L’accumulation des con­nais­sances peut ren­dre  le monde incom­préhen­si­ble, car il nous manque l’aptitude à leur don­ner sens.

 

On prie quand on ne peut plus penser.

 

L’art actuel fonc­tionne en cir­cuit fer­mé, sans pen­sée sur le monde. Il n’est plus fondé que par un dis­cours sur lui-même et sur l’opportunisme qui élève le scan­dale au rang d’œuvre.

 

Deux tableaux, en apparence mêmes couleurs, même geste tech­nique, même organ­i­sa­tion de l’espace. Pour­tant dans l’un, quelque chose vibre et nous happe, nous habite, quand l’autre n’est qu’une com­po­si­tion laborieuse et muette. C’est cette cap­ta­tion à l’œuvre de l’œil et de l’émotion qui donne sens à   l’art.

 

L’art est la matéri­al­i­sa­tion de notre besoin de sacré.

 

La volon­té de cho­quer, très à la mode aujourd’hui, que l’on retrou­ve aus­si bien en poésie que dans tous les arts, est le pen­dant de l’idolâtrie d’une ado­les­cence qui per­dure. Il y a là une com­plai­sance nom­briliste qui fait peur.

 

Toute jux­ta­po­si­tion hétéro­clite et aléa­toire ne relève plus de nos jours du Sur­réal­isme, mais d’un exer­ci­ce vain et futile, à visée déco­ra­tive. D’ailleurs du Sur­réal­isme les exé­cu­tants  de ce pénible fatras  con­nais­sent à peine le nom.

 

Devant le Cen­tre des Arts Vivants du quarti­er de la Bastille à Paris, je m’interroge sur le pléonasme de l’appellation.

 

Toutes les épo­ques ont eu leur art offi­ciel, qui a dis­paru sans trace, mais pas sans descen­dance, puisque la nôtre a aus­si son art pom­pi­er, ses bouf­fons et ses poètes en cour.

 

« Ils se croient poètes, ils ne sont qu’écrivains » écrit Jim­my Glad­i­a­tor. Je renchéris  volon­tiers : ils ne sont au mieux qu’écrivains, au pire des imposteurs.

 

Il est symp­to­ma­tique que notre époque préfère les livres anodins, sans mys­tère,  et leur glu de banal­ités trav­es­tis en jeux de lan­gage et gri­maces mondaines. Por­teurs d’oubli, ils agis­sent comme un effi­cace somnifère.

 

Seules comptent à présent l’efficacité et la rapid­ité. Nous vivons cul­turelle­ment dans un temps attaché à l’immédiat et au refus ludique de la mémoire. C’est pourquoi notre époque n’est pas récep­tive à la poésie et se con­tente des facéties nar­cis­siques qu’elle prend pour de la poésie.

 

Je ne m’aventure guère dans ces lieux prisés à forte den­sité d’égos au mètre car­ré, où l’on prend la pose der­rière sa pile de livres en toisant le voisin. Je leur préfère quelques endroits soigneuse­ment choi­sis pour leur con­vivi­al­ité et leur simplicité.

 

Dans le milieu fer­mé des « poètes », la médi­s­ance et l’indiscrétion sont des calamités.

 

A enten­dre untel maudire ses pairs, je me dis qu’il doit se haïr en tous ceux qu’il hait. Seul son fiel parvient à le main­tenir vivant.

 

Dans mes années ado­les­centes, j’avais doté mon for intérieur d’un t vigoureux.  Dans ce fort, je m’imaginais à l’abri entourée de solides rem­parts. Quand j’ai réal­isé mon erreur orthographique, je me suis aus­sitôt sen­tie frag­ile, vulnérable.

 

Ce que je recherche chez un auteur, c’est un univers sin­guli­er, une intéri­or­ité qui lui soit pro­pre, une façon reconnaissable.

 

Bien sûr, et heureuse­ment, l’œuvre dépasse son auteur. Cela n’exonère pas l’auteur de se pass­er d’un min­i­mum de qual­ités humaines. J’attends d’un auteur qu’il soit en accord avec son œuvre, qu’il « s’efforce à ce que la vie et l’écriture soient le moins pos­si­ble dis­so­ciées »,  ain­si que le for­mule avec per­ti­nence Michel Baglin.

 

La poésie affronte toutes les ques­tions qui bous­cu­lent les cer­ti­tudes. Elle porte ain­si en elle l’essence de la vie.

 

La poésie a pour domaine le réel et bien au-delà.

 

Le réel est bien plus que la réal­ité observée.

 

Le réel est ce qui nous entoure, tel qu’il est con­vo­qué et com­pris par notre corps et nos sens, notre intel­li­gence, notre intu­ition et notre imag­i­na­tion la plus perçante.

 

Par le paysage, nous pou­vons accéder au réel.

 

La poésie n’a pas pour but d’expliquer le monde mais de le vivre inten­sé­ment, et par là espér­er le comprendre.

 

Si un poème ne tient que par quelques arti­fices, il n’a aucune rai­son d’être.

 

La poésie est ce qui fait sens avec nos sens, avec ferveur.

 

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