Michael Crummey : poèmes tirés de Hard Light

Par |2024-01-06T14:05:38+01:00 6 janvier 2024|Catégories : Essais & Chroniques, Michael Crummey|

Orig­i­naire de Terre-Neuve, le romanci­er, poète et nou­vel­liste cana­di­en Michael Crum­mey est né à Buchans en 1965 et vit présen­te­ment à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il est l’auteur de nom­breux livres, sou­vent récom­pen­sés par des prix lit­téraires cana­di­ens et inter­na­tionaux. Après Les voleurs de riv­ière (2004), Du ven­tre de la baleine (2012) et Sweet­land (2017), Les inno­cents est son qua­trième roman traduit en français (août 2020). Le livre a paru en août 2019 dans sa ver­sion anglaise (Dou­ble­day Cana­da) et reçu un très bel accueil de la cri­tique. Il a notam­ment été en lice pour le pres­tigieux Sco­tia­bank Giller Prize : « Le roman de Crum­mey a la capac­ité de chang­er la manière dont le lecteur envis­age le monde. » Comme l’écrit aus­si Mario Clouti­er : « L’écrivain […] pos­sède un imag­i­naire mar­qué par l’influence de la géo­gra­phie sur le car­ac­tère des habi­tants. Le ter­ri­toire comme per­son­nage, le paysage bous­culé par les vents et trem­pé par les larmes océaniques. » (« Michael Crum­mey, tout homme est une île », 5 juil­let 2018, La Presse). En 2022, il a pub­lié un nou­veau recueil de poésies, Pas­sen­gers, et son dernier roman, The Adver­sary, vient de paraître. Tous les textes présen­tés ici sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998), livre qui a reçu un excel­lent accueil cri­tique. Comme l’écrit R. G. Moyles au sujet de Hard Lightdans Cana­di­an Book Review Annu­al : « […] C’est un bril­lant styl­iste : jamais obscur et rarement pédant. […] Crum­mey nous emmène dans des voy­ages extérieurs et intérieurs dont nous pou­vons revenir avec une com­préhen­sion des forces éter­nelles trop puis­santes pour être con­quis­es mais qu’il est tou­jours néces­saire de défi­er. » Et John Steefler d’affirmer : « […] Les voix anonymes de Lumière crue nous par­lent en tant qu’individus dis­tincts. Ce qui ressort encore et encore au pre­mier plan de leurs courts réc­its, c’est leur déter­mi­na­tion et leur con­science […] une his­toire sociale con­cise et poignante de Terre-Neuve. » Hard Light a inspiré le doc­u­men­taire LUMIÈRE CRUE (2003) réal­isé par Justin Simms, qui y trace le por­trait de Michael Crum­mey en quête de ses racines (https://www.youtube.com/watch?v=D8IQ6c048aM).

9 textes  tirés de Hard Light

Traduits et présen­tés par Jean-Mar­cel Morlat

[Water/Eau]

 

EAST BY THE SEA AND WEST BY THE SEA 

I, Abra­ham LeDrew of Bri­gus in the Dis­trict of Port de Grave, in con­sid­er­a­tion of the sum of Six­ty Dol­lars ($60.00) in hand paid to me, have bar­gained, sold, and deliv­ered unto Arthur Crum­mey of West­ern Bay, Dis­trict of Bay de Verde: a Fish­ing Room with Dwelling House, Stage, and Store House at Breen’s Island, Indi­an Tick­le, Labrador, on land bound­ed as fol­lows: North by Tobias LeDrew, South by Hen­ry LeDrew, East by the Sea and West by the Sea.

To have and to hold the afore­said premis­es unto the said Arthur

Crum­mey, his heirs, exe­cuters, admin­is­tra­tors and assigns forever.

In wit­ness where­of I have here­with set my name and seal this 16th day of Jan­u­ary, 1934, at Bri­gus, Newfoundland.

À L’EST DE LA MER ET À L’OUEST DE LA MER

Je sous­signé, Abra­ham LeDrew de Bri­gus dans le Dis­trict de Port de Grave, en con­trepar­tie de la somme de soix­ante dol­lars (60 $) payée de la main à la main, ai négo­cié, ven­du et remis à Arthur Crum­mey de West­ern Bay, Dis­trict de Bay de Verde : des bâti­ments de pêche avec mai­son d’habitation, un chafaud et une remise à Breen’s Island, Indi­an Tick­le, Labrador, sur une terre bornée de la façon suiv­ante : au nord par Tobias LeDrew, au sud par Hen­ry LeDrew, à l’est par la mer et à l’Ouest par la mer.

Led­it Arthur Crum­mey, ses héri­tiers, ses exé­cu­teurs tes­ta­men­taires, ses admin­is­tra­teurs et ses béné­fi­ci­aires sont investis de la sai­sine des lieux susmentionnés.

En foi de quoi j’ai ci-joint apposé mon nom et mon sceau en ce seiz­ième jour de jan­vi­er 1934, à Bri­gus, Terre-Neuve.

 

[Earth/Terre]

 

HUSBANDING

I kept the ani­mals until Aubrey got sick, there was no one to help with the hay­ing after that. Every­thing else I could do myself, clean­ing the dirt out of the stalls and milk­ing in the morn­ing, get­ting the cows in from the mead­ow before sup­per, it was some­thing to get up for.

Spent a good many nights out in the barn too, wait­ing for the cows to calve in the spring. Some­times you’d have to get your hands in there, the legs tan­gled behind a calf’s head that was already hang­ing clear, a foot above dry straw, the tongue stick­ing out like a baby try­ing to get itself born from the mouth.

Only lost one cow in forty years of hus­band­ing. Sat out there with her for hours that night and I knew things weren’t right, the cow shift­ing on her legs in a queer way like a lady with a stone in her shoe, and shak­ing her head when she moaned. Around mid­night she still hadn’t start­ed into birthing but she was bel­low­ing loud enough to wake half of River­head, and try­ing to kick around her big bel­ly. I sent Aubrey after Joe Slade to have a look at her, he came into the barn with his shirt­tail out and boots not tied; he didn’t say much, just went away and brought back his gun and a knife. You can save the calf, he told me, or you can stand aside and lose them both.

