L’hystérie pro­gres­siste et l’intolérance qu’elle révèle fait de nos écrivains et de nos intel­lectuels de la cohé­sion sociale (Annie Ernaux n’évoque t’elle pas la cohé­sion sociale dans sa let­tre péti­tion con­tre Richard Mil­let ?) des juges red­outa­bles. Cette hys­térie intimide et cul­pa­bilise. Après avoir arrachée Dieu à la prox­im­ité de l’homme, elle fonc­tionne par exclusion.

Ain­si s’achève l’histoire spir­ituelle de l’Occident, tou­jours plus ouverte­ment con­tre le christianisme.

De Mar­cel Schwob, j’aime lire ceci : Ce sont des voix blanch­es qui nous ont appelés dans la nuit. Elles appelaient tous les petits enfants. Elles étaient comme les voix des oiseaux morts pen­dant l’hiver (La Croisade des enfants).

Ces voix blanch­es, ces voix d’oiseaux morts sont les brûlures insom­ni­aques de la soli­tude la plus pro­fonde – la nôtre – elles sont des tach­es de lèpre qui atten­dent la fin de toute chose mais aus­si l’éclat de la Révéla­tion. Elles sont au cen­tre de cette nar­ra­tion poly­phonique qui mêle huit mono­logues. Des voix s’élèvent, appel­lent et ne s’entendent tou­jours pas. Dans ce bref réc­it, le blanc de la parole dévoile une absence ontologique, et plus ter­ri­ble encore, l’absence de Dieu. N’est-ce pas, dans cette Croisade des enfants, le pape Gré­goire IX qui demande un signe au Seigneur avant d’exprimer un doute radical ?

Je suis le plus vieux de tous les vicaires que le Seigneur a placés ici-bas, et je com­mence seule­ment à com­pren­dre. Dieu ne se man­i­feste point. Est-ce qu’il assista son Fils au jardin des Oliviers ? Ne l’abandonna-t-il pas dans son angoisse suprême ? O folie puérile que d’invoquer son sec­ours ! Tout mal et toute épreuve ne rési­dent qu’en nous.

Les hommes ne sont jamais con­damnés par Dieu, ils se con­damnent eux-mêmes et il y a bien un savoir biblique de la vio­lence comme l’a démon­tré, d’un livre à l’autre, René Girard. L’inversion du rap­port d’innocence et de cul­pa­bil­ité entre vic­times et bour­reaux est la pierre d’angle de l’inspiration du Livre. Le Dieu unique n’est-il pas celui qui reproche aux hommes leurs crimes et qui donne la parole à ceux qui les subis­sent ? Le Christ, en s’offrant comme vic­time inno­cente à la ter­reur du sac­ri­fice, dénoue le mécan­isme même de toute société, basée, faut-il le rap­pel­er, sur un crime com­mis en com­mun. Le Christ résiste à la con­ta­gion agres­sive, au gré­garisme mon­strueux du lyn­chage dionysi­aque, si bien que toute démarche sac­ri­fi­cielle, même et surtout retournée con­tre soi-même, ne cor­re­spond pas à l’esprit évangélique. Le « se sac­ri­fi­er » pour­rait cam­ou­fler, der­rière un ali­bi « chré­tien », des formes d’esclavage sus­citées par le désir mimé­tique (René Girard).

C’est con­tre leur pro­pre sang cir­cu­lant que les hommes sont aux aguets, con­tre leur pro­pre vie qu’ils se met­tent à l’affût, dans la réso­lu­tion mani­aque de se nier et de nier l’autre, de pour­rir le don de l’existence et de le chang­er en lacune. Tout pou­voir ne vit que de ceux qui s’y résig­nent, toute parole qui n’est pas d’amour demeure dans la nuit. Quelle serait l’échappée belle ? Celle qui pié­tine les intrigues de ce monde, celle qui brave les usages et quitte le tombeau par le beau, celle enfin qui méprise les han­tis­es, les sot­tis­es, l’exil de tous les signes.

Une parole qui par­le est une parole qui prend corps dans la vie de celui qui l’entend et l’accomplit.

 

Si la seule mesure qui nous est pro­posée est une mesure humaine – et mondaine – l’existence n’est-elle pas vouée à l’échec ? Une exis­tence sans Dieu, réduite à une objec­tiv­ité quan­tifi­able, est for­cé­ment mortelle. Juifs et chré­tiens ne se fix­ent pas en terre. Ils s’engouffrent dans l’ouverture que le retrait de Dieu rend pos­si­ble. Tout pagan­isme est une impuis­sance rad­i­cale de sor­tie du monde. Athée est une métonymie pour igno­rant (Ben­ny Lévy).

 

C’est la joie du Christ et son mépris pour la mort (cette mort à laque­lle le chré­tien ne croit pas) qui nous effraient. Nous avons per­du notre inno­cence et gag­né l’angoisse. L’innocence ne con­nait pas de lim­ite au possible.

L’arbitraire divin : aucun principe, aucune rai­son, aucune loi ne le domine. Sa lib­erté est illim­itée, sa soli­tude aussi :

Il est amour et mis­éri­corde et cepen­dant il doit se con­tenter de con­tem­pler, glacé d’horreur, les abom­i­na­tions qui se déroulent sous ses yeux (Chestov).

