, devoir vivre une honorable
vie améri­caine, vieil­lir d’un seul coup
en venir à crain­dre ce néant que j’aurais
préféré d’emblée 

 

Kari­na Borow­icz, Tomates de sep­tem­bre, traduit de l’anglais (Etats-Unis) et pré­facé par Juli­ette Mouïren pub­lié aux édi­tions CHEYNE, col­lec­tion D’une voix l’autre.

Aus­si sont-ce des moments et des êtres éphémères, insignifi­ants, en voie de dis­pari­tion qui sont évoqués :

La pour­ri­t­ure a instal­lé sa puan­teur de whisky
dans le jardin et une nuée de moucherons éclate
quand je touche les plants de tomates en fin de vie 

Ou encore :

J’ai vu un fau­con ce matin
pour­suivi par des corbeaux,
quelque chose se débat­tait entre ses serres 

 

C’est peut-être que

L’air est épais de minutes.
D’années. Les mains nues
nous ne pou­vons pas les attraper 

alors, la poète, au lieu de se munir d’horloges, écrit un poème puis l’autre afin que

le tor­rent du temps
Gèle. 

Peut-être ?

quand je m’étends
dans le champ la nuit à compter les gouttes que j’ai réussi
à récolter : ce vis­age, ce soupir, cette main 

La poète par­le de ces miettes de pain don­nées aux oiseaux, de ces moments de vie apparem­ment insignifi­ants et c’est boulever­sant de justesse. Peut-être qu’être une poète serait ne pas pré­ten­dre en savoir plus que ce que le monde mon­tre ? Savoir rester per­méable à ce monde frag­ile, monde monstre. 

Je n’arrivais pas à me sor­tir de la tête
le vis­age de la fille dis­parue. Ce matin-là
son corps avait été retrou­vé dans le fleuve Connecticut
après six jours. Battu. 

Chaque poème comme un fait divers intime, l’importance don­née à ce qui aurait dû ne pas en avoir, « ce con­stant effort

pour attein­dre
sans espoir de toucher 

cette expéri­ence d’être au monde tout en n’étant qu’une soli­tude par­mi tant d’autres. Aus­si énig­ma­tique que toutes les autres présences. Il ne faudrait pas croire que Kari­na Borow­icz n’observe qu’avec des loupes ou un micro­scope le minus­cule de l’univers, elle en mesure égale­ment l’infini dans un poème comme « Planète Kepler 22b » :

Je ne sais pas de quel côté
du ciel noc­turne me tourner
mais la planète est là quelque part,
n’importe où, mal­gré moi 

 

L’œil jaune du quiscale
Quel monde est-ce qu’il regarde ? 

Dans sa pas­sion­nante pré­face présen­tant la poète, la tra­duc­trice, Juli­ette Mouïren évoque le site de Kari­na Borow­icz, dans lequel elle « abor­de dif­férentes ques­tions rel­a­tives à l’écriture poé­tiques », toutes plus pas­sion­nantes les unes que les autres, et, par­mi elles, « une idée croisée chez Robert Bly, qui affirme, dans Turk­ish Pears in August, que der­rière chaque bon poème, on doit sen­tir « une sorte de locu­teur gêné ». La notion de locu­teur mal à l’aise, empêché ou trou­blé, l’interpelle, tant comme lec­trice que poète. »

Inquié­tude ô com­bi­en féconde !

Présentation de l’auteur

Karina Borowicz

Kari­na Borow­icz est née à New Bed­ford, dans le Mass­a­chu­setts. Elle a obtenu une licence en his­toire et en russe à l’u­ni­ver­sité du Mass­a­chu­setts et une maîtrise en beaux-arts à l’u­ni­ver­sité du New Hamp­shire. Elle a passé cinq ans à enseign­er l’anglais en Russie et en Litu­anie, et a traduit des poèmes du russe et du français. Son pre­mier recueil de poésie, The Bees Are Wait­ing (2012), a rem­porté le prix de poésie Mar­ick Press, le prix Eric Hof­fer pour la poésie, le prix First Hori­zon, et a été désigné comme un incon­tourn­able par le Mass­a­chu­setts Cen­ter for the Book. Son deux­ième livre, Proof (2014), a rem­porté le Cod­hill Poet­ry Award et a été final­iste pour le Nation­al Poet­ry Series et le Night­boat Press Poet­ry Prize. Elle vit avec sa famille dans la Pio­neer Val­ley du Massachusetts.

Poèmes choi­sis

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Alain Nouvel

1998, pre­mier recueil de poèmes : Trois noms her­maph­ro­dites, puis deux nou­velles : Octave Lamiel, dépuceleur suivi de Edouard et Alfred au val de l’eau. En 1999, suiv­ent His­toires d’ISLES, Con­tre-Voix, Mots ani­més recueil d’aphorismes, et, en 2000, Maux ani­maux, recueil de six nou­velles, aux édi­tions « L’Instant per­pétuel ». En 2001, pub­li­ca­tion aux édi­tions « La Chimère » créées pour l’occasion de D’Etrangère, puis Dames des trois douleurs en 2004, Vari­a­tions sur une femme don­née, et reprise en 2005, Con­tre-voies en 2008 et Nou­velles d’Eurasie en 2009. En 2014, il com­pose avec sa com­pagne des chan­sons qu’ils inter­prè­tent tous deux. Maud Leroy des « Édi­tions des Lisières », pub­lie Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest, un recueil de sept nou­velles sur les Baron­nies provençales où il vit désor­mais. Une suite à ces sept nou­velles voit ensuite le jour avec pour titre Anton. Sur les bor­ds de l’Empire du milieu (texte sur la Chine où A. Nou­v­el a vécu qua­tre ans, de 1981 à 1985, longtemps resté inédit mais dont cer­tains extraits étaient parus dans la revue « Corps écrit », numéro 25, de mars 1988 : Vues de Chine), paraît pour la fête du Print­emps 2021. Les deux ouvrages aux édi­tions « La Chimère ». Il col­la­bore régulière­ment, désor­mais, à la revue « Recours au poème ». En 2020, les édi­tions « La Cen­tau­rée » à Rennes, ont pub­lié un pre­mier recueil : Pas de rampe à la nuit ? suivi, en 2021 de Comme un chant d’oubliée.
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