Le corps, lieu d’expérience de Dieu dans les Evangiles, lieu de cir­cu­la­tion et de salut. C’est dans la matéri­al­ité de l’hostie que le chris­tian­isme appelle à faire l’expérience de Dieu. La rela­tion physique avec le Christ passe par la transsubstantiation.

L’hostie, en fon­dant dans la bouche de Sainte Thérèse d’Avila, ne l’emplit-elle pas d’un liq­uide ten­dre et chaud ?

Une reli­gion fondée sur la Résur­rec­tion de la chair et sur l’incarnation ne dis­so­cie pas l’âme du corps.

Ce qui était dès le com­mence­ment, ce que nous avons enten­du, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons con­tem­plé et que nos mains ont touché du logos de vie – car la vie s’est man­i­festée (…) nous vous l’annonçons. (Pre­mier épître de Jean).

Si le Christ sauve l’homme, il le sauve bien corps et âme.

 

 

C’est la fil­i­a­tion qui est évidem­ment en jeu dans cette lam­en­ta­ble affaire du « mariage pour tous ». Les muta­tions géné­tiques, la marchan­di­s­a­tion du corps (la vente des ven­tres et des enfants) décon­stru­isent le principe généalogique qui fondait l’humanité. Le corps qui était le tem­ple de l’esprit et la charnière du salut devient la charnière de la damna­tion marchande et technique.

La chair est la charnière du salut. De sorte que, lorsque l’âme est choisie par Dieu pour le salut, c’est la chair qui fait que l’âme peut ain­si être le choix de Dieu. Ain­si, la chair est lavée pour que l’âme soit puri­fiée ; la chair reçoit l’onction pour que l’âme soit con­sacrée ; la chair est mar­quée d’un signe pour que l’âme soit pro­tégée ; la chair est cou­verte de l’ombre de l’imposition des mains pour que l’âme soit illu­minée par l’esprit ; la chair se nour­rit du corps et du sang du Christ pour que l’âme se repaisse de la force de Dieu. On ne peut donc pas les sépar­er dans la récom­pense puisque le ser­vice les réu­nit (…) (Ter­tul­lien, « La résur­rec­tion de la chair » dans Patrolo­gie latine).

L’individu auto-con­stru­it est l’horizon du dernier homme. Il se dessèche car il cesse de trans­met­tre la parole qu’il a reçue. Il n’est plus debout sur terre, à con­tem­pler le ciel, mais dans la jouis­sance nécrophile du déchet, préoc­cupé unique­ment par la saisie et la con­som­ma­tion de l’objet. En niant la dif­férence sex­uelle, il s’enferme dans son pro­pre linceul.

Son nihilisme entraîne une débâ­cle des mon­tages sym­bol­iques et nor­mat­ifs (Pierre Legendre). Sa bar­barie opère dans la ges­tion tech­nique de l’espèce humaine.

 

 

Une élu­cubra­tion par­mi d’autres, celle-ci de Monique Wit­tig : Il faut détru­ire poli­tique­ment, philosophique­ment et sym­bol­ique­ment les caté­gories d’homme et de femme.

Le natif, le don­né et le déjà-là sont bal­ayés par l’individu post-humain dont les droits (et les droits les plus extrav­a­gants) sont devenus la référence absolue. Si per­son­ne, jusqu’à ce jour, n’a réus­si à naître tout seul, ce sera prochaine­ment pos­si­ble, à défaut d’être souhaitable. Ce dont la médecine démi­urgique rêvait — une indif­féren­ci­a­tion sex­uelle, une vie sans nais­sance et une chosi­fi­ca­tion tran­shu­man­iste – le nou­v­el ordre moral le fonde. La prière de Mai­monide : Eloigne de moi l’idée que je peux tout, s’est sauvage­ment ren­ver­sée. La rela­tion tech­ni­ci­enne et fonc­tion­nelle entre le monde de l’individu aut­o­fondé détru­it la fil­i­a­tion. Le droit des minorités dis­so­cie. Que serait le nom s’interroge Xavier Lacroix (Le corps retrou­vé, Bayard) sans la loi et l’héritage, la mémoire et la tradition ?

Il sera lobot­o­misé et par con­séquent dis­qual­i­fié. Le déclin du Père sym­bol­ique n’a‑t-il pas déjà dis­qual­i­fié la place du père réel ?

 

 

Dans ce monde nou­veau, cod­i­fié par la loi, le sex­u­al­ité n’est plus néces­saire à la repro­duc­tion. La dif­férence sex­uelle n’était-elle pas qu’un brouil­lon, qu’une don­née acci­den­telle qu’il s’agit main­tenant de gom­mer ? L’enfant, conçu dans un tube de verre, délo­cal­isé hors de sa mère (on délo­calise bien les indus­tries) et né de sper­ma­to­zoïdes incon­nus fait de lui un pur arti­fice. Le dik­tat social ne crée pas de sym­bol­ique. Il instru­men­talise le corps de la femme et celui de l’enfant, objet tous deux, d’un con­trat marc­hand. Le bébé idéal – au corps machine – sous­trait aux défi­ciences, mis en vente prochaine­ment sur inter­net, parvien­dra à stop­per son vieil­lisse­ment cel­lu­laire et mul­ti­pli­era ses per­for­mances. Dans l’indifférenciation général­isée, seules des options (de couleurs notam­ment) seront permises.

 

 

J’ai tou­jours eu un mépris absolu pour l’opinion publique, je n’ai jamais souhaité appartenir ou m’assimiler à un groupe social. N’ai-je pas pris le risque, à plusieurs repris­es dans ma vie, de man­i­fester qui j’étais et de renon­cer à ce que je possédais ?