     I couldn’t shoot her, but I used the knife after she fell, cut­ting away the bel­ly to haul out the calf and rub her clean with straw. Aubrey brought a pail of milk he’d warmed on the stove and I fed the calf with an old baby bot­tle, the jerk of her head when she sucked almost enough to pull it from my hand. The blood, now that was some­thing I’ll nev­er for­get, we had to rake out the stall and burn the straw in the gar­den next morning.

Too much for one per­son though, the hay­ing, three or four weeks in the fall to cut it and get it into the barn after it dried. Sold off the cows a cou­ple of years before Aubrey died. I was six­ty-one years old the first time I bought a car­ton of milk from a store.

ÉLEVAGE

J’ai gardé les ani­maux jusqu’à ce qu’Aubrey tombe malade, il n’y avait per­son­ne pour aider aux foins après ça. Je pou­vais faire tout le reste moi-même, net­toy­er la saleté dans les stalles et traire le matin, ren­tr­er les vach­es du pré avant le souper, c’était une bonne occa­sion de se lever.

J’ai aus­si passé pas mal de nuits dans la grange, au print­emps, à atten­dre que les vach­es vêlent. Par­fois, il fal­lait y plonger les mains, les jambes emmêlées der­rière la tête d’un veau déjà sor­ti, un pied pen­dant au-dessus de la paille sèche, la langue sor­tant comme un bébé essayant de naître par la bouche.

Je n’ai per­du qu’une seule vache en quar­ante ans d’élevage. Je suis restée assise avec elle pen­dant des heures cette nuit-là et je savais que quelque chose clochait, l’animal ten­ant sur ses jambes d’une étrange manière comme une femme avec une pierre dans sa chaus­sure, et sec­ouant la tête lorsqu’elle gémis­sait. Vers minu­it, elle n’avait tou­jours pas com­mencé à met­tre bas, mais elle beuglait suff­isam­ment fort pour réveiller tout River­head, lançant des coups de pieds autour de son gros ven­tre. J’ai envoyé Aubrey chercher Joe Slade pour qu’il l’examine, il est entré dans la grange avec son pan de chemise qui dépas­sait et des bottes délacées ; il n’a pas dit grand-chose, il est juste sor­ti et a rap­porté son fusil et un couteau. Tu peux sauver le veau, m’a‑t-il dit, ou tu peux t’écarter et per­dre les deux.

Je n’ai pas pu la tuer, mais j’ai util­isé le couteau après qu’elle est tombée et lui ai découpé le ven­tre pour sor­tir le veau et la net­toy­er en la bou­chon­nant. Aubrey a apporté un seau de lait qu’il avait fait réchauf­fer sur le poêle et j’ai nour­ri le veau avec un vieux biberon, la sac­cade de sa tête lorsqu’il en suçait presque assez pour le tir­er de ma main. Le sang, eh bien ça c’est quelque chose que je n’oublierai jamais, on a dû ratiss­er la stalle et brûler la paille dans le jardin le lendemain.

Beau­coup trop pour une per­son­ne cepen­dant, le foin à l’automne, trois ou qua­tre semaines pour le couper et l’engranger après qu’il avait séché. J’avais ven­du les vach­es deux ou trois ans avant la mort d’Aubrey. J’étais âgée de soix­ante-et-un ans la pre­mière fois que j’ai acheté une brique de lait dans un magasin.

STONES

A lot of it was learn­ing to live with cru­el­ty. To live cruelly.

We always had a cou­ple of cats in the house, and the males you could do some­thing with your­self. Father cut a hole in a bar­rel top, pushed the cat’s head into it and had one of us hold its legs while he did the job with a set of met­al shears. With females though, you had kit­tens to deal with once or twice a year. I drowned them in shal­low water once, I didn’t think it would make any dif­fer­ence, but I can still see that burlap sack mov­ing like a preg­nant bel­ly only two feet out of reach; and I had to force myself to turn away. Those kit­tens were bare­ly a week old but they took a long time dying.

The worst I ever saw was the hors­es. You’d get a strap around their waist with a ring under­neath, and tie the fore and back legs to the ring with ropes. Then you’d back the ani­mal up nice and slow so it would fall over in sec­tions like a domi­no set, hind end first, then the bel­ly, shoul­ders, head. Once it was on the ground you’d wash the bag with a bit of Jeye’s Flu­id, slit the sac open and snip the balls right off.

    The cats bawled and screamed through the whole thing, but the hors­es nev­er made a sound, they were too stunned I guess. Their legs made those ropes creak though, like a ship’s rig­ging strain­ing in a gale of wind. It would be a full day before they came back to them­selves, stand­ing out in the mead­ow like some­one who can’t recall their own name. Their wet eyes gone glassy with shock, as blind as two stones in a field.

PIERRES

C’était surtout une ques­tion d’apprendre à vivre avec la cru­auté. De vivre cruellement.

Nous avions tou­jours deux ou trois chats à la mai­son, et les matous, on s’en occu­pait soi-même. Papa fai­sait un trou dans le cou­ver­cle d’un ton­neau, y pous­sait la tête du chat et fai­sait tenir les jambes à l’un d’entre nous pen­dant qu’il accom­plis­sait la tâche à l’aide d’une paire de pinces en métal. Avec les femelles cepen­dant, il fal­lait s’occuper des cha­tons une ou deux fois par an. Une fois, j’en ai noyé dans de l’eau peu pro­fonde ne pen­sant pas que ç’aurait de l’importance, mais ce sac en toile de jute, je le vois tou­jours bouger comme un ven­tre de femme enceinte à seule­ment deux pieds de moi ; et j’ai dû me forcer à tourn­er la tête. Ces cha­tons avaient à peine une semaine, mais ils ont mis du temps à mourir.

