1)    Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action poli­tique et méta-poé­tique révo­lu­tion­naire : et vous ? (vous pou­vez, naturelle­ment, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamé­trale­ment opposé au nôtre)

            N’oublions pas la leçon de vie exem­plaire de Ben­jamin Péret, qui, bien que mil­i­tant poli­tique, n’en fut pas moins avant tout un poète (et quel poète !), qui a tou­jours dénon­cé la récupéra­tion du poé­tique par le poli­tique. Je pense, tout comme Péret, que le poète n’a pas à désarmer les esprits en leur insuf­flant une con­fi­ance sans lim­ite en un père ou un chef, con­tre qui toute cri­tique devient sac­rilège. Bien au con­traire, c’est au poète de pronon­cer les paroles tou­jours sac­rilèges et les blas­phèmes per­ma­nents. Le poète doit d’abord pren­dre con­science de sa nature et de sa place dans le monde et com­bat­tre sans relâche les dieux paralysants acharnés à main­tenir l’homme dans sa servi­tude à l’égard des puis­sances sociales et de la divinité qui se com­plè­tent mutuelle­ment. Le poète com­bat pour que l’homme atteigne une con­nais­sance à jamais per­fectible de lui-même et de l’univers. Il ne s’ensuit pas qu’il désire met­tre la poésie au ser­vice d’une action poli­tique, même révo­lu­tion­naire. Mais sa qual­ité de poète en fait un révo­lu­tion­naire qui doit com­bat­tre sur tous les ter­rains : celui de la poésie par les moyens pro­pres à celle-ci et sur le ter­rain de l’action sociale sans jamais con­fon­dre les deux champs d’action sous peine de rétablir la con­fu­sion qu’il s’agit de dis­siper et, par suite, de cess­er d’être poète, c’est-à-dire révolutionnaire.

             

2)    « Là où croît le péril croît aus­si ce qui sauve ». Cette affir­ma­tion de Hölder­lin parait-elle d’actualité ?

            Sans doute la poésie — qui est, comme l’a écrit Guy Cham­bel­land : équili­bre ray­on­nant de notre angois­sante con­di­tion humaine — ne nous sauvera-t-elle jamais entière­ment de nos con­tin­gences ; mais elle nous rem­plit de ce sen­ti­ment indéracin­able que, quels que soient les murs qui nous cer­nent aujourd’hui, on peut de nou­veau demain être libre. Qui ne fait cet acte de foi, qui ne réfute la malé­dic­tion, fût-elle réelle, est indigne du nom de poète.

 

3)    « Vous pou­vez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui dis­ent le con­traire se trompent : ils ne se con­nais­sent pas ». Placez-vous la poésie à la hau­teur de cette pen­sée de Baudelaire ?

            La poésie est insé­para­ble d’une cer­taine essence de l’homme ; et c’est en cela qu’elle existe partout, puisque l’homme, dont elle est la plus impal­pa­ble mais la plus pro­fonde sub­stance, la porte en lui avec sa soli­tude et son amour, la laisse der­rière lui partout où il passe, puisqu’elle pré­side partout où il va par le seul pou­voir de ses yeux.

 

4)    Dans Pré­face, texte com­muné­ment con­nu sous le titre La leçon de poésie, Léo Fer­ré chante : « La poésie con­tem­po­raine ne chante plus, elle rampe (…) A l’é­cole de la poésie, on n’ap­prend pas. ON SE BAT ! ». Ram­pez-vous, ou vous battez-vous ?

            Là où toutes les dimen­sions humaines ne sont pas brassées par elle ; la poésie ne sig­ni­fie rien, elle rampe, et il est absurde de lui accorder la moin­dre impor­tance, dès lors que l’émotion ne con­stitue pas son passe­port pour l’absolu. Pour le poète, il n’existe pas un espace sans com­bat, ni cri. Mais, à bout por­tant : l’émotion, le lan­gage, le mot coup de tête. L’important, c’est d’ouvrir en soi le plus de portes pos­si­bles et d’aller loin dans ce que l’on cache d’habitude. Mais il est pri­mor­dial d’être à l’écoute d’une pul­sion exempte de toute fab­ri­ca­tion et trucage. Tant pis si ces portes qu’on se risque à ouvrir (dans l’interdit ?) vous en fer­ment d’autres : il s’agit de ren­dre le tré­fonds de l’individu. La forme qui vaut toutes les formes s’adapte à la mort comme aux grince­ments de plaisir pro­fond d’un corps écartelé – et niant l’impossibilité d’être. 

 

5)    Une ques­tion dou­ble, pour ter­min­er : Pourquoi des poètes (Hei­deg­ger) ?  En pro­longe­ment de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?

            Le poète n’a pas la pré­ten­tion d’être un guide de l’humanité. Mais il refuse de se dégager, en tant que poète, des com­munes respon­s­abil­ités humaines. Il lutte con­tre l’avilissement du lan­gage, mais il n’oublie jamais de con­fron­ter sa parole aux con­di­tions nor­males de l’existence. Son idéal est celui d’une poésie qui aide tous les hommes à vivre, aujourd’hui et demain.

 

De Christophe Dauphin, chez Recours au Poème éditeurs :

Lucie Delarue-Mardrus. La princesse Amande.

image_pdfimage_print