Philippe Tancelin, Autre jour dans la nuit

Par |2024-01-07T11:27:05+01:00 6 janvier 2024|Catégories : Philippe Tancelin, Poèmes|

En quel temps..me diras-tu ?

Celui très tôt dans les ruines
quand se lève de la poussière
l’infatigable soleil éclairant
les songes de notre maison

Par quelle voie..me diras-tu ?

Celle des fig­ures  de rosée
entre les corps mas­sifs d’oliviers
et con­nurent tes pas sans las
Jusques aux portes clos­es du désert

Comment..me diras-tu ?
Sur un air de musique
dans tes cheveux en boucles
dressés sur ton courage
à démas­quer l’impasse blême
dans ses formes invisibles

Pour qui..me diras-tu ?

Toi ou ton frère tant recherché
pour son cœur brisé sans guide
ce ressen­tir de promesse fatiguée
en la colombe que ne délivre plus
le rêve attesté de ses ailes

Avec quoi…me diras-tu ?

Si le miroir ne reflète plus le souffle
sur la terre ouvragée des amants
et que s’exile la noce des dieux
dans les bas quartiers d’étoiles
pour ne pas voir se mourir la mer

En quelle langue..me diras-tu ?

Celle de la pierre à nu à bout de  larmes
Cette autre encore des images disparues
que prophé­tise la soif ouverte sur la terre
sa cap­ture en longs cris per­dus dans le lointain
le ban­nisse­ment des murs adossés aux légendes

Je vais te dire..quelle heure…

Portera le sang des espoirs simples
coulés à même la corde du luth
Lancera ce fougueux pas  du danseur
sur le fil-fron­tière aux sen­teurs  d’éden

Je te dis main­tenant l’autre jour dans la nuit

Celui que dresse la langue con­juguée des mémoires
leurs témoins sabliers du devenir fou des choses

Je te dirai l’extrême brisant
des mots lucides
leur lumière gravissant
ton ombre complice
Ton âme d’enfant
à sa suite impénétrable

∗∗∗

 

Rien ne sera ravi à la lumière
qui crie de Gaza
le nom retrou­vé d’un enfant
de l’espoir au milieu des ruines

Nous avançons sur le fil d’histoire
avec le vis­age incan­des­cent du rêve
irré­ductible à la douleur du jour

Poèmes extraits du dernier recueil 2023 « l’in-sûr et cer­tain aux marges débordantes »
Col,  Poètes des 5continents l’harmattan

Déc­la­ra­tion-Rem­part

Quand s’in­finit la vague
répétée dans l’image
de son mou­ve­ment surpris
le regard ral­lie ses semblables
sur la crête
et les mots à l’aveugle
sur­v­o­lent le sens
dépouil­lé de la mer

Ils errent dans l’oubli
des pays intérieurs de l’écume

Ce n’est ni la nuit
ni le jour
mais leur écart de givre
une lame invisible
insomniaque
guet­tant l’instant
d’une pure envolée
sous l’orage
et cou­vre sans las la plainte
de l’espace

vois l’ar­bre à son faîte
ll discerne
la clairière

Vois l’abeille
Ivre de parfum
elle séduit
la fleur hésitante

N’a­ban­donne plus la langue
sur l’épave
de ton nuage

Sous aucun mirage
ne dérobe les sables
à leur château

∗∗∗

Les Naufragés

Ils sont mille
et huit cents
par­tis de loin
sur des bar­ques pourries
pour un loin­tain plus inhumain
que la mis­ère qui les poursuit

Ils sont mille
et huit cents
ce jour
à ne plus respir­er l’air du large
ni enten­dre ce qui des abîmes
les attend tous ensemble

Ils sont mille
et huit cents
abreuvant de leur rêve
l’in­dif­férence de l’autre monde
qui s’étend invisible
à leur espoir

Ils sont mille
et huit cents
martelés par la soif
sur les miroirs brûlants
dont les flots accompagnent
leur danse à corps et cris

Ils sont mille
et huit cents
à scruter au-delà
l’hori­zon qui les cache
à ce côté pour eux perdu
con­sen­tant à la fatalité

Ils sont mille
et huit cents
peu à peu
peur à peur sans demain
leurs paumes serrées 
con­tre la nuit qui s’offre
intense et éternelle

Ils sont mille
et huit cents
ni les mêmes ni autres
qu’ils voulaient devenir
une ombre dessine
en-deçà de leurs barques
leur âme ven­due aux requins

Ils sont mille
et huit cents
détaché déchirés
largués en pages du naufrage
qu’écrivent à l’infini
nos rivages protégés

Ils sont mille
et huit cents
con­fon­dus sur la mer-encre
mur­mu­rant entre midi minuit
l’adieu des humbles
qui per­dent en silence
la nudité de leur espoir

