J’ai copié le temps
Je savais que j’étais une fiction
Mais je ne pou­vais me suspendre

A retarder
Ou à avancer
Je n’ai rencontré
Aucun obsta­cle

(Léonard Cohen,  Le Livre du désir, Points, Sept. 2013)

 

Autre­fois, il y eut aus­si une ville, immense, énergé­tique, fiévreuse. Pathé­tique et grise, lumineuse­ment mor­bide, cloaque sur-éclairé, inten­sité de récréa­tion. Il avait marché. Marché les artères. Marché les ruelles. Piét­iné à pas per­dus sur les avenues. Rythme soutenu, cer­ti­tude de la rec­ti­tude des détours. Jambes, mécaniques char­nelles de pré­ci­sion. Coor­di­na­tion, tête, mus­cle, jambe, le plan se déroule, se trace, s’exé­cute. La carte s’éla­bore sous l’é­clairage arti­fi­ciel aus­si dur que le sol, aus­si dur que les enjam­bées par lesquelles la carte précé­dente s’ef­face. Marcher. Sacrificiel.

Aller. Sans fail­lir. Mal­gré la touf­feur et l’é­pais­seur pal­pa­ble de l’air tout autour. Mal­gré le froid qui coupe. Et l’air tou­jours aus­si chargé, mal­gré tout, mal­gré la pluie aus­si qui sait gra­cieuse­ment tomber. Marcher. Sans fail­lir. Respect du rythme. Sans défaillir.

Quoi s’ou­vre ? Dans la marche ? L’e­space. Le temps. Dans le mou­ve­ment ils se matéri­alisent. Amère sail­lie. Sous nos pas ils se lisent :

Comme des mots
Comme des mots
Comme des mots
Com dé mo
Com dé mo
Kom-démo, komdé­mo, komdé­mo : kom‑d Kom-démo, komdé­mo, komdé­mo : kom‑d Kom-démo, komdé­mo, komdé­mo : kom‑d Kom-démo, komdé­mo, komdé­mo : kom‑d

            Avec la lumière d’or rosé se lève une brise tout à fait légère, sin­gulière, tout à fait unique, par­ti­c­ulière. La toute pre­mière brise d’un tout pre­mier matin, édénique. Tout pareil pour­tant, de tout temps à tout autre pareil. Le rose, alors, inten­sé­ment lumineux, sem­ble n’avoir aucune, aucune source vis­i­ble. Comme la brise, pri­mor­diale, absol­u­ment légère. Les vénéneuses et blanchâtres mappe­mon­des se bal­an­cent plus vis­i­ble­ment, plus intensément. 

            La teinte grisâtre, trop bla­farde de l’hori­zon se décou­vre. Ses jambes encore, encore, et encore s’élan­cent. Bal­ance­ment symétrique. Con­tre l’azur de métal et de verre les lumières trop cri­ardes. Elec­triques, trop. Comme les mots qui l’en­tourent et l’enser­rent. Des dunes incan­des­centes pour­raient se lever. Il pour­rait marcher dans le désert. Trac­er de ses pieds une carte pour rien, pour le vide lui-même. Il pour­rait marcher le désert. Une seule matière, pas d’hu­mus. Une puis­sance, toute­fois, de vie/mort !

Elec­trique trot… (Epilep­tique trop –plein de mots…)

            Les nuages d’un blanc-crème ridicule s’af­fais­saient en hautes plat­i­tudes. Le bitume s’ef­façait et se vapor­i­sait en une mul­ti­tude de billes noires d’im­puis­sante amer­tume. Les façades lugubres et tous les gris alen­tours dégo­i­saient en syn­taxe déroutante, tout dégouli­nait de paroles d’égo(uts), dégoû­tantes et tout, tout toutou tout aboy­ait, injuri­ant d’in­con­grues asso­nances qui claquaient, cog­naient et grondaient comme mille canons en furie… Ce dé-monde s’en­gloutit lui-même, il se dévore ses mots-mem­bres qu’aimer il a dés­ap­pris. Il s’en-gouf­fre. S’au­to-goin­fre de lui le malap­pris. Ces mots à lui, par lui tox­i­fiés, inter­nelle­ment toxis­sisés  il se les boulotte main­tenant, tran­quille­ment, impa­vide, comme autant d’acides qui le déglingue et le ronge. (Ego-can­ni­bal­isme)

 

                        Que cal­fa­tent-ils nos vieux mots aux jours putrides,
                        des jamais, plus jamais, jamais non plus jamais… ?
                        Que cautérise-t-il l’homme bègue dans un souf­fle ? (chan­té)

 

            Tout empris des mots non-pen­sés il mar­chait en traçant l’axe désor­bité, encore.

