« I’m becom­ing a ghost,
So, nobody can knock me. »

Jack White,  All Alone in my home

 

 

              Autre­fois, les pen­sées furent comme des mouch­es noires. Un éclat cru­ci­forme de métal en fusion lui ôta un instant la vue. Une fis­sure. Sa vue des choses comme monde. Un éclat de lumière en fusion auri­fia ses yeux noirs et blancs.

            Autre­fois. Ses yeux, à elle. Bleus et blancs de grand plein jour. Entre eux. Le silence glacé et métallique des mots vidés de sève. Des paroles exsangues.

            Les étoiles pur­purines, larmes pur d’yeux invis­i­bles. Les étoiles, yeux de feu du sub­lime abîme absol­u­ment insond­able. La bru­ine qui s’é­coule douce­ment dans l’air uni­for­mé­ment doux de la nuit, com­posée de minus­cules larmes célestes. Les mots s’élèvent de son cœur-étoile.

 

Elle, jeune fille.
Entre eux. La chaleur d’un silence essentiel.
La prière des corps.

 

            Et puis ce jour-là elle avait pleuré dans ses bras.  C’était tant de temps plus tard, plus loin. Et, comme si quelque chose vrai­ment exis­tait encore. Vivait encore entre eux. Comme si… Il l’avait con­solé. Enlacés. Désolés. Ils étaient restés là, au milieu des car­tons, des sacs éven­trés, troués, rongés par le feu acide du temps. Là, au cœur de toutes ces choses qui avaient été amassé, accu­mulé et qui avaient pesé sur leur vie. Leur vie com­mune, à eux et aux objets, aux choses acquis­es mais pas vrai­ment chéries, pas comme il aurait fal­lu. Tous ces amis mal­traités étaient devenus poi­son. Des kilos de plas­tique, de bois, de verre, de céramique et de tis­sus sans vie, sans vie, ils en étaient per­suadés. Main­tenant il fal­lait s’en débar­rass­er, les liq­uider, en fer­mant les yeux, vite, vite, sans y penser. Sans laiss­er aux objets le temps de les ramen­er vers les émo­tions passées, enfouies désor­mais sous d’autres kilo­mètres de tis­sus et kilos de ver­res, de bois, de plas­tique… Les oiseaux chan­taient, ils marte­laient les étince­lantes paroles sonores de leur poésie ryth­mique, indif­férents en apparence à cette déchirure. Et le vent aus­si, insen­si­ble vent qui fai­sait tintinnab­uler les feuilles et les fleurs, et le lilas de blancheur vir­ginale qui éclatait en frisson…

Main­tenant tout est éteint, tout est fini

 

 

Quel était ce par­fum à ses yeux,
Cet ondoiement à ses cheveux ?
Ce sen­tier sem­blait si lumineux
Qui frôlait l’église d’où
Elle con­tem­plait les cieux

Les nuages per­cés, les âmes emperlées
En carence de fièvres
La cadence est mièvre
Les prières bâclées.

Dis moi, dis moi,
Com­bi­en de perdrix
Pour faire ce pré tout gris ?

Dis-moi, dis-moi,
Quel est cet appétit
A per­dre ce qui est acquis ?

Tu jettes des cailloux
Dans ma rivière
Mais, rien à faire,
L’eau placide en reste claire
Rien ne la trouble,
Elle reste limpide
Elle demeure fière…

 

 

            Les mots s’élèvent de son cœur aurifère ! Appel insond­able. Parole non for­mulée, irré­ductible à une for­mule. Pure parole du cœur d’or. Suiv­ent, encore : [… inaudible]

            Sur le chêne une corde. Oui, là, un nœud. Pour­ris­sant l’at­tache se cache, imi­tant le lierre, singeant la liane. Les jeux furent con­tin­uels. Con­tin­u­ent-ils (invis­i­ble­ment cru­els, hors de portée) ? Un rire cristallin s’en­fuit, infi­ni. Cara­cole, cour, dégringole. Le rire d’une petite enfant qui agite ses frêles gui­boles qui, à peine, la porte. Qui courre et qui rit en s’échappant sur le vert tran­chant de l’herbe, déplaçant l’air embaumé de la fra­grance de l’herbe fraîche­ment coupée. Qui courre et rit à per­dre haleine ensem­ble. Le rythme sac­cadé de la res­pi­ra­tion insé­para­ble de l’hilare hoquet. Tout cela chancelant. 

            Autre­fois ce fut une plage. Le soir, tard. Il est tou­jours tard dans la mémoire. Une lumière ago­nique, et des ombres découpées, et la mer immense et noire. Des sil­hou­ettes qui s’é­bat­taient comme tail­lées, par une lame émoussée. Et la mer, intense et noire qu’on entendait plus qu’on ne la voy­ait. Tout s’éteignait et l’on dev­inait. Les choses, les mots, tout se fondait, et s’in­fondait, tran­quille­ment, pais­i­ble­ment. Sans con­fu­sion. Pais­i­ble drag­on. Tout, les mots, les choses, les rires s’u­nis­saient dis­tincte­ment. Et les lumières de l’ob­scu­rité révélaient les vérités infus­es. Enten­dre les couleurs, goûter les sons, voir son souf­fle. Les pen­sées sont plus nom­breuses que les grains de sable, et une mer lisse, abysse incon­cev­able les recou­vre. La mer lisse de l’ordinaire. L’eau lourde du ON…

            Autre­fois, ce furent les vagues; autre­fois, tou­jours le soir… mais, la mémoire n’est pas pour les souvenirs.

            Allait-il se relever. Allait-il se lever ? S’ex­traire de cette couche ? Dans cette humil­ité il y avait une puis­sance. Une puis­sance de mort/vie. « Si le grain ne meurt… ». Et puis, la semence et la terre, assas­sine fer­tile. La nature muette et puis les mots. Les mots, qui con­te­naient une puis­sance de mort/vie.

            Allait-il se défaire ?

 

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