1)    Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action poli­tique et méta-poé­tique révo­lu­tion­naire : et vous ? (nous vous « autorisons » à ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamé­trale­ment opposé au nôtre)

Je voudrais être d’accord, mais « action poli­tique méta-poé­tique révo­lu­tion­naire » peut dire bien des choses. Ce qui m’intrigue le plus est l’idée d’une action révo­lu­tion­naire sur le poème, si le « méta-poé­tique » désigne un effet de la poli­tique sur la poésie. Le cer­cle vicieux est le suiv­ant : en inquié­tant et reposant aus­si les manières de dire (de penser), la poésie peut révo­lu­tion­ner (ren­vers­er) les dis­po­si­tions humaines (la disponi­bil­ité à dire-penser et faire), mais ce qui rend pos­si­ble un tel effet du poème sur les êtres, c’est l’action poli­tique. Or, si la force des poèmes réels dépend de la poli­tique qui la con­di­tionne, alors ils sont privés de force pro­pre. Il est préférable qu’une poésie ne dépende pas d’une poli­tique préal­able. La force poli­tique exploratoire du poème en langue (cer­tains con­tin­u­ent de la dire prophé­tique) exclut que ce poème dépende d’une poli­tique déjà explorée, d’une admin­is­tra­tion des manières d’être et de par­ler. C’est une façon de vous dire que tout poème est futur ; il refait le poli­tique sans rem­plac­er la politique.

 

2)    « Là où croît le péril croît aus­si ce qui sauve ». Cette affir­ma­tion de Hölder­lin parait-elle d’actualité ?

Oui, mais là où croît « ce qui sauve », le péril croît aus­si… Le « salut par le poème » est bien dan­gereux, et cer­tains « révo­lu­tion­naires » d’aujourd’hui (ils le sont au moins en théorie) font du poète le pro­to­type du tyran… C’est leur façon de mas­quer le dan­ger de la fig­ure du philosophe-roi (ou du sauveur-philosophe)…

 

3)    « Vous pou­vez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui dis­ent le con­traire se trompent : ils ne se con­nais­sent pas ». Placez-vous la poésie à la hau­teur de cette pen­sée de Baudelaire ?

Baude­laire peut dire cela, parce que l’idée du poème, c’est l’idée d’une pen­sée en langue. Or, aucun être humain ne peut met­tre un pied devant l’autre, et déjà se lever le matin, sans for­muler un peu son élan, et ses néces­sités de faire et d’agir : il doit les penser en rythme. (Une phrase sans rythme ne donne aucun élan.) L’idée de la rigueur vivante ou du sen­ti­ment des néces­sités de vivre est égale à l’idée de la poésie. Un être qui se coupe de l’idée de la poésie se coupe de la néces­sité de vivre, de penser sa vie en langue. Après tout, la langue est l’élément de toutes nos déci­sions : l’air même de nos déterminations.

 

4)    Dans Pré­face, texte com­muné­ment con­nu sous le titre La leçon de poésie, Léo Fer­ré chante : « La poésie con­tem­po­raine ne chante plus, elle rampe (…) A l’é­cole de la poésie, on n’ap­prend pas. ON SE BAT ! ». Ram­pez-vous, ou vous battez-vous ?

Non seule­ment nous ram­pons, mais tout a com­mencé dans la rep­ta­tion : la danse même est d’abord une danse de rep­tile, un élan à terre. Nous évolu­ons au ras du sol. Le chant est rampant.

 

5)    Une ques­tion dou­ble, pour ter­min­er : Pourquoi des poètes (Hei­deg­ger) ?  En pro­longe­ment de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?

Cf. 1) et 3).

 

 

 

 

 

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