            Quoi s’ou­vre ? Dans la marche ?

L’e­space.

Le temps.

Dans le mou­ve­ment ils se matéri­alisent. Sous nos pas ils s’en­lisent. Quoi ? S’échap­per, échap­per au vent qui tourne et claque. Aux choses que nous avons trans­for­mées en tor­rents glacés qui nous sub­mer­gent… Quoi ?

            Il mar­chait et les mots s’épui­saient. Les mots pen­sés s’ex­ténu­aient. S’él­e­vaient de son cœur désert aurifère les mots non-pen­sés. Avec le rythme,     en le rythme

                                                                                                          dans le rythme

                                                                                                                  en dedans le rythme

 

            Alors qu’il repo­sait encore de tout le long de son corps dans la décom­po­si­tion vivante et grouil­lante, s’él­e­vaient aus­si les mots, les paroles frémis­santes de mys­tère. Alors qu’il savait encore le corps de la jeune fille presque entier. Et les paroles brûlantes. Et le corps blanc, tran­chant. Par cœur il les savait. Il les savait mais, dans la pos­ses­sion ne les voulait. Comme il ne pour­rait jamais vouloir avoir le monde qui, tou­jours, s’en­fuit et revient, meurt et revit. Il repo­sait dans l’herbe endormie qui avait, pour un temps, pour son temps, cessé de croître. Dans l’herbe qui avait voulu cess­er de croître.

Désac­coin­tance de l’orbe. 

Par­mi les feuilles qui, pour un temps encore, étaient jaunes et or. Au milieu des champignons, excrois­sances explo­sives de la vie souter­raine en rhi­zome qui était vie authen­tique. Au sein du monde comme sar­cophage il repo­sait. Au sein du monde comme dévoreur de chair. Mais, la chair excède le corps. La chair, explo­sion énergé­tique de vie, exten­sion du réseau rhi­zomique du νούσ.

            La lumière non-vis­i­ble du jour vint effac­er les étoiles. Les étoiles comme les yeux innom­brables des Chéru­bins ! Les étoiles bril­lantes comme miroirs noé­tiques. Myr­i­ade d’anges dont les voix d’ex­al­tant silence sont la lumière hyper­céleste tra­ver­sant le temps à la durée incom­préhen­si­ble. L’e­space-temps qui ne peut jamais être un ter­ri­toire et que, pour­tant, les archanges et les anges arpen­tent de leurs pas ailés. Ils/elles attrapent les temps et les envois ribouldinguer afin qu’ils recom­men­cent. Manège ailé.

 

J’attrape au si près  précieux
L’enlaçant lacis de tes yeux…

A l’étonné regard
J’énonce sans fard
La tar­dive doxologie
De l’âme endolorie
Qui, dans un soupir soyeux,
S’éveille à son envie.

Sous les sévères pins blafards
S’ébroue des feintes, sans égards
Pour l’émacié passé des jeux
Aux con­traintes alourdies,
Extraite des cloaques bilieux,
L’âme, l’ange aux cent milles yeux.
 

            Silence d’une inouïe pro­fondeur. Aber­rante béance. Oubli.

                     

Qu’i­rais-je chercher dans d’autres yeux ? A quelle ren­con­tre marcher encore ?
Qui com­prend sans réduire ? Qui ques­tionne sans séduire ?
Quelle langue par­ler ? Quelle langue taire ? Quelle langue, donc, par­le sans                                                                                                                                                     détruire ?

 

            La lit­téraire ?
                                  Encore ?
                                                   mentir ?

 

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