Le pire que j’aie jamais vu, ce sont les chevaux. On met­tait une san­gle autour de leur taille avec un anneau en-dessous, puis on attachait les pattes avant et arrière à l’anneau avec des cordes. Ensuite, on soute­nait l’animal tout douce­ment, afin qu’il bas­cule en sec­tions comme un jeu de domi­nos, le der­rière tout d’abord, puis le ven­tre, les épaules, la tête. Une fois à terre, on net­toy­ait le sac avec un peu de flu­ide Jeyes[1], on fendait la poche et on coupait les couilles directe­ment d’un petit coup sec.

Les chats brail­laient et hurlaient tout du long, mais les chevaux ne pro­dui­saient jamais un seul son, ils étaient trop effarés j’imagine. Leurs jambes fai­saient grin­cer ces cordes pour­tant, comme le grée­ment d’un bateau ten­du dans un coup de vent. Ça pre­nait une bonne journée avant qu’ils ne retrou­vent leurs esprits, se détachant dans le pré comme quelqu’un qui n’arrive pas à se sou­venir de son pro­pre nom. Leurs yeux devenus vit­reux à cause du choc, aus­si aveu­gles que deux pier­res dans un champ.

 

[Fire/Feu]

 

BONFIRE NIGHT

Guy Fawkes tried to blow up the Eng­lish Par­lia­ment Build­ings with a base­ment full of explo­sives and got him­self hanged for his trou­ble. Burned in effi­gy on the anniver­sary of his death in every Protes­tant out­port in New­found­land. No one remem­bers who he was or what he had against the gov­ern­ment, but they love watch­ing the clothes take, the straw pok­ing through the shirt curl­ing in the heat of the fire and burst­ing into flame.

The young­sters work for weeks before the event, gath­er­ing tree stumps and drift­wood, old box­es, tires, and any oth­er garbage that will burn, col­lect­ing it into piles on the head­lands or in a mead­ow clear­ing. The spark of fires up and down the shore like lights warn­ing of shoals or hid­den rocks. Par­ents los­ing their kids in the dark­ness, in the red swirl of burn­ing brush; teenagers run­ning from one bon­fire to the next, feel­ing some­thing let loose inside them­selves, a small dan­ger­ous explo­sion, the thin voic­es of their moth­ers shout­ing for them lost in the crack of dry wood and boughs in flames. They horse-jump an expanse of embers, their shoes black­ened with soot, dare one anoth­er to go through larg­er and larg­er fires, through high­er drifts of flankers: their young bod­ies sus­pend­ed for a long moment above a pyre of spruce and drift­wood, hung there like a straw effi­gy just before the flames take hold. Guy Fawkes a stranger to them, though they under­stand his sto­ry and want it for themselves.

Rebel­lion. Risk. Fire.

LA NUIT DES FEUX DE JOIE

Guy Fawkes a essayé de faire explos­er les édi­fices du Par­lement anglais avec un sous-sol rem­pli d’explosifs et s’est fait pren­dre pour sa peine. Brûlé en effigie le jour de l’anniversaire de sa mort dans chaque vil­lage protes­tant isolé de Terre-Neuve. Per­son­ne ne se rap­pelle qui il était ou ce qu’il avait con­tre le gou­verne­ment, mais tout le monde adore regarder les vête­ments pren­dre feu, la paille point­er à tra­vers la chemise, mon­ter en volutes dans la chaleur du feu et s’enflammer soudainement.

Les jeunes tra­vail­lent durant des semaines précé­dant l’événement, ramassent des souch­es d’arbre et du bois flot­té, de vieilles boîtes, des pneus, et n’importe quel déchet qui brûle, rassem­blant tout ça pour en faire des tas sur les promon­toires ou dans une clair­ière. Les étin­celles des feux sur tout le lit­toral telles des lumières met­tant en garde con­tre les écueils ou les rochers cachés. Les par­ents per­dent leurs goss­es dans l’obscurité, dans le tour­bil­lon rouge de la brous­saille qui brûle ; les ado­les­cents courent d’un feu de joie à l’autre, sen­tant quelque chose se libér­er en eux, une petite explo­sion dan­gereuse, les voix fines de leurs mères appelant ceux qui sont per­dus dans le crépite­ment du bois sec et des branch­es enflam­mées. Ils saut­ent par-dessus une éten­due de char­bons ardents, leurs chaus­sures noires de suie, se défient de franchir des feux de plus en plus grands, de plus hauts tas de brais­es brûlantes : leurs jeunes corps sus­pendus pen­dant un long moment au-dessus d’un bûch­er d’épinette et de bois flot­té, pen­dus là telle une effigie de paille juste avant que les flammes ne pren­nent le dessus. Guy Fawkes un étranger pour eux, bien qu’ils com­pren­nent son his­toire et qu’ils veuil­lent se l’approprier.

Rébel­lion. Risque. Feu.

BONFIRE NIGHT (2)

They’ve swiped a cup­ful of gaso­line – my father and John­ny Fitzger­ald – doused a spruce branch and shoved it beneath the mound meant for burn­ing. A match is struck and tossed: the suck of flame tak­ing hold, the fire eat­ing its way up through the over­turned palm of drift­wood and boughs, a cap of white smoke shift­ing over the crown of the bonfire.

     Every­one takes a step back from the scorch­ing heat, the crack­le and spit of spruce gum burn­ing. Night falls. Adults pass flasks of whiskey or moon­shine, the flick­er of sil­ver mak­ing its way from hand to hand like the col­lec­tion plate at church.

The boys have spent weeks haul­ing trees and branch­es across the bar­rens, scav­eng­ing rags and bits of scrap wood, but they aren’t sat­is­fied some­how with the inno­cence of the fire, its sim­ple appetite. They stand rest­less in the dark light, their heads full of mis­chief: some­thing they can’t artic­u­late is eat­ing at them, burn­ing its way from the inside out.

Match Avery steps up beside them like an answered prayer, breath­ing alco­hol, nod­ding drunk­en­ly toward the flames. “Some fire,” he tells them. “Nice bit of fire.” He blows soot into the crook of his palm, wipes the hand on the seat of his pants. “All boughs though, she won’t last long.” He nods again, emphat­i­cal­ly. He’s an adult, he’s drunk, he knows every­thing there is to know about any­thing. “Needs a bit of sol­id wood to keep her going,” he tells them.