Moi, je ne dois rien au forum, rien au champ de Mars, rien à la curie : je ne veille sur aucun bureau, je ne m’empare d’aucune tri­bune, je ne guette aucun pré­toire, je ne respire pas l’odeur des canaux… Je ne plaide pas en hurlant, je ne suis ni juge, ni sol­dat, ni roi : je me suis retiré du peu­ple. (Ter­tul­lien).

Baude­laire : Par­mi l’énumération nom­breuse des droits de l’homme, deux assez impor­tants ont été oubliés qui sont le droit de se con­tredire et le droit de s’en aller.

C’est le chris­tian­isme qui a défendu la sphère privée – le « je » — porté par le Verbe sou­verain et l’anarchisme. Ce « je » est en guerre, con­tre lui-même d’abord (dans son com­bat pour une iden­tité nou­velle), et con­tre tout col­lec­tif. Le corps des croy­ants et des mys­tiques n’est-il pas au cœur de leur témoignage ? La décou­verte con­crète de l’humanité du Christ se con­stru­it sur une iden­tité pro­pre, à chaque fois unique, refu­sant la total­ité hégéli­enne : L’esprit ne peut s’attarder sur les souf­frances de quelques indi­vidus, les buts par­ti­c­uliers se per­dent dans le général. Et bien non, juste­ment. Car de quel esprit s’agit-il ? Sans doute pas de l’esprit chré­tien pour lequel chaque âme, et surtout celle qui souf­fre – compte plus que le sens de l’histoire.

 

 

 

L’homme est tombé de Dieu sur lui-même (Bossuet).

Le chris­tian­isme n’est pas la reli­gion du pro­grès, mais la reli­gion du salut (Péguy).

L’idée de pro­grès est l’idée athée par excel­lence (Simone Weil).

 

Lec­ture en con­tinu (ça coule de source) du livre de Gus­tave Thi­bon : Les hommes de l’éternel (Mame). Le mythe du pro­grès, nous rap­pelle t’il, qui fut une ligne de force du roman­tisme, est une hérésie, une pro­jec­tion car­i­cat­u­rale et assas­sine, dans le monde pro­fane, d’une aspi­ra­tion à l’Eden. Ce mythe de la rup­ture s’en est pris à la paysan­ner­ie hérédi­taire, à la cul­ture du peu­ple de France, aux con­ve­nances strictes et aux mobiles intimes qui gou­ver­naient les anciens.

L’homme taupe, enchaîné à lui-même, a fini par vider la mer, effac­er l’horizon, détach­er la chaîne qui liait la terre au soleil (Niet­zsche). Quand le souf­fle du vide lui fait face, l’homme taupe cherche refuge dans la trép­i­da­tion et l’abrutissement. Le « faire n’importe quoi, mais faire quelque chose » l’agite quo­ti­di­en­nement. Ne trou­vant aucune rai­son de vivre et d’agir, il s’enferme dans la défaite de l’amour. Et pour mas­quer cette course à l’oubli, cette impos­si­bil­ité de trans­met­tre, l’enfer mod­erne se fait légal et souter­rain. On gagne l’univers et on perd son âme, on con­serve les ovules au frais (« la vit­ri­fi­ca­tion ovo­cy­taire »… soulignons l’élégance des ces mots) et on rompt toute fil­i­a­tion, on mas­sacre et encore plus qu’autrefois mais on mas­sacre sous cou­vert de générosité et d’égalité.

 

 

Je suis roy­al­iste de sen­ti­ment et gaulliste de rai­son, autrement dit je suis à la marge de la marge. Mais les minorités dédaignées ne sont-elle pas les lab­o­ra­toires de demain ? Ne vien­nent-elles pas bous­culer les injonc­tions morales, les bons sen­ti­ments, les men­aces et les plat­i­tudes de nos gou­ver­nants et des chiens de garde du diver­tisse­ment pour tous ? La république, veuve de ses rois, entachée par la faute et par la soumis­sion est inca­pable de sur­mon­ter, sans se divis­er, les crises graves. Pire, elle les provoque et les accentue jusqu’à céder par­fois à un roi-dic­ta­teur (Pétain/Laval), à un ersatz gref­fé sur le roy­al­isme tra­di­tion­nel. Elle a rompu le lien char­nel qui  relie le présent au passé, elle a dérac­iné la pen­sée et fab­riqué, après les red­outa­bles con­quêtes de la sci­ence et les fauss­es promess­es poli­tiques, l’école du dés­espoir.  En sanc­ti­fi­ant le temps humain, chris­tian­isme et roy­al­isme unis­saient tout un peu­ple. Ils déjouaient le culte de la race pure et le culte de la classe laborieuse.

Toute résis­tance autre que sym­bol­ique est dev­enue inutile, le spec­ta­cle d’hypnoses col­lec­tives sort vain­queur, mais pour com­bi­en de temps encore ?

 

 

Une péd­a­gogie de la décon­nex­ion et une éthique du détache­ment s’imposent devant le bruit et la fureur de notre actu­al­ité. L’avenir n’appartient-il pas aux ordres contemplatifs ?

Nous sauvera de la chute évo­lu­tive vers les sociétés d’insectes celui qui inven­tera une nou­velle généra­tion de monastères : ce mot sig­ni­fie une asso­ci­a­tion para­doxale de soli­taires et de sol­idaires. Nous aurons besoin d’un saint Benoît, d’un autre moi et d’autres prochains (Michel Ser­res : Homi­nes­cence, Le Pom­mi­er).

Mais pour con­sen­tir à la dis­tance et à la prox­im­ité, il faudrait cess­er de se prostern­er devant soi-même et devant les idol­es. L’homme s’est per­du dans son affir­ma­tion de soi, l’intemporel de la vie liturgique est totale­ment étranger à la nou­velle sou­veraineté capricieuse de l’individu.

 

 

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