L’aphonie spir­ituelle de notre époque est une forme nou­velle de l’ace­dia. Elle est un assèche­ment et une lour­deur que reflète l’écran de la webosphère. Ces écrans ne déversent plus que des gar­gouille­ments col­orés. Nous sommes dans un bour­bier avec lequel le dégoût (de soi et des autres) fait de notre quo­ti­di­en une réclu­sion. L’absence de tâch­es et de métiers (de métiers liés à la terre et à l’outil) annule tout gain spir­ituel. Jean Starobin­s­ki rap­pelle, dans L’Encre de la mélan­col­ie (Seuil), que ce n’était nulle­ment le prof­it économique du tra­vail qui impor­tait aux Pères de l’Eglise, mais sa valeur spir­ituelle et thérapeutique.

L’homme mod­erne, doté d’une pro­fes­sion (et con­scient de l’inutilité de cette pro­fes­sion), ne peut pas se sous­traire à l’ennui et au temps vide des loisirs. Les spec­ta­cles et les agi­ta­tions fes­tives lui sont désor­mais imposés de force. Dans le monde con­fu­sion­nel (ce que les pro­gres­sistes appel­lent la « cohé­sion sociale ») qui est le nôtre, le mal social­isé nous déracine. L’industrie de l’oubli (l’oubli du savoir faire, l’oubli des saisons, l’oubli de Dieu) ne repose que sur une néces­sité marchande mon­strueuse et indéfin­i­ment extensible.

Thomas Stearns Eliot se définis­sait ain­si : Clas­sique en lit­téra­ture, roy­al­iste en poli­tique, anglo-catholique en reli­gion. Je ne con­nais pas de meilleure définition.

Un excel­lent livre pub­lié par Mark Anspach, dis­ci­ple de René Girard : Œdipe mimé­tique (L’Herne), nous éclaire sur le spec­ta­cle élec­toral que nous avons vécu. Sou­venons-nous, il y a la peste à Thèbes, Œdipe et Tirésias sont frères dans la haine. La clau­di­ca­tion d’Œdipe, dont le nom même sig­ni­fie « pied enflé » fait con­sen­sus dans l’irrespect et la moquerie.

Et pour­tant, mal­gré ses pro­pres aveux dignes d’un procès stal­in­ien, Œdipe est inno­cent, de la peste bien sûr et même, c’est fort prob­a­ble, du par­ri­cide incestueux.

Dans une com­mu­nauté prise de panique (prenons la France d’aujourd’hui), un indi­vidu, appelons-le Œdipe/Sarkozy, a toutes les chances d’être choisi comme vic­time. Car les hommes aux opin­ions les plus var­iés réagis­sent à des désas­tres de toutes sortes en lyn­chant, réelle­ment ou sym­bol­ique­ment, un indi­vidu soudain haïss­able et tenu pour coupable.

Œdipe/Sarkozy a été jugé, à tort ou à rai­son, comme le roi de la fail­lite, voué lui aus­si à être sac­ri­fié lorsque tout autre expé­di­ent a échoué. Dans la pièce de Sopho­cle, Œdipe enfant est aban­don­né dès sa nais­sance parce qu’une malé­dic­tion le voue à un des­tin criminel.

Coupable mul­ti-usages, et dès son orig­ine famil­iale, Sarkozy l’est aus­si. Son nom de ras­taquouère d’abord… Sarközy de Nagy-Bosca, son grand-père d’origine juive – tout cela fait désor­dre pour la France moisie, celle de l’antisémitisme et de l’antichristianisme —  et puis, né dans une caté­gorie sociale méprisée par les élites, il s’est lui-même con­for­mé, durant un laps de temps très court, à l’image néga­tive que les médias lui ont ren­voyée. L’image d’un prési­dent bling-bling, d’un nou­veau riche for­cé­ment vul­gaire, à col­lé à la peau de Sarko comme le sparadrap aux doigts du cap­i­taine Haddock.

Préjugé tenace : notre roi est coupable d’avance : pas assez énar­que et paraît-il inculte. Aux yeux aveu­gles de la doxa, Sarkozy devient l’incarnation du désas­tre dont il faut purg­er la com­mu­nauté nationale. N’a‑t-il pas été, et depuis tou­jours, grimé lam­en­ta­ble­ment en nabot nazi ?

Dans la farce qui com­mence, le phar­makos (le dou­ble du roi) est joué par François Hol­lande, voilà d’ailleurs un nom qui sent bon l’Europe fleurie et con­viviale. Ce sou­verain de car­naval, plongé déjà en plein vaude­ville sen­ti­men­tal, souhaite invers­er les hiérar­chies sociales et lever les inter­dits sex­uels (le mariage gay notam­ment). En s’agitant comme le font les arle­quins de foire, Hol­lande souhaite ven­dre des cra­vates tri­col­ores aux pho­ques que nous sommes.

Que les esclaves pren­nent la place du maître, au moins le temps d’un meeting !

Quant au des­tin du pays, pour garder sa puis­sance d’attraction, il doit demeur­er obscur, oblique dans sa mise en scène pro­gram­mée et gavée de « moraline ».

Mais la fête ter­minée, le con­tre roi lui aus­si sera expul­sé car dans nos démoc­ra­ties les Œdipe sont tou­jours des boucs émis­saires réussis.

On les croit, à tort, coupables de ce dont on les accuse.

Les voix encom­brées de reproches, Mer­leau-Pon­ty les nom­mait des ténèbres bour­rées d’organe.

Dieu à Adam : Où es-tu ? C’est la même ques­tion que pose l’homme ne trou­vant pas, auprès de lui, l’être aimé.

Le mort est un maitre absolu et la peur de la mort fait de nous des esclaves.

 

 

 

image_pdfimage_print