The boys dis­ap­pear into dark­ness, run­ning a nar­row dirt path worn through mead­ows. At Match’s house they head straight for the root cel­lar like spilled gaso­line rush­ing toward an open flame. They dump a summer’s worth of veg­eta­bles onto damp ground, car­ry the emp­ty wood­en bar­rels back to the fire.

Match turns them in the red and yel­low flick­er, amazed by the boys’ luck, by their resource­ful­ness. “Now these,” he announces, “are love­ly bar­rels.” While my father and John­ny Fitzger­ald look on Match stamps them flat him­self, heav­ing the splin­tered sticks atop the blaze, throw­ing up a show­er of sparks. “Nice bar­rels,” he says again when he’s done, and then wan­ders off toward anoth­er cir­cle of light.

LA NUIT DES FEUX DE JOIE (2)

 Ils ont raflé un récip­i­ent d’essence à toute volée — en ont aspergé une branche d’épinette et l’ont four­rée sous le tas des­tiné à brûler. Une allumette est grat­tée et lancée : la suc­cion de la flamme qui prend le dessus, le feu qui grig­note un pas­sage à tra­vers le palmi­er retourné de bois flot­té et de branch­es, un bou­chon de fumée qui se déplace sur la couronne du feu.

Tout le monde fait un pas en arrière loin de la chaleur tor­ride, le crépite­ment et le grésille­ment de la gomme d’épinette en train de brûler. La nuit tombe. Les adultes font cir­culer des flasques de whiskey et d’alcool de con­tre­bande, l’éclat d’argent qui se taille un pas­sage de main en main comme le plateau pour la quête à l’église.

Les garçons ont passé des semaines à traîn­er des arbres et des branch­es à tra­vers les lan­des, récupérant des hail­lons et du bois de rebut, mais d’une cer­taine façon ils ne sont pas sat­is­faits de l’innocence du feu, de son appétit sim­ple. Ils se tien­nent là, impa­tients, la tête rem­plie d’espièglerie ; quelque chose qu’ils n’arrivent pas à exprimer les ronge, les con­sume de l’intérieur.

Match Avery s’avance près d’eux comme une prière qui a été enten­due, res­pi­rant l’alcool, faisant un signe de la tête en titubant vers les flammes. « Quel feu, leur dit-il. Un beau p’tit feu. » Il souf­fle sur de la suie qui va se loger dans le creux de sa paume, s’essuie les mains sur le fond de son pan­talon. « Que des bran­chages pour­tant, il ne dur­era pas longtemps. » De nou­veau, il opine du chef, caté­gorique­ment. Soûl et adulte, il sait tout ce qu’il y a à savoir sur n’importe quoi. « Il faut un peu de bois solide pour l’entretenir », leur dit-il.

Les garçons dis­parais­sent dans l’obscurité, emprun­tant un étroit chemin de terre per­cé à tra­vers les prés. Chez Match, ils se diri­gent directe­ment vers le caveau à légumes comme de l’essence ren­ver­sée se ruant sur une flamme nue. Ils se débar­rassent des légumes qui représen­tent le tra­vail de tout un été sur du ter­rain humide et empor­tent les ton­neaux de bois vides jusqu’au feu.

Match les tourne dans la lueur rouge et jaune, stupé­fait de la chance des garçons, de leur débrouil­lardise. « Alors ça, annonce-t-il, ce sont des ton­neaux mag­nifiques. » Pen­dant que mon père et John­ny Fitzger­ald con­tin­u­ent de regarder, Match les aplatit lui-même d’un coup de pied, soule­vant avec effort les bouts de bois fendus en éclats au-dessus des flammes, qui vom­is­sent une pluie de tisons. « Des ton­neaux mag­nifiques », répète-t-il lorsqu’il a fini, puis s’éloigne vers un autre cer­cle de lumière.

Les garçons restent ensem­ble dans la chaleur effrayante, mul­ti­pliée main­tenant par le bois sec, les flammes se dres­sant comme l’herbe des prés face aux faneurs. Le feu de joie con­tin­ue de brûler pen­dant des heures à côté d’eux, som­bres étin­celles pos­til­lon­nant sur les étoiles.

SOLOMON EVANS’ SON

The grave­yard in the Burnt Woods was being fenced in the year 1890. The first per­son buried there was Solomon Evans’ son.

The new school on the South Side was built in the sum­mer of 1894 beside the church. First prayers were held on Jan­u­ary 12th, 1895.

The first church bell for the South Side arrived on March 25th, 1908, and it rang for the first time on March 27th, the peals as clear as the blue sky, the gulls put to wing by the sound of it, their brief rack­et like an echo rust­ing into silence.

The first time the bell tolled a death was for Mrs. Ellen Ken­nel. The school was closed for the after­noon, the chil­dren stand­ing in the bal­cony of the church to watch her funer­al, and some of them fol­lowed the cof­fin to the grave­yard in the Burnt Woods. A hedge of peo­ple stood around the hole in the earth. The min­is­ter threw a hand­ful of dirt on the wood­en lid. “Ash­es to ash­es,” he intoned, the Octo­ber wind steal­ing the words from his mouth as he spoke.

The mourn­ers fil­ing out past the plain wood­en cross mark­ing the grave of Solomon Evans’ son. Dark­ness of spruce trees, maples scorched by the com­ing of win­ter. And no one could recall the boy’s name, or what it was he died of.

LE FILS DE SOLOMON EVANS

En 1890, on clô­tu­rait le cimetière des Brûlis. La pre­mière per­son­ne à y avoir été enter­rée, c’est le fils de Solomon Evans.

La nou­velle école de South Side a été con­stru­ite durant l’été de 1894 à côté de l’église. Les pre­mières prières ont été organ­isées le 12 jan­vi­er 1895.

