Aujourd’hui on ne meurt plus de vieil­lesse ou de mort naturelle. Claude Lévi-Strauss est mort d’un arrêt car­diaque à 101 ans. Même l’architecte brésilien Oscar Niemey­er est décédé de com­pli­ca­tions res­pi­ra­toires à la veille de ses 105 ans, ain­si que nous l’ont appris la presse et les médias.

 

J’aspire à mourir à l’âge sta­tis­tique moyen de mort naturelle… ou de mort volon­taire à tout âge.

 

On ne guérit jamais de la ten­ta­tion du sui­cide. On la sus­pend juste pro­vi­soire­ment mais elle reste à jamais tapie prête à surgir.

 

Quand on se sui­cide, on a déjà cessé de vivre.

Dès que nous aban­don­nons nos pro­jets, c’est comme si nous enter­rions une par­tie de nous mêmes.

 

Ce qui me main­tient en vie, c’est que je n’ai pas peur de la mort. Pour l’instant !

 

La mort est ma seule cer­ti­tude. Plus d’un demi-siè­cle après ma  nais­sance, c’est hélas tout ce qu’il me reste de fiable.

 

René Pons : « Un anniver­saire c’est un pas de plus vers la mort et je n’ai jamais com­pris que l’on en fit une fête ». Puisse-t-on, à défaut de ma date d’anniversaire, se sou­venir au moins de celle de ma mort.

 

De tous les coups du sort subis, la mal­adie est la plus injuste, la plus inac­cept­able. Pour le reste, on peut tou­jours se dire qu’on est en bonne par­tie respon­s­able du déroule­ment de notre vie, par manque de vig­i­lance ou de décision.

 

La vie est peut-être une anom­alie et la mort l’état normal.

 

Ce n’est pas parce qu’on est en vie qu’on est vivant !

 

J’ai par­fois l’impression de tra­vers­er la vie comme un fantôme.

 

Il y a dans l’amour effréné de la vie quelque chose de morbide.

 

Au décès d’un auteur,  son œuvre devient extrême­ment frag­ile. L’oubli vient très vite, si la mémoire n’est pas entretenue par des ouvrages col­lec­tifs, des hom­mages en revues, des com­men­taires et des études, un site inter­net. Il est néces­saire d’entretenir les brais­es pour que le feu perdure.

 

Le pire enne­mi d’un auteur est son ayant-droit. Au mieux il fait preuve d’inertie ou d’incompétence. Au pire sa vorac­ité lui fait exhumer des fonds de tiroirs le moin­dre man­u­scrit que l’auteur y avait avec rai­son oublié. 

 

A la décharge des ayants-droits issus du cer­cle famil­ial, sauf dans les rares cas de ceux qui ont aupar­a­vant active­ment col­laboré à l’édition et à l’étude de l’œuvre qu’ils reçoivent en héritage, il est nor­mal qu’ils man­quent de clair­voy­ance et d’initiative. L’auteur était le père, la mère, le frère, la sœur, le com­pagnon ou la com­pagne. En aucun cas il n’était pour eux l’auteur tel qu’il est recon­nu par ses pairs. Ils mécon­nais­sent les méan­dres de l’édition et ses chausse-trappes. Le poids de la respon­s­abil­ité d’une œuvre, dont ils ignorent sou­vent tout, est tout sim­ple­ment inhu­main pour les proches déjà acca­blés par l’absence et le chagrin.

 

Une œuvre ne devrait jamais être sus­pendue au bon vouloir d’une seule per­son­ne. Les auteurs dont l’œuvre sem­ble s’en sor­tir le mieux sont ceux qui ont eu la clair­voy­ance de la remet­tre de leur vivant à un col­lec­tif d’amis et de con­nais­seurs prêts à veiller sur elle et à  la défendre.

 

Les édi­teurs n’ont aucun intérêt à pub­li­er un auteur décédé, sauf si celui-ci est renom­mé et sus­cite tou­jours un large engoue­ment, puisqu’il ne pour­ra pas par­ticiper à la pro­mo­tion de son ouvrage, incon­tourn­able de nos jours.

 

L’œuvre n’est pas un bien comme un autre pou­vant être trans­mis en héritage comme les biens matériels.

 

Ceux qui héri­tent d’une œuvre pour l’unique rai­son qu’ils ont partagé une intim­ité amoureuse ou un lien hérédi­taire avec un auteur devraient se ren­dre compte que cette œuvre ne leur appar­tient pas, qu’elle appar­tient à ses lecteurs.

 

Il est rageant de voir des œuvres à l’abandon, suite à l’inconséquence et à l’imprévoyance de leurs auteurs. Un auteur qui ne prévoit pas l’avenir de son œuvre nie et renie  tout ce qui a été sa vie.

 

Tout auteur devrait avoir à l’esprit que, sans lec­tures éclairées et per­ti­nentes, son œuvre n’existe pas.

 

Suite extraite de Petites notes d’amertume
(à paraître en 2014, Les Edi­tions Sauvages)
 

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