Sa main qu’il agite de loin

poème de Abded­dine Hamrouch

 

La main qui en serre une autre
Et s’agite lors de l’adieu
La main qui écrit à une amante con­nue ou un inconnue
La main qui prend le verre, le couteau
La main qui signe la bul­letin de salaire des ouvriers
La sen­tence d’exécution
Essuie les larmes scin­til­lantes de l’orphelin
La main qui tapote le dos d’un chat et même d’un crapaud
La main qui s’introduit dans le cul d’une poule et vole les œufs
La main d’Imru-l-Quais qui casse la colo­quinte au lende­main de la séparation
La main de Picas­so qui décom­pose les traits du vis­age en ronds et carrés
La main qui passe la nuit à invo­quer, pleur­er, implor­er pour que la scie prenne en pitié l’arbre
La main qui cueille la rose, la plante
La main qui éclaire l’obscurité, l’éteint der­rière les yeux des loups
La main qui brasse les cartes et les ordonne
La main qui lève les mots d’ordre et l’instant d’après les met en berne
La main qui palpe les bat­te­ments du cœur, essuie la sueur du front et cire les souliers des maitres
La main qui ras­sure celui qui a peur, cha­touille et berce, incite, proteste, ser­monne, indique, met en garde, insiste, nomme, dit oui, dit non
Explique, s’étonne, ques­tionne, réclame un point d’ordre
Se tend et se rétracte
La main qui porte l’épée et s’attaque aux amis avant les ennemis
La main qui hisse le dra­peau du pays
et l’éclabousse par un traf­ic d’armes
La main qui empoigne l’eau, la braise
La main qui donne et reprend
La main qui se puri­fie et reçoit le sperme
La main au touch­er de soie, de rocaille
La main qu’on tape dans l’autre tant le vide, les frus­tra­tions, la décep­tion, le dés­espoir, le remords, le gâchis
La main qui étreint et poignarde dans le dos
La main qui comte les jours, les mois, les années
L’argent, les pertes, les têtes de mouton
Les souf­fles des gens et les moments où l’âme s’arrache
La main chaleureuse, tiède, froide comme une ren­con­tre de routine
La main haute, la main basse
La main qui vote, falsifie
La main qui crie vic­toire, accuse, juge, gra­cie, pro­scrit, gifle
La main qui con­stru­it pierre par pierre, appuie sur la gâchette en direc­tion des nuages
La main qui encour­age, toute de bon­té, par­ti­sane, ennemie
La main qui ouvre la fenêtre du matin
et ferme à l’air la porte de la cellule
La main qui tresse la corde et s’en soucie comme de l’an quarante
Qui tend mille pièges aux souris, pose mille mines aux papillons
La main mis­éri­cordieuse, la main qui lapi­de, la main infermière
La main pécher­esse, la main épouse qui pré­pare le café
La main de ma mère …
Sa main qui s’appuie sur sa joue droite et se résume à cinq doigts
Une paume, des lignes qui ne révè­lent ni mau­vais ni bon présage
Sa main qu’il agite de loin
Ma main que j’ai per­du lors d’un adieu

Traduit de l’arabe par Abdel­latif Laâbi

 

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