La pre­mière cloche de l’église, arrivée le 25 mars 1908, a son­né pour la pre­mière fois le 27 mars, les pre­mières volées aus­si claires que le ciel bleu, le son faisant s’envoler les mou­ettes, leur bref vacarme tel un écho rouil­lant dans le silence.

La pre­mière fois qu’on a son­né le glas, c’était pour Mrs. Ellen Ken­nel. L’école a été fer­mée durant l’après-midi, les enfants se ten­ant debout sur le bal­con de l’église pour assis­ter aux funérailles, et cer­tains d’entre eux ont suivi le cer­cueil jusqu’au cimetière des Brûlis. Une haie de gens était rassem­blée autour du trou creusé dans la terre. Le pas­teur a jeté une poignée de terre sur le cou­ver­cle de bois. « Tu n’es que pous­sière », a‑t-il enton­né, le vent d’octobre volant les paroles de sa bouche tan­dis qu’il parlait.

Les par­ents du défunt pas­sant l’un après l’autre devant la sim­ple croix en bois mar­quant la sépul­ture du fils de Solomon Evans. Obscu­rité des épinettes, érables rous­sis par la venue de l’hiver. Et per­son­ne ne pou­vait se rap­pel­er le nom du garçon, ou de quoi il était mort.

PROCESSION

Mary Pen­ny was twen­ty-one years old and almost nine months preg­nant when she died of fright. A clear Sat­ur­day morn­ing, wind off the ocean. Her hus­band away, fish­ing on the Labrador. She was car­ry­ing a buck­et down to the brook for water, a hand on her bel­ly, the child mov­ing beneath her fin­gers like a salmon in a gill net.

From the bank above the brook she could see the Unit­ed Church on the south side below River­head, the new school beside it. She kept her hand to her bel­ly as she walked down the steep slope, bal­anced her­self on stones over the sur­face. The buck­et float­ed for a moment, then dipped and dragged with the weight of the water. She grunt­ed as she pulled the full con­tain­er clear of the brook. A stitch in her side moved slow­ly across her back, a thin flame lick­ing at muscle.

At the top of the slope again she set the weight down in the grass, straight­en­ing with her hands on her hips, lungs clutch­ing at the salt air. The sky was per­fect­ly clear. She stared out across the mouth of the har­bour, lift­ed a hand to shade her eyes. Her eye­brows pursed. There was a spot mov­ing toward her, a pecu­liar­ly metal­lic smudge on the hori­zon that was becom­ing larg­er, more spher­i­cal. No, not a cloud, it was too uni­form, too intent somehow.

Car­ried off course to the east­ern coast of New­found­land by a south-west­er­ly wind over the Atlantic, the air­boat was about to turn and begin a jour­ney along the coast of the Unit­ed States. In New York, a base­ball game between the Yan­kees and the Brook­lyn Dodgers would be inter­rupt­ed as it passed over­head, the play­ers and the crowd of fif­teen thou­sand stand­ing to stare at its near­ly silent pro­ces­sion above the city.

It came clos­er to the spot where Mary stood alone, a cylin­dri­cal tent as large as the church, now larg­er, the sun lost behind it.

Her heart leapt in her chest, a pan­icked ani­mal kick­ing at the stall door. The baby turned sud­den­ly, dropped, like a log col­laps­ing in a fire­place. She began run­ning awk­ward­ly, hold­ing her stom­ach. She tried to call for her moth­er, her younger sis­ter, but no sound came from her mouth; the shad­ow of the Zep­pelin chas­ing her across the grass. Halfway along the path to her house she fell on her stom­ach, the pain pulling a cry from her throat. She lift­ed her­self and began run­ning again, the stitch across her back like a hook attached to a tree behind her.

Anoth­er two hun­dred yards.

By the time she reached the house she was already in labour. Bleed­ing through her clothes.

PROCESSION

Mary Pen­ny avait vingt-et-un ans et était enceinte de presque neuf mois lorsqu’elle est morte d’effroi. Un same­di matin dégagé, le vent souf­flant de l’océan. Son mari par­ti pêch­er au Labrador. Elle trans­portait un seau pour aller chercher de l’eau au ruis­seau, une main sur le ven­tre, l’enfant bougeant sous ses doigts comme un saumon pris dans un filet maillant.

Au bord du ruis­seau, elle pou­vait voir l’Église unie au sud en bas de River­head, la nou­velle école à côté. Elle gar­dait la main sur le ven­tre en descen­dant la pente escarpée, se ten­ant en équili­bre sur des pier­res au-dessus de la sur­face. Le seau a flot­té un instant, puis il est descen­du et a été emporté par le poids de l’eau. Elle a poussé un grogne­ment en tirant le con­tenant hors de l’eau. Un point de côté lui a tra­ver­sé lente­ment le dos, une mince flamme lui léchant le muscle.

En haut de la pente, elle a de nou­veau posé le poids dans l’herbe, se redres­sant avec les mains sur les hanch­es, ses poumons se cram­pon­nant à l’air salé. Le ciel était par­faite­ment dégagé. Elle a regardé fix­e­ment de l’autre côté du port, a mis une main sur ses yeux pour s’abriter du soleil. Ses sour­cils se sont retroussés. Un point dans le ciel s’avançait vers elle, une tache bizarrement métallique à l’horizon qui grossis­sait et deve­nait plus sphérique. Non, pas un nuage, c’était trop uni­forme, trop intense curieusement.

Dévié de son itinéraire vers la côte ori­en­tale de Terre-Neuve par un vent sud-ouest au-dessus de l’Atlantique, le navire aérien était sur le point de faire demi-tour et de com­mencer un voy­age le long de la côte des États-Unis. À New York, un match de base­ball entre les Yan­kees et les Brook­lyn Dodgers serait inter­rompu tan­dis que le dirige­able passerait au-dessus, les joueurs et la foule com­posée de quinze mille per­son­nes se lev­ant pour regarder fix­e­ment sa pro­ces­sion presque silen­cieuse au-dessus de la ville.

L’aéronef s’est rap­proché de l’endroit où Mary se tenait seule, debout, une tente cylin­drique aus­si grande qu’une église, main­tenant plus grande, le soleil per­du derrière.

