Né le 9 avril 1962 à Okon­do-Ewo en terre Tégué du Con­go-Braz­zav­ille, Gabriel Okund­ji est Mwènè, c’est-à-dire por­teur de paroles, chef spir­ituel garant de la mémoire de tout un peu­ple. Il grandit dans son vil­lage natal, élevé par ses mère et tantes, « Ces femmes nées sous le règne de la néces­sité », tel qu’il les définit dans Énigmes, l’un des titres de son pre­mier recueil. À l’ado­les­cence, il décou­vre la cap­i­tale de son pays, fréquente le lycée de Braz­zav­ille et arrive à Bor­deaux, envoyé par l’É­tat con­go­lais, pour y faire des études uni­ver­si­taires de médecine.

À pro­pos de sa quête poé­tique, on peut lire sur le site qui lui est dédié : « qu’elle se situe à mi-chemin entre la poésie onirique, cos­mique et la pen­sée philosophique. Elle se veut avant tout une inter­pré­ta­tion lucide des échos de la voix de la con­teuse Ampili, l’in­spirée du fleuve Ali­ma et du majestueux souf­fle de Pam­pou, le mage des ter­res appelées Mpana. Ce sont ces deux maîtres donc, qui ont patiem­ment ini­tié le poète à observ­er sur les sen­tiers de l’é­mo­tion humaine, une parole dans ce qu’elle révèle en ter­mes de signe et de sym­bole, de lumière et de vérité, loin, très loin des bruits du monde ».

Lors de la 12e édi­tion de l’Escale du Livre de Bor­deaux, en bord de l’impétueuse Garonne aux eaux café au lait, les 4, 5 et 6 avril derniers, ont – entre autres événe­ments eu lieu : deux temps forts autour de Gabriel Mwènè Okund­ji. Le pre­mier scan­dé par ses tra­duc­teurs, cri­tiques ; ceux-là mêmes qui ont œuvré, afin d’éparpiller ses paroles sémi­nales au-delà des fron­tières géo­graphiques et lin­guis­tiques ; le sec­ond dédié à une mise en espace poé­tique par Gabriel Mwènè Okund­ji qui a mur­muré, ouvert et partagé la parole et le chant, tis­sés de proverbes et autres métaphores, tels que déclinés dans la tra­di­tion des passeurs de pal­abres, dotée de « sa » touche sin­gulière, utile à « apais­er l’âme et fécon­der l’émotion », mais aus­si à : réveiller les mémoires assoupies.

Dans le recueil ici présen­té util­isant quelque peu le ressort des réc­its de voy­age, Le chant de la graine semée migre du Sahara à Tombouc­tou en pas­sant par Alger. Par­mi ces entrelacs de paroles mur­murées, de recon­nais­sances, d’impressions, d’intuitions recueil­lies dans le grand dehors – pré textes annon­ci­a­teurs d’un pro­fond recueille­ment de la pen­sée péré­grine – au détour de la promé­nadolo­gie réflex­ive sur­git un autre chant, une forme d’élévation, de spir­i­tu­al­ité dif­féren­ciées : une Thrène, in memo­ri­am, chant de déplo­ration à l’ami défunt, Chant de la graine pour Figueroa.

Chants de la graine semée s’articule ain­si en sept mou­ve­ments inti­t­ulés comme suit et dont nous pro­posons un choix per­son­nel d’extraits :

Chant de la graine du Sahara   (p.17)

 

Il faut tout le silence pos­si­ble des mots
pour dire ton nom.
 

Chant de la graine de Tombouc­tou  (p. 32)

 

Frères maliens, que reste-t-il du souf­fle de notre patrie ?
la force du baobab est dans ses racines par temps de ténèbres et de tempête
notre ciel n’est pas éteint : quand donc frémi­ra l’élan dans nos veines ?
frères, mar­chons au son de notre hymne à la lumière des flam­beaux éclairant la terre
on n’est pas orphe­lin d’avoir per­du père et mère mais d’avoir égaré le chemin de l’espoir.

