Mer­ci pour la poésie – et non « pour les poètes », car on peut imag­in­er que la plu­part d’entre eux vous haïront plus encore qu’avant (oui, c’est pos­si­ble), d’ainsi béné­fici­er de cinq pages pleines dans Libé de lun­di dernier. Le pré­texte en étant la pro­mo­tion de votre dernier « petit » recueil de poèmes.

Certes je  souscris à la plu­part de vos répons­es aux ques­tions posées. Mais je pense surtout que le fait même d’accorder une telle place à la créa­tion poé­tique « risque » de faire autant — sinon plus — pour l’élargissement de son audi­ence auprès d’un nou­veau pub­lic que quelques années de Print­emps des poètes ou de Mai­son de la poésie.

Faire savoir ain­si que la poésie peut être le prin­ci­pal car­bu­rant d’un artiste mon­di­ale­ment con­nu pour ses romans prou­ve com­bi­en la poésie atteint, à tra­vers les œuvres procé­dant d’autres dis­ci­plines, beau­coup plus de monde que le faible tirage des recueils le laisse entendre.

La poésie, ce sont des voix soli­taires à la recherche d’oreilles mul­ti­ples. Recherche dés­espérée le plus sou­vent. Lorsqu’une oppor­tu­nité se présente de les faire se ren­con­tr­er, ne boudons pas notre étonnement. 

Vous savez que je sais que vous êtes poète avant d’être romanci­er (1) depuis qu’en 2011, ma qual­ité de con­seiller lit­téraire m’a per­mis de vous inviter au fes­ti­val de poésie Voix de la Méditer­ranée à Lodève. Vous n’aviez hélas pu vous libér­er dans les temps voulu, et vous en êtes à regret excusé. 

On pour­rait dis­cuter bien des idées que vous avancez. Per­me­t­tez-moi de réa­gir sur un point : vous pensez appartenir au  XIXème siè­cle. Certes vous n’êtes pas du XXème (on pour­rait peut-être par­fois s’en réjouir). Je pense pour ma part que vous appartenez au XXIème siè­cle – n’en déplaise aux puristes de tous bor­ds (j’entends déjà gron­der les injures), en ce sens que votre poésie déplace les lignes bien plus qu’il n’y paraît.

Mais la plus sûre façon de faire enten­dre ce « bous­cule­ment des lignes » n’est-il pas de lire ces poèmes, tant ils sont à des années-lumière de ce qui forme le scrupuleux quo­ti­di­en du monde poé­tique. Monde qui s’apparente de plus en plus (comme tou­jours !?) à un « milieu » soucieux de sauve­g­arder ses ter­ri­toires de ter­reur où se ter­rent des atter­rés. Milieu dont les marges ne sont pas for­cé­ment dans les excès (eux-mêmes le plus sou­vent ô com­bi­en con­venus !), mais dans cette manière d’insinuer du classique/classé, du reconnu/commun, dans un présent «soi-dis­ant « mod­erne » qui dénie à ces formes poé­tiques apparem­ment « suran­nées » la capac­ité à dire notre réal­ité. Et pour­tant ! C’est en frap­pant au cœur de l’illusoire « orig­i­nal­ité » de la com­mune expres­sion poé­tique (dont nul n’a cure par ailleurs) que ces poèmes font explos­er tout un sys­tème d’auto-reconnaissance que les poètes – du moins ceux qui se gar­garisent de cette pâle appel­la­tion – ne sauraient supporter.

Je ne crois pas avoir de ma vie tant lu et enten­du glos­er sur un poète dans les grands médias ! Par bon­heur, ils ne savent pas, eux non plus, ce qu’ils lisent. Au con­traire, on peut l’espérer, des « nou­veaux lecteurs » que ces poèmes interpellent.

Marc Delouze, écrivain, poète, créa­teur des Parvis Poé­tiques, con­seiller lit­téraire des Voix de la Méditer­ranée de Lodève.

(1)    Robert Sabati­er en fut un bel exem­ple, lui aus­si. Et com­bi­en d’autres que le pub­lic ignore.

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