Son cœur s’est élancé dans sa poitrine, ani­mal paniqué ruant con­tre la porte de la stalle. Le bébé s’est retourné soudaine­ment, est tombé, comme une bûche s’effondrant dans un âtre. Elle a com­mencé à courir mal­adroite­ment, se ten­ant le ven­tre. Elle a essayé d’appeler sa mère, sa petite sœur, mais aucun ne sor­tait de sa bouche ; l’ombre du Zep­pelin la pour­chas­sant dans le jardin. À mi-chemin sur le sen­tier la menant chez elle, elle est tombée sur l’estomac, la douleur lui tirant un cri de la gorge. Elle s’est soulevée et a com­mencé à courir de nou­veau, le point dans le dos tel un cro­chet attaché à un arbre der­rière elle.

Plus que deux-cents mètres.

Au moment où elle est arrivée à la mai­son, elle était déjà en train d’accoucher, saig­nant à tra­vers ses vêtements.

OLD WIVES’ TALES

Except it wasn’t a wife talk­ing, or a woman for that mat­ter. It was Char­lie Rose at the house to see Father. I was only five or six years old and not even a part of the con­ver­sa­tion, sit­ting under the kitchen table with the dog, lis­ten­ing to the men talk. Char­lie said you had to get one before it learned to fly and split its tongue. Right down the mid­dle, he said, and when the crow found the use of its wings it would be able to speak, Arthur, the same as you or I at this table.

You know how a child’s mind works. The dog was just a pup then, three or four months old, a yel­low Lab. A hot sum­mer that year, we were sit­ting out­side the day after Charlie’s vis­it, her mouth open, pant­i­ng, the thin tongue hang­ing there as pink and wet as the flesh of a water­mel­on. I loved that ani­mal, I just want­ed to hear her speak is all. Went in the house and brought out Mother’s sewing shears, held one side of the tongue between my thumb and fore­fin­ger. The line down the cen­tre like a fac­to­ry-made per­fo­ra­tion meant as a guide for the scissors.

What a mess that dog made when she drank, water slop­ping in all direc­tions, her tongue split like a radio anten­nae, the sep­a­rate leaves flail­ing as she lap-lap-lapped at the bowl. And not a word in her head for all that.

CONTES DE VIEILLES FEMMES

Sauf que ce n’était pas une épouse qui par­lait, ou une femme d’ailleurs. C’était Char­lie Rose venu voir Papa à la mai­son. Je n’avais que cinq ou six ans et ne fai­sais même pas par­tie de la con­ver­sa­tion, assis sous la table de cui­sine avec la chi­enne, écoutant les hommes par­ler. Char­lie a dit qu’il fal­lait s’en pro­cur­er un avant qu’il apprenne à vol­er et lui fendre la langue. Juste au milieu, a‑t-il dit, et lorsque le cor­beau décou­vri­rait l’utilisation de ses ailes il parviendrait à par­ler. Arthur, tout comme toi et moi à cette table.

Tu sais com­ment fonc­tionne l’esprit d’un enfant. La chi­enne n’était qu’un chiot alors, trois ou qua­tre mois, un Labrador jaune. Un été chaud cette année-là, nous étions assis dehors le jour après la vis­ite de Char­lie, sa gueule ouverte, hale­tante, la fine langue pen­dant là aus­si rose et mouil­lée que la chair d’une pastèque. J’adorais cet ani­mal, je voulais juste l’entendre par­ler, c’est tout. Je suis allé dans la mai­son et j’ai sor­ti les ciseaux de cou­ture de Maman, j’ai tenu un côté de la langue entre mon pouce et mon index. La ligne au cen­tre était comme une per­fo­ra­tion fab­riquée en usine et cen­sée guider les ciseaux.

Quelle pagaille cette chi­enne fai­sait lorsqu’elle buvait, ren­ver­sant de l’eau dans toutes les direc­tions, sa langue fourchue comme une antenne de radio, deux feuilles séparées bat­tant l’air tan­dis qu’elle lap-lap-lap­pait le bol. Et pas une parole dans la tête en dépit de ça.

TWO VOICES

My uncle sits beside the wood stove in the kitchen, between two voic­es. On his left the var­nished radio, on the daybed to his right his baby sis­ter, squalling. Look, the radio begins, up in the air, it’s a bird, it’s a plane … it’s Super­man! His sis­ter screams into her red fists, a sin­gle unap­peasable cry. My uncle leans toward the radio, the words dis­tort­ed or lost beneath the baby’s wail, like mice scur­ry­ing beneath a wood pile: … aster … ana … ding bull … He can­not hush her or make her stop. Able … eap … build … gle bound, the pro­gram is about to begin, his moth­er is elsewhere.

He stands over the child, stares down at her face, at the round open mouth like an entrance to a rab­bit hole, a hid­den crea­ture cry­ing from inside. He fin­gers a pep­per­mint knob in his pock­et and his hand sug­gests a plan, the can­dy about the size of the voice that will not stop: he drops it into the hole like a stone into a well, the soft plop echo­ing in the sud­den, sick­en­ing silence.

Silence. He does not even hear the radio now as his sister’s face begins to swell to the colour of a par­tridge­ber­ry, a bright painful red, and pan­ic enters him like a voice from the stars as the cheeks become blueish, then blue, and the eyes bulge in their sock­ets like snared ani­mals. The entire episode of suf­fo­ca­tion tak­ing place in absolute silence, my uncle immo­bi­lized and star­ing stu­pid­ly at his sis­ter, while behind him Super­man goes on sav­ing anoth­er world in silence.

     And behind him his moth­er claps through the door, push­ing him away and lift­ing the girl into the air by her heels, she is shout­ing some­thing he can­not hear as she slaps the baby’s back, and a wet pep­per­mint can­dy falls to the floor, noth­ing, noth­ing, he hears noth­ing at all until the first cry, his sister’s voice return­ing, the sound of her squall return­ing him to the world, to his moth­er yelling curs­es on his head, and the radio’s bland con­ver­sa­tion going on and on like a long sigh of relief in the background.