Ils étaient mille
et huit cents
com­bi­en seront demain après demain
dont leur mort arrime nos lits
bat nos lèvres muettes
défient les mots
accou­rus de l’amour

Ils sont par milliers
anonymes, interdits
sur la grève 
relégués à l’écume
puis hap­pés par les fonds
où tri­om­phe leur supplice
entre hélices de tankers
et de bâteau-plaisance

Leur fin dernière n’an­nonce plus
ses chiffres d’infortune
elle suit la bourse des pertes
et prof­it de nos passeurs de calme
siégeant par­mi les dieux nouveaux
qui les broient en toutes nos certitudes

Nous voici parvenus 
au moment extrême
de vos lam­beaux de ciels
dis­per­sés par les vents prédateurs

Quel oiseau de ses ailes translucides
réfléchi­ra les ombres
de vos mers d’embarque?

Quel hori­zon sous vos doigts tendus
trace encore vos exils
attache sur nos cils
vos mémoires
du grand large souffert !

Quelle de nos mémoires
devant vos clairs perpétuels
d’autres mondes
saura don­ner vos noms
de vivre aux mers étrangères !

∗∗∗

Dit de l’aimer

 

Au sur­gir du désir
tes courbes d’absolu
où j’abor­de de mal-monde
nos temps d’innocence
croy­ant en l’horizon
de rêves qui ne men­ti­raient pas…

Au sur­gir de tes détresses
quand la nuit
passe à ton cou
son col­lier de silence
pour adoucir les larmes
de noces qui ne saign­eraient plus…

 

Que voyons-nous l’inséparable
de toi
de moi
nous con­fi­er ses croquis
aux couleurs de vertiges
pour la mémoire ensemble
d’aimer sans lèvres            au rouge
de quelques brais­es           retournées

 

L’au­then­tique nuit d’amour
monte à l’abor­dage mystérieux
des grands fonds de confiance
que ne dou­ble sur la vague
aucune ombre de formes

Aucune esquisse
d’au­cune nuit
n’é­claire la chose étreinte
et le dit ne retient
que les plis en mémoire

 

Je ne crois pas l’amertume
savoir abuser la beauté
pour lui don­ner séjour par­mi les défaits
Je sais le ressen­tir d’infini
con­sol­er le cœur de ses brisures 

Je nous vois plus loin qu’à portée de poème

∗∗∗

Dit de l’incessant

Est-ce l’œuvre d’un jour
de décider si la fenêtre don­nant sur le jardin
est libre de s’ouvrir
et la lumière de bercer les fleurs
les nour­rir de la rosée
percer le vrai visage
qui ral­lierait les chants
de l’ineffable ?

Assis à ma table
qui ne des­sine aucune frontière
entre la con­vic­tion et l’espoir de défi­er la raison
J’apprends de chaque mot
tous les matins
le grand détache­ment qu’ils cou­vent en moi
et l’inséparable brisure
de mon ombre sur les choses

Est-ce feuil­let vierge bat­tu d’un souf­fle d’ailes 
l’éphémère accueil­lant l’infini ?

                                           Je n’en ai pas fini de la ronde enfantine
main­tenant mon séjour

Présentation de l’auteur

Philippe Tancelin

Philippe Tancelin est né Le 29 mars 1948 à Paris. Doc­teur d’Etat en Philoso­­phie-Esthé­­tique. Il est l’auteur de nom­breux ouvrages dont :

  • Ecrire, ELLE 1998 ;
  • Poé­tique du silence, 2000 ;
  • Cet en-delà des choses, 2002 ;
  • Ces hori­zons qui nous précè­dent, 2003 ;
  • Les fonds d’éveil, 2005 ;
  • Sur le front du jour, 2006 ;
  • Poé­tique de l’étonnement, 2008 ;
  • Poé­tique de l’Inséparable, 2009 ;
  • Le mal du pays de l’autre ; 
  • L’ivre tra­ver­sée de clair et d’om­bre, 2011 ;
  • Au pays de l’in­di­vis aimer (…) éd. l’Harmattan, 2011. 
  • Tiers-Idées, Hachette 1977; En col­lab­o­ra­tion avec G. Clancy ;
  • Frag­­ments-Delits,  Seghers 1979 ;
  • L’été insoumis, 1996 ;
  • Le Bois de vivre, l’har­mat­tan, 1996 ;
  • L’Esthé­tique de l’om­bre, 1991 ;
  • La ques­tion aux pieds nus ; 
  • En pas­sant par Jénine, 2006 (éd. l”Harmattan) ;
  • Le Théâtre du Dehors, Recherch­es, 1978 ;
  • Manoel De Oliveira, Dis-voir I987 ;
  • Théâtre sur Paroles, Ether Vague 1989 ;
  • Entre­tiens avec Bruno Dumont, Dis-voir, 2002.

 

Philippe Tancelin

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