Pur salut  (p. 40)

 

Quand tu pleures / Le bruit de tes larmes coule / Entre les rives de ma douleur.
À la clameur de ton san­glot / Je suis l’océan qui recueille les eaux.
Et je dis : / –  Aime, con­tem­ple et laisse flot­ter ton âme à la mer.

Via­tique (p. 51)

 

Qui n’est pas le fils de la panthère
N’est pas le fils de la panthère.
 

(…) ne rien per­dre, ne rien oubli­er, toute chose pré­cisée, abou, bia !
 

Chant de la graine pour Figueroa, Thrène  (p. 65).

 

Mes pen­sées tous les jours volent vers mon ami
tels des oiseaux regag­nant chaque soir leur nid.
 

Ode à l’âme  (p. 84)

 

La parole crée la parole
l’amitié lie l’amitié
et nous sur les sen­tiers et les chemins
mar­chons au rythme du chant aimé des humbles
soyons hommes de mémoire
Viviane et Philippe
il est l’heure : les âmes se rapprochent.
 

Chant de la graine d’Alger  (p. 102)

 

Que vaut la parole du livre / quand l’âme de son auteur est vile ?
 

L’effort pour ren­dre l’autre fou !
Frères d’obédience / la fra­ter­nité expul­sée est-elle source d’écriture ?
nous voilà comblés dans la querelle des nègres
c’était donc ça la famille des écrivains africains ?
 

Zéral­da ô Zéral­da ville meurtrière
il est où, l’Homme noir,
en ces hommes de cul­ture chronique !* 
 

*Chronique, au sens exclusif d’une maladie.
 

Un prochain ren­dez-vous majeur avec le poète des ici & des ailleurs aura lieu durant le Marché de la poésie, place Saint Sulpice à Paris, du 11 au 15 juin prochains, puisque le Bassin du Con­go sera à l’honneur de cette 32e édi­tion, au cours de laque­lle Gabriel Mwènè Okund­ji incar­n­era l’un des meilleurs ambas­sadeurs de la – parole de con­corde à hau­teur d’homme qu’il véhicule aujourd’hui, en faisant appel à notre con­science dans le but de redé­cou­vrir : la bon­té du monde.

À cette même péri­ode, le same­di 14 juin en début d’après-midi, lui sera égale­ment remis, à l’adresse de la Société des Poètes Français, 16 rue Mon­sieur le Prince à Paris 6e, le Prix Européen Fran­coph­o­ne de poésie Léopold Sédar Sen­g­hor pour l’ensemble de son œuvre, prix ini­tié par le Céna­cle Européen de Poésie, Arts et Let­tres. Il sera en cela le pre­mier Africain à recevoir cette recon­nais­sance, en présence de mem­bres de la famille du poète séné­galais, Léopold Sédar Senghor.

Et pour finir sans finir, enten­dons encore, l’âme pal­pi­tante, ces paroles extraites de Ndà Kàli II, p. 54 et d’Au-delà de tout IV p. 61 :

 

Cœur qui par­le vraiment
Par­le dans sa langue maternelle.
       

 

Qui chante l’injure attise la haine et soulève l’infortune
à recevoir l’insulte au soir on regrette la main ten­due le matin.
 

(…)

il n’y a sur terre meilleur remède qu’une mémoire conciliante
ne point se désavouer face à l’humiliation, la vie est une offrande.

                                       

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Philippe Lekeuche

Philippe Lekeuche — Poète, il écrit depuis 1966. Son prochain livre, L’épreuve, est paru en octo­bre aux édi­tions « L’herbe qui trem­ble » en France. Pro­fesseur émérite de psy­cholo­gie clin­ique à l’Université de Lou­vain (psy­ch­analyse), il a dirigé des études sur, notam­ment, Baude­laire, Dos­toïevs­ki, Duras, Hölder­lin, Kaf­ka. Comme cri­tique, il a col­laboré à divers­es revues, dont « Le Jour­nal des poètes », « Recours au poème », « Fran­coph­o­nie vivante », « Les Let­tres français­es ». Il fut élu à l’Académie Royale de langue et de lit­téra­ture français­es de Bel­gique en 2017.