DEUX VOIX

Mon oncle est assis près du poêle à bois dans la cui­sine, entre deux voix. À sa gauche, la radio vernie, sur le canapé-lit à sa droite sa petite sœur, qui braille. Regarde, com­mence la radio, en l’air, c’est un oiseau, c’est un avion … c’est Super­man ! Sa sœur hurle dans ses poings rouges, un cri unique et ina­pais­able. Mon oncle se penche vers la radio, les paroles défor­mées ou per­dues der­rière les gémisse­ments du bébé, comme des souris qui détal­ent sous un tas de bois : … astre .… ana … timent … brut … Il n’arrive pas à la faire taire ou à l’arrêter. Able … auter … édi … gle bond, le pro­gramme est sur le point de débuter, sa mère est ailleurs.

Il sur­veille l’enfant, baisse les yeux vers son vis­age, vers la bouche ronde et ouverte comme l’entrée d’un ter­ri­er de lapin, une créa­ture cachée cri­ant depuis l’intérieur. Il touche un bon­bon à la men­the dans sa poche et sa main sug­gère un plan, la sucrerie env­i­ron la taille de la voix qui ne veut pas s’arrêter : il la laisse tomber dans le trou comme une pierre dans un puits, le doux floc réson­nant dans le silence soudain et écœurant.

Silence. Il n’entend même pas la radio main­tenant tan­dis que le vis­age de sa sœur com­mence à pren­dre la couleur d’une airelle en gon­flant, un rouge vif et douloureux, et la panique pénètre en lui comme une voix des étoiles tan­dis que les joues devi­en­nent bleuâtres, puis bleues, et que les yeux sor­tent de leurs orbites tels des ani­maux pris au piège. L’épisode entier de suf­fo­ca­tion se pro­duisant dans le silence absolu, mon oncle immo­bil­isé dévis­ageant bête­ment sa sœur, tan­dis que der­rière lui Super­man con­tin­ue de sauver un autre monde en silence.

Et der­rière lui, sa mère fran­chit la porte comme le ton­nerre, le repous­sant et soule­vant la fille en l’air par ses talons, elle crie quelque chose qu’il n’arrive pas à enten­dre pen­dant qu’elle tape dans le dos du bébé, et un bon­bon à la men­the mouil­lé tombe par terre, rien, rien, il n’entend rien du tout jusqu’au pre­mier cri, la voix de sa sœur revenant, le son de son braille­ment le ramenant au monde, aux cris et jurons de sa mère sur sa tête, et la con­ver­sa­tion molle de la radio con­tin­u­ant indéfin­i­ment comme un long soupir ou soulage­ment à l’arrière-plan.

 

Note

 

[1] Ce type de flu­ide est util­isé par les jar­diniers pour dif­férents types de net­toy­age et se débar­rass­er des mau­vais­es herbes. Il a été inven­té par un Anglais, John Jeyes en 1877.

Présentation de l’auteur

Michael Crummey

Orig­i­naire de Terre-Neuve, le romanci­er, poète et nou­vel­liste cana­di­en Michael Crum­mey est né à Buchans en 1965 et vit présen­te­ment à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il est l’auteur de nom­breux livres, sou­vent récom­pen­sés par des prix lit­téraires cana­di­ens et inter­na­tionaux. Après Les voleurs de riv­ière (2004) et Du ven­tre de la baleine (2012), Sweet­land est son troisième roman traduit en français. Son dernier roman, The Inno­cents, a paru en août 2019 (Dou­ble­day Cana­da) et reçu un très bel accueil de la cri­tique. Il a notam­ment été en lice pour le pres­tigieux Sco­tia­bank Giller Prize : « Le roman de Crum­mey a la capac­ité de chang­er la manière dont le lecteur envis­age le monde. » Comme l’écrit aus­si Mario Clouti­er : « L’écrivain […] pos­sède un imag­i­naire mar­qué par l’influence de la géo­gra­phie sur le car­ac­tère des habi­tants. Le ter­ri­toire comme per­son­nage, le paysage bous­culé par les vents et trem­pé par les larmes océaniques. » (« Michael Crum­mey, tout homme est une île », 5 juil­let 2018, La Presse). Tous les textes qui suiv­ent sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998), qui a d’ailleurs inspiré le doc­u­men­taire LUMIÈRE CRUE au réal­isa­teur Justin Simms en 2003, qui y trace le por­trait de Michael Crum­mey en quête de ses racines. D’autres textes tirés du même recueil (Cerf-volant, Caveau à légumes, Pain et Rouille) et traduits par Jean-Mar­­cel Mor­lat ont été pub­liés par la revue québé­coise Cahiers lit­téraires Con­tre-jour (no 48, « Soif de romanesque! », août 2019). Un autre texte, Le souper Jig­gs, paraî­tra dans le no 95 (print­emps 2020) de la revue lit­téraire belge Traversées.

