On sait bien que,  en tant que musi­cien ren­tré, j’aime marcher avec vous sur un chemin pri­or­i­taire­ment musical.

Aus­si,  après Mozart lors d’une pre­mière prom­e­nade sur nos chemins de dia­logue, j’aimerais évo­quer Boulez.

Il n’est pas injurieux d’af­firmer que, remar­quable chef d’orchestre,  musi­cien qu’on aime ou pas, Boulez fut aus­si un chef d’en­tre­prise, sinon de guerre. Sor­ti tout armé dans un tank de son bunker IRCAM, escorté de para-com­man­dos tel Stock­hausen ou de jeunes chevau-légers extasiés et déjà oubliés, appuyé par les expéri­ences de John Cage,  Boulez, en bon autori­taire, a fait table rase de tous ceux qui osaient, plus ou moins active­ment, con­tester son lead­er­ship. Exit Sibélius (« le plus mau­vais musi­cien du monde »), Poulenc, Taille­fère, Ibert.  Ecrabouil­lé, Berlioz excep­té, ce « hideux » XIX è siè­cle français. Stravin­sky traité de déca­dent dans sa pro­duc­tion d’après 1913, Jolivet rebap­tisé « joli­navet », etc… Dans ce paysage dévasté furent seuls tolérés Mes­si­aen et Dutilleux, trop forts sans doute pour être les proies de l’aigle de Montbrison.

La poésie des années soix­ante-sep­tante a elle aus­si con­nu ces razz­ias. Bien abrités dans des bunkers uni­ver­si­taires, pro­tégés par des édi­teurs « mod­ernes », réchauf­fés dans l’utérus des col­lo­ques et sémi­naires, biberon­nés par la presse spé­cial­isée, les poètes de cette école, dignes suc­cesseurs de l’Ecol­i­er lim­ou­sin, ont trou­vé sur leur chemin quelques grands rires rabelaisiens- celui de Norge, de Tardieu de Desnos ou, plus ricanant, de Péret ou Vian, qui les ont piteuse­ment désarmés.

Et c’est là, à mon sens, la ques­tion essen­tielle posée à la poésie con­tem­po­raine : le poète doit-il être intel­li­gent ? Et d’abord, qu’est-ce que l’in­tel­li­gence en poésie ? Gar­dons-nous de la con­fon­dre avec le savoir. «La môme néant» de Tardieu, les fab­uleux poèmes en prose de Norge, les réflex­ions de Thiry sur la peine de vieil­lir, les rêves tran­scrits du Desnos ado­les­cent, tout cela, à côté de quelques autres, ne con­stitue-t-il pas l’essence pro­fonde et « intel­li­gente » de la manière poé­tique d’être au monde ? Quand Super­vielle évoque l’ou­blieuse mémoire ou la mort, relais où l’âme change de chevaux, n’est-il pas bien plus « intel­li­gent » que  cette foule de poètes « blancs », du non-dit et de l’aléatoire ?

Qu’on me com­prenne bien : je préfère de loin une poésie mys­térieuse, voire obscure, à cette « poésie du quo­ti­di­en » qui fait par­ler les égouts et les bicy­clettes. Mais j’aime que cette obscu­rité cor­re­sponde à une néces­sité intérieure sans faille (comme chez Reverdy) et non à une pause intellectualiste.

Ce n’est pas dans la décon­struc­tion du lan­gage que se trou­ve le secret de la poésie con­tem­po­raine, sous peine de se ghet­toïs­er, mais dans la ten­ta­tive rim­bal­di­enne de recon­stru­ire, par une active médi­ta­tion, un monde intérieur perçu comme éclaté.

Mais vous n’êtes pas oblig­és d’être de mon avis : peut être, plus intel­li­gents que moi, préférez-vous les sémi­naires poé­tiques obscurs au chant noc­turne du rossignol ?

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