Voilà mille ans. Et de mise encore, ce jour !
Immuable, imper­turbable et féro­ce­ment oppos­able à l’esprit lib­er­taire et libéra­teur du poète  : La rumeur infâme com­pose et décom­pose dans la vile tyran­nie et indigne adver­sité le des­tin frag­ile du poète. L’être qui se con­sume pour éclair­er  les siens et le monde. Cet être qui nous éveille aux  lende­mains affran­chis. Au seuil des jours nou­veaux. En soulève­ment. En enchantement.

De tout temps, je crois, la clameur, le bruit, la calom­nie et autres esclan­dres obscurs, tis­sées de défi­ance et de haine guet­tent le souf­fle indompt­able, révo­lu­tion­naire, con­tes­tataire, précurseur et jus­tici­er du poète. La rumeur que les enne­mis de la lib­erté bran­dis­sent à l’aube de chaque nou­veau pas accom­pli vers la lumière. Menaçante, igno­minieuse, out­rageante, obscu­ran­tiste, destruc­trice, crim­inelle. Odieuse­ment per­sis­tante. Obses­sion­nelle­ment insi­dieuse. Lâche­ment silen­cieuse, veule, arbi­traire, traquant les traces osées des hommes et des femmes libres.

C’est avéré, les despotes, les usurpa­teurs, les adeptes de l’abus et de la tyran­nie ne per­dent jamais de vue le poète. C’est leur pre­mière cible. La plus impor­tante, sans doute, car emblé­ma­tique. Aus­si, lorsque celui-ci échappe à leur vin­dicte, à leur con­damna­tion d’exil, d’atteinte physique, il est par­fois sauvage­ment rat­trapé par les griffes de la rumeur, qui vient semer le trou­ble et la con­fu­sion dans l’attitude, les pro­pos et les engage­ments du poète. Le grotesque et macabre jeu inau­guré par les calom­ni­a­teurs, les détracteurs et  ceux qui craig­nent de per­dre leurs priv­ilèges et leurs pou­voirs, acquis hon­teuse­ment, sans mérite. Dans le mépris du droit. Car, le nœud du prob­lème, c’est le droit. En effet, on ne craint les poètes que dans un ter­ri­toire de non droit.
Les illégitimes, les injustes, les oppresseurs et tous les écumeurs de rêves et de ter­ri­toires, veil­lent à ce que les poètes n’atteignent pas les peu­ples par leur verbe rédemp­teur. Leur souhait le plus inavoué est de taire le poème. A jamais. Car, le poème dénonce le crime et sa honte.
L’œuvre de la rumeur est d’effacer les traces ciselées d’opiniâtreté, de réso­lu­tion, d’ambition et de renais­sance. La rumeur s’attaque d’abord à la notoriété, à la sym­bol­ique, à la per­ti­nence, à la force de car­ac­tère, au désir de change­ment, à l’envie de libéra­tion. La rumeur empoigne les voix qui s’élèvent, piège les ardeurs qui nous guident vers l’affranchissement et l’absolu. La rumeur accuse ceux qui nous éclairent par leur génie et leur pro­fondeur, ceux qui nous inci­tent à nous réap­pro­prier nos mots, nos espaces, nos ter­ri­toires, nos emblèmes. Nos pre­miers rêves. L’enfance et l’innocence.  Et surtout nos mémoires. Lorsqu’un poète entre­prend l’écrit iden­ti­taire, l’écrit  de toutes les empreintes, de tous nos ancêtres.  Il devient for­cé­ment dan­gereux. A crain­dre, à sur­veiller et si pos­si­ble, à censurer.
Est-il néces­saire de rap­pel­er que cer­tains pou­voirs, peu légitimes, ne fonc­tion­nent qu’en sys­tème symp­to­ma­tique de rumeur, provo­quant, entre­tenant, délibéré­ment les peurs, les fan­tasmes et les tabous des peu­ples que l’on veut endormir, occu­per, trem­per et duper. N’est-ce pas là, le meilleur moyen de l’assujettir, de lui faire oubli­er qu’il doit entre­pren­dre la marche de  son éman­ci­pa­tion, celle de la réal­i­sa­tion de soi. N’est-ce pas là, une pos­si­bil­ité d’annihiler sa vig­i­lance et son éveil. Son droit de deman­der des comptes et de sug­gér­er d’autres visions du monde ?!
Oui, la rumeur est la pre­mière vio­lence qui accuse le poète. La pre­mière fureur qui le pousse vers l’extrême fron­tière de ses pos­si­bil­ités d’endurance et de résis­tance. Face à la bar­barie, face à l’abus. Il s’en sort donc, anéan­ti. Ou alors, grandi.
En cet instant pré­cis, nous pen­sons aux plus célèbres poètes humil­iés par les plus folles  rumeurs, parce que bril­lants, libres et rebelles. Parce qu’ils représen­tent l’interrogation, l’opposition et la trans­gres­sion : Homère, Baude­laire, Rim­baud, Hugo,  Khayyâm, Matoub. S’il n’y avait que ceux-là !
Ces grands esprits, si néces­saires, essen­tielle­ment proches de leurs peu­ples, leur  insuf­flant toutes les couleurs du rêve et de la lib­erté. Celles de tous les pos­si­bles. On a  tou­jours ten­té de les extraire de leurs peu­ples, on jetant leur moral­ité en pâture aux plus ravageurs fra­cas. Pour  faire diver­sion, retarder l’inéluctable marche des libertés.

Neu­tralis­er, occu­per le passeur de lumière, le bâtis­seur de des­tin. Isol­er le poète est l’une des ten­ta­tions les plus sécu­laires des tyrans. Et d’isolation à la folie, il n’y a plus qu’un pas.  Eh bien, voilà ! La fameuse rumeur de la folie.
Quel grand poète n’a pas con­nu cette infamie !

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