Avons-nous encore la force et le désir de répon­dre me voici à l’appel de la célébra­tion ? C’est ain­si que se con­clu­ait le poème Apoc­a­lypse du recueil Cass­er les soleils (Cor­ti, 1993). J’avais reçu ce livre aux poèmes som­bres avec cette dédi­cace : Cher ami, voici mon infer­no (il fal­lait y descendre)…

Les leçons d’agonie que le Christ, dans notre exil, ne cesse de nous révéler tra­versent les poèmes de ce jésuite et poète, tra­duc­teur notam­ment d’Hopkins, et pour­tant, il était bien un des seuls, depuis les années 60, à faire du moin­dre frag­ment de l’univers un éveil au sens et aux sensations.

Car l’amour accroit la per­cep­tion. Et rares sont les poètes qui, d’un recueil à l’autre, nous sur­pren­nent en affi­nant leur approche du monde, en s’ouvrant aux tim­bres des voix qui nous appel­lent. Lisant Mam­bri­no, j’ai tou­jours été sur­pris par ses change­ments de reg­istres, de prosodies, par ses écarts et ses para­dox­es, par cette immense lib­erté remuant le fond sen­suel du réel. Comme chez Claudel, quelque chose dans cette oeu­vre brave la tem­pête, lève les yeux vers ce qui est désor­mais inter­dit. L’écriture écoute, prend feu, prend le large, nav­igue, dans un lyrisme sans plat­i­tude, vers l’infini brûlant d’un dia­logue en attente d’une présence.

Chaque poème alors énumère, con­sent, dilate les lim­ites de l’instant. Il y a tou­jours ce bon­heur à être, à renaître : Je bénis le bref soupir dans les feuil­lages rem­plis­sant ma poitrine en cette minute éternisée qui danse.

Ses arti­cles dans la revue Etudes ont été des exer­ci­ces d’admiration, des paroles dans l’estime. Ils ont dévoilé une oppo­si­tion farouche au nihilisme qui a pour soubasse­ment cette pul­sion de mort con­duisant, dans le domaine lit­téraire, à la néga­tion du sens, au lan­gage sans objet. Au par­ti pris néga­tiviste, Mam­bri­no a pro­posé une autre démarche capa­ble d’intégrer l’extrême mal : Les morts cou­vrent le sol de leurs sacs de peau plein de vers. Sur les murs du néant pen­dent vos dra­peaux noirs. Et l’extrême bien : Sur la table du monde un soleil de gala.

L’âme et la chair, la souf­france, la vigueur, la mer­veille, l’amour… tout ensem­ble, tout est là – proche, admirable de prox­im­ité – et la répéti­tion ne vient pas d’une absence de vie mais de son excès. Le poème, comme l’icône, opère par dis­tance. Le retrait de Dieu ren­force son attrait et du Dieu sans vis­age, de son regard invis­i­ble, s’impose un éloigne­ment qui lui-même impose un chemin : Quand donc com­pren­dras-tu l’amour de cette absence ?

Osant une total­ité, Le palimpses­te ou les dia­logues du désir (Cor­ti, 1991) mêle, sur 300 pages, deux voix qui s’écoutent et se répon­dent, s’affirment et se dérobent, jouent avec le désir d’infini et d’enfermement, solil­o­quent, se sou­vi­en­nent, s’affranchissent. Un chœur de voix dont cha­cune con­serve son infi­ni en acte, sa hec­céité (Duns Scot). Voilà le chant de l’amour et du don, du partage et de la démesure et du chemin à venir : Le plus intime en toi, c’est l’horizon.

Le désir fait signe, efface les pre­mières écri­t­ures, se recom­pose, croit attein­dre le lieu (mais la présence se dérobe), s’affronte aux notions d’enracinement, de demeure : On voit tou­jours loin dans l’oubli de l’origine. C’est le désir qui dévoile les teintes, les vari­antes, les odeurs, les reflets, les échos et qui fait naître des par­cours incon­nus. Une pro­fu­sion de lumière et de splen­deur porte l’écriture de Jean Mam­bri­no ; un accueil per­ma­nent, un amen illim­ité, car rien n’est plus beau que la promesse de l’impossible

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