Bibliographie 

Il est l’auteur de nom­breux livres, sou­vent récom­pen­sés par des prix lit­téraires cana­di­ens et inter­na­tionaux. Après Les voleurs de riv­ière (2004), Du ven­tre de la baleine (2012) et Sweet­land (2017), Les inno­cents est son qua­trième roman traduit en français (août 2020). Le livre a paru en août 2019 dans sa ver­sion anglaise (Dou­ble­day Cana­da) et reçu un très bel accueil de la cri­tique. Il a notam­ment été en lice pour le pres­tigieux Sco­tia­bank Giller Prize : « Le roman de Crum­mey a la capac­ité de chang­er la manière dont le lecteur envis­age le monde. » Comme l’écrit aus­si Mario Clouti­er : « L’écrivain […] pos­sède un imag­i­naire mar­qué par l’influence de la géo­gra­phie sur le car­ac­tère des habi­tants. Le ter­ri­toire comme per­son­nage, le paysage bous­culé par les vents et trem­pé par les larmes océaniques. » (« Michael Crum­mey, tout homme est une île », 5 juil­let 2018, La Presse). En 2022, il a pub­lié un nou­veau recueil de poésies, Pas­sen­gers, et son dernier roman, The Adver­sary, vient de paraître. Tous les textes présen­tés ici sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998), livre qui a reçu un excel­lent accueil cri­tique. Comme l’écrit R. G. Moyles au sujet de Hard Light dans Cana­di­an Book Review Annu­al : « […] C’est un bril­lant styl­iste : jamais obscur et rarement pédant. […] Crum­mey nous emmène dans des voy­ages extérieurs et intérieurs dont nous pou­vons revenir avec une com­préhen­sion des forces éter­nelles trop puis­santes pour être con­quis­es mais qu’il est tou­jours néces­saire de défi­er. » Et John Steefler d’affirmer : « […] Les voix anonymes de Lumière crue nous par­lent en tant qu’individus dis­tincts. Ce qui ressort encore et encore au pre­mier plan de leurs courts réc­its, c’est leur déter­mi­na­tion et leur con­science […] une his­toire sociale con­cise et poignante de Terre-Neuve. » Hard Light a inspiré le doc­u­men­taire LUMIÈRE CRUE (2003) réal­isé par Justin Simms, qui y trace le por­trait de Michael Crum­mey en quête de ses racines (https://www.youtube.com/watch?v=D8IQ6c048aM).

De nom­breux autres textes tirés de Hard Light (32 Sto­ries) et traduits par Jean-Mar­­cel Mor­lat ont été pub­liés dans des revues au Québec, en France et en Belgique:

  • Cerf-volant, Caveau à légumes, Pain et Rouille ont paru dans la revue québé­coise Cahiers lit­téraires Con­tre-jour (no 48, « Soif de romanesque ! », août 2019).
  • Ce dont nous avions besoin (« What We Need­ed ») et Sa croix (« Her Mark »), Réc­it-page, 1er décem­bre 2020, <http://www.litteraturesbreves.fr/index.php/m‑crummey>.
  • La revue Phoenix (Mar­seille) a pub­lié Actes de Dieu, Domin­ion, Bay de Verde et Infrarouge dans son numéro 33 (févri­er 2020).
  • Le souper Jig­gs et Le moment est venu ont paru dans la revue lit­téraire belge Tra­ver­sées (no 95, print­emps 2020 et no 96, été 2020).
  • Grâce (« Grace », <https://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/2020/08/grace/>) et L’ancien Noël (« Old Christ­mas Day », <https://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/2021/01/lancien-noel/>) ont paru dans la revue québé­coise Le cra­choir de Flaubert le 13 août 2020 et le 7 jan­vi­er 2021.
  • Flamme, 32 his­to­ri­ettes, Con­tes de bonne femme et Ton âme, ton âme, ton âme ont paru dans le numéro 1104 (avril 2021) de la pres­tigieuse revue Europe.
  • Cinq poèmes de Michael Crum­mey : La loi de l’océan (« The Law of the Ocean »), La dernière chan­son de Stan (« Stan’s Last Song »), Ain­si allait la vie (« The way Things Were »), Les Brûlis (« The Burnt Woods ») et Années cinquante (« Fifties ») ont paru dans Recours au poème, no 207, mars-avril 2021, <https://www.recoursaupoeme.fr/cinq-poemes-de-michael-crummey/>. Tra­duc­tion française des textes de Michael Crum­mey, « The Law of the Ocean », « Stan’s Last Song », «The way Things Were », « The Burnt Woods », « Fifties », tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998).
  • Qua­tre textes de Michael Crum­mey : Flamme, 32 his­to­ri­ettes, Con­tes de bonne femme, Ton âme, ton âme, ton âme (« Flame », « 32 Lit­tle Sto­ries », « Old Wives’ Tales » « Your Soul, Your Soul, Your Soul »), Europe, no 1104, avril 2021, pp. 229–233.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Cinq poèmes de Michael Crummey

32 his­to­ri­ettes (32 Lit­tle Sto­ries), ensem­ble qui com­pose la pre­mière par­tie de Hard Light (Lumière crue), dont sont tirés les textes présen­tés ici, s’inspire de réc­its réels qui ont été con­tés à l’auteur […]

Michael Crummey : poèmes tirés de Hard Light

Orig­i­naire de Terre-Neuve, le romanci­er, poète et nou­vel­liste cana­di­en Michael Crum­mey est né à Buchans en 1965 et vit présen­te­ment à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il est l’auteur de nom­breux livres, sou­vent récom­pen­sés par […]

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Jean-Marcel Morlat

Jean-Mar­cel Mor­lat est né à Paris en 1970 et a vécu une vie de voy­ages en tant qu’enseignant (États-Unis, Japon, Turquie, Tan­zanie, Angleterre et Émi­rats Arabes Unis). Il réside actuelle­ment au Québec. Il a pub­lié une pre­mière tra­duc­tion en 2016 : Philippe Wam­ba, Par­en­té : l’Odyssée d’une famille en Afrique et en Amérique (2016, Paris, L’Harmattan) et a pub­lié des nou­velles et poèmes en tra­duc­tion au Québec, en France et en Bel­gique (X Y Z : la revue de la nou­velle, Les Ecrits, Tra­ver­sées, Revue Rue saint Ambroise, Revue Phoenix, L’Ampoule). Il a égale­ment traduit La mai­son de poupée, une nou­velle de Kather­ine Mans­field, parue dans Les meilleures nou­velles de Kather­ine Mans­field (Edi­tions Rue saint Ambroise, Paris, 2019), Nunc Dimit­tis, Le Cra­choir de Flaubert, le 18 août 2022, <https://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/2022/08/nunc-dimittis/?fbclid=IwAR0zl7UrvPRj11vwmycTYY5JwUoN1X2RhPDG88nKnnfO7Lo6Dm1rro28w3k Les 5 textes La dernière chan­son de Stan (« Stan’s Last Song »), Ain­si allait la vie («The way Things Were »), Les Brûlis (« The Burnt Woods»), Années cinquante (« Fifties ») et La loi de l’océan (« The Law of the Ocean ») sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998).
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