La poésie est métisse, elle est musi­cale et nauséeuse, minu­tieuse­ment tech­nique et vis­cérale­ment libre, elle ne respecte rien et surtout pas tes sou­venirs, elle se dis­sout dans ta cage tho­racique comme les volutes mauves de l’opium, elle écartèle le plus secret de tes instants, elle tourne dans le ciel éblouis­sant des galax­ies comme un satel­lite ivre, elle est per­due, elle est aveu­gle, elle est mys­tique, elle est ordure et tré­sor, joie et pous­sière, lumière et peur, or et sanie, arme et vic­time, décep­tion, décou­verte, un muet la tue tous les matins pour la réin­ven­ter tous les midis, elle prend son envol à la lisière des forêts, elle déchire les fleurs cen­drées du cré­pus­cule, elle cogne ta voûte crâni­enne comme les tam­bours du Bronx et les galops des hordes bar­bares, elle glisse sur le par­quet obscur de tes milon­gas, elle est répéti­tion, scan­sion, ressasse­ment, refrain, elle est le flux de chaque jour à l’horizon de chaque nuit, elle est l’attente de la mort et le refus de toute mort, elle est la vérité déri­vant dans l’océan des com­pro­mis et des renon­ce­ments, elle est som­nam­bule comme ta vie et lucide comme tes insom­nies, elle est la fièvre qui ronge tes tem­pes, elle est la soif qui sourd aux com­mis­sures de tes lèvres, elle est cette eau mal­saine qui jamais ne te rafraîchi­ra et don­nera nais­sance à une infinité de soifs, elle dérive au fil de l’eau per­due de ton enfance, elle est le vent invis­i­ble sur l’herbe et la vipère invis­i­ble dans l’herbe, elle est ce doigt rêveur sur les touch­es d’un piano aban­don­né, elle pince les cordes d’une gui­tare désac­cordée dans une mai­son vide, elle est la foule qui bâtit des bar­ri­cades, elle est le pain don­né à un men­di­ant, elle est le regard don­né au soli­taire et le sourire à l’ignoré, elle t’attend, elle t’attend depuis tou­jours, elle a besoin de toi, un besoin dévo­rant de ta voix et de ta vie, elle mur­mure, elle crie, elle tou­sse, elle crache le sang de chaque mot et de chaque silence, elle va, elle trébuche, elle tombe et se relève, elle avance, elle est la vérité, elle est le chemin et la vie.

 

mars 2012
 

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