J’e­spérais me repos­er, je me suis sur­prise à écrire dès l’aube. Cet évène­ment dont l’amer­tume relèverait d’une allé­gorie, n’est qu’un nou­v­el épisode, tris­te­ment réel, com­posant la parade con­tem­po­raine de nos tour­ments. Avec une curieuse impres­sion d’avoir déjà assisté à ce déluge. Je me demande si ces mots seront utiles, s’ils réus­siront à étein­dre notre inquié­tude, s’ils parvien­dront à ren­dre  jus­tice à notre exil.

Nous sommes jeu­di. Plutôt, ven­dre­di. Je crois que tous les jours finis­sent par se ressem­bler en ce pays lunaire, san­guinaire et nécrophile. En promesse de pous­sière et d’abus, en règne d’ab­solu tumulte. Nous accu­sons le chaos qui s’an­nonce inévitable. Nous cher­chons dans nos gri­moires et vieux man­u­scrits l’ex­pli­ca­tion de la fatal­ité. En vain. Nous auri­ons  pu nous en méfi­er, quand pour la pre­mière fois sur cette terre autre­fois olivâtre, nous ouvrîmes les portes aux mes­sagers d’Anathème. Pour­rions-nous un jour chang­er le COURS des choses et ren­vers­er cet incom­men­su­rable malheur !

Ils n’avaient plus le temps d’hésiter. Frap­pés par le péché. Piégés par la grav­ité du ban­nisse­ment et de la dis­grâce. Con­traints de rejoin­dre un camp de servi­tude sur un ter­ri­toire mil­lé­naire et reçu de leurs aïeux. Abusés dans leur offrande et dans leur opti­misme.  Les voilà jetés, face à des êtres aveuglés par la vio­lence des sen­tences innom­brables et enfilées en chapelets de rancœurs sur des sabres aigus et stri­dents. Ils se pré­cip­i­taient dans le désar­roi de leurs pas et dans la folie de leurs saisons trahies, vers des geôles qui pous­saient dans le désert, sur d’an­ciens rem­parts. Puérils  et francs, ils n’avaient pas vu venir le cat­a­clysme. Ils n’avaient plus le temps de s’in­ter­roger à pro­pos du joug qui leur était réservé. Il ne leur restait plus de temps pour réalis­er leur perte, pour se regarder par­tir, injuriés, expro­priés et blessés. Lais­sant der­rière eux, leurs siè­cles ciselés de foi col­orée et leurs ora­toires mar­qués d’élab­o­ra­tion dévouée. Où sont passés leurs saints pro­tecteurs, leurs lanternes, leurs marabouts et leur soleil affranchi !

Har­nachés de haine noire et fréné­tique, dégouli­nants de fiel, ils vocif­èrent des mots con­t­a­m­inés et des ruines. Ils avan­cent en trombes dévas­ta­tri­ces vers les tem­ples et les pier­res sacrés, avec la ferme et acerbe inten­tion de les réduire en cen­dres, avant d’y enracin­er leur ban­nière mor­bide. Obsédés par la lumière des prières, qu’ils voulent  ravir, puis anéan­tir. Savent-ils ! La lumière ne se prend pas, ne se décom­pose pas, ne se simule pas, ne se refait pas. La lumière se forge à souf­fle d’ef­fort et de per­sévérance. La lumière s’of­fre à qui cul­tive l’être d’amour et d’in­no­cence. La Lumière se dévoile dans l’ardeur, dans la paix et dans la légitim­ité. La lumière se mérite. Elle ne s’ar­rache pas, elle ne s’abuse pas. Et aucun voile ne parvient à recou­vrir totale­ment la lumière. Mêmes les voiles les plus épais, les plus lourds et les plus sombres.

Sur chaque con­trée tra­ver­sée, les autochtones, les dévots, les dif­férents, les gar­di­ens de tem­ples, les hommes libres, sont som­més de détru­ire leurs instants pais­i­bles, car la tyran­nie prit d’as­saut les cités ensom­meil­lées, les joy­aux du monde. Les splen­deurs nour­ries de fra­ter­nité et de sagesse allaient s’é­va­por­er. Affaib­lis, les hommes trahis s’ac­crochèrent à l’om­bre du sou­venir qui demeu­rait des mau­solées. Baby­lone, sub­lime, assista, sans  mot dire, à leur départ injuste. Et La Kahé­na indompt­able se sou­vint, non sans regret, de cet instant pre­mier où elle crut à l’amour absolu, où elle se livra dans la beauté extrême et dans la can­deur ambrée de son sein. Son courage ne suf­fit pas à retenir le gouf­fre. Elle se dît qu’il n’y avait désor­mais d’ab­solu nulle part. Même pas en amour. Le sien était pour­tant si vaste et si solide. Il cou­vrait toute l’Afrique. Mais que reste t‑il de l’Afrique !

Après Boud­dha, aujour­d’hui, c’est le tour de Jonas de subir les foudres de l’ob­scu­ran­tisme. Pau­vre prophète, réveil­lé brusque­ment de son repos mil­lé­naire pour répon­dre à la con­vo­ca­tion d’une névrose instan­ta­née ! Il vit se com­pos­er une macabre transe de pil­lage, d’ef­frite­ment, de démence totale. Demain, vien­dra le tour de Zoroas­tre. Sans trêve, sans scrupule, les défunts seront tous ressus­cités pour répon­dre de leur His­toire, ceux qui par­mi eux por­tent le signe de la con­nais­sance, seront alors damnés ! Désor­mais, il n’y aura ni répit, ni poésie, ni man­u­scrits, ni tombeaux, ni lieux saints. Le ciel obscur décrété nous est ain­si imposé en unique et cynique con­science, il nous con­cen­tr­era en piéti­nant nos dif­férences, en annu­lant nos plus pré­cieux mythes fon­da­teurs et il cèlera notre des­tin dans la soumis­sion des dieux inven­tés. Com­bi­en sommes-nous de peu­ples à enten­dre :“Ils doivent se con­ver­tir, par­tir ou mourir !” Nous par­tons, Alors. Dans la honte, dans l’ef­froi et dans la dérai­son surtout. A‑t-on un jour con­nu pareille tyrannie !

Dans l’escalade de leur furie, pos­sédés, aliénés, por­teurs de mis­ère et de destruc­tion, agars et transper­cés d’in­ter­dits, pétris de ter­reur, ils  pour­suiv­ent pour­tant, ils pour­chas­sent, ils  men­a­cent en psalmodi­ant des verts tran­chants  et assas­sins. Ils sont en colère et en hargne, ils sont ter­ri­fi­ants et déter­minés au sac­ri­fice. Ils respirent à grande peine, ils célèbrent le culte de la mort. Ils ne sup­por­t­ent pas les sourires bleus et écla­tants, ils ne tolèrent pas les chants mauves et libres. Han­tés par l’é­cho des voix cristallines, qui boule­versent leur tor­peur et révèle leur délire sidéral. Ils veu­lent  faire taire toutes les voix, ils veu­lent déporter ceux qu’ils ne com­pren­nent pas, surtout ceux qui les ont précédés. Il sem­ble qu’ils craig­nent même les silences. Leur escalade acharnée qui dure depuis quelques siè­cles a fini de GAGNER le monde. Qu’ad­vien­dra t‑il du monde !

Ain­si, au soir du doute, alors que les femmes fai­saient lumière, par un chant de hen­né,  des hordes de bar­bares sur­girent des qua­tre coins du désert, accom­plir le fin du monde, pour sus­pendre la féminité et bris­er le désir de lib­erté. Ils voient en elles des dia­bles à vain­cre, des lueurs à étein­dre et une lib­erté à dévaster. Car, ils ont aus­si peur des femmes. Ils sont obsédés par la plus infime par­tie  des CORPS DES FEMMES. Comme s’ils pou­vaient s’y noyer.C’est pour cela qu’ils cherchent à effac­er les femmes autant que les vieilles pier­res qui leur rap­pel­lent l’am­pleur de leur igno­rance, de leur souil­lure, de leur évanes­cence. Ils pro­jet­tent la haine qu’ils cul­tivent d’eux-mêmes sur les sanc­tu­aires de notre prove­nance, car eux, ils ne vien­nent de nulle part. Ils aiment piller notre his­toire, car  leur légende est sor­dide. La racine pro­fonde de leur vio­lence tient du chaos le plus intime qui rumine au plus pro­fond d’eux-mêmes. Ils ont  peur des femmes, comme ils ont peur de la vie.

Nous fixons de nos yeux effrayés leurs gestes inco­hérents, démesurés, menaçants et putrides de ces indi­vidus scel­lés dans la bar­barie. Ils dis­ent com­bi­en la colère les a abimés et com­bi­en la con­ver­sion les a  anni­hilés. Vic­times d’eux-mêmes d’abord, ils s’ex­tasient de propager la vio­lence et jouis­sent de la mise à mort de l’Hu­man­ité, la leur ayant été effon­drée, sans nul doute. Les mains chargés d’armes, d’in­stru­ments de tor­ture, d’in­jures et d’ab­jec­tions,  ils pèsent sur le sable comme ils pèsent sur l’his­toire de leurs corps pétri­fiés et nauséabonds.

Nous fixons leur regard fuyant, humil­ié et obscur­ci. Nous en décelons tout le décom­bre per­ver­ti. En proie à des démons enflam­més, ils ressas­sent le sup­plice de la mort, pressés de rejoin­dre leur des­sein, un mirage qui fonde et con­stru­it la récom­pense de leur cer­ti­tude : Des cen­taines de vierges à vio­l­er ! Com­ment peu­vent-ils croire à un par­adis aux allures d’un lupanar !

Quant à elles, pour résis­ter, elles abolis­sent le verbe voil­er. Elles ouvrent grandes leurs portes et leurs lucarnes. Elles éclair­cis­sent leurs voix pour que leurs chants illu­mi­nent le ciel. Elles réaf­fir­ment leur lib­erté de con­science et inau­gurent leur désir d’ex­is­tence. Demeur­er dans les bat­te­ments de la vie est leur choix, œuvr­er pour le salut du poème est leur foi. Nulle révéla­tion fan­tai­siste ne saurait ébran­ler leurs liens et leurs fon­da­tions. Et elles ne pour­raient envis­ager de vivre sans aimer. Elles livrent bataille au dén­i­gre­ment et à l’envoûtement. Bataille que le monde devrait écouter, s’ap­pro­prier et porter. Ces femmes sont la clarté du don, le sym­bole de l’éveil, la lucid­ité et l’équili­bre. En cette fron­tière d’e­spérance, les hommes aiment  leurs femmes. Ils  aiment leurs enfants et pren­nent  soin des êtres frag­iles. Ils adorent leurs vieilles pier­res et se sou­vi­en­nent de leurs sanc­tu­aires. Tous aiment la vie, et con­stru­isent l’amour. Car,  ils doivent à l’amour leur renaissance.

image_pdfimage_print