Alain Crozier, Nuit marine

Par |2020-05-28T16:20:11+02:00 21 mai 2020|Catégories : Alain Crozier|

L’amour, on en en con­naît la puis­sance eupho­risante et les forces som­bres. Broy­antes. Pour­tant Alain Crozi­er dans Nuit marine nous en dit quelque chose d’autre. Tout au moins, nous le dit autrement, avec un brin d’acidité qui fait « tourn­er » le ton poétique.

La sin­gu­lar­ité de son style, qui joue tant de la bru­tal­ité des mots que de leur ten­dre flu­id­ité, nous sur­prend, quelque­fois nous égare, tout feu éteint.  Les pas­sages rapi­des d’un état à son opposé, entre les rêves de pléni­tude et la con­science brûlante du manque, nous délivrent d’une descente en chute libre dans les langueurs du sen­ti­ment amoureux, pour laiss­er place à des sonorités déli­cate­ment dés­in­voltes. Le poète pose ses mots, sans com­plai­sance, pour écrire l’intensité d’un impos­si­ble dénoue­ment qui ne cesse pour­tant de s’accomplir tout au long de l’ouvrage.  

Et puis cet ouvrage a un sacré rythme. Un rythme de scène, de retourne­ments et de coups de théâtre : les portes s’ouvrent, se fer­ment. Elles claque­nt, on se perd de vue, on se retrou­ve, on se cherche. On reprend tout dès le com­mence­ment. On se perd défini­tive­ment.  Et puis on devient sage !

 

Alain Crozi­er, Nuit Marine,
Jacques André Édi­teur, Collection 
Poésie XXI , 85 pages

 

 

L’amour ici a fait son nid dans l’âme, dans le temps et la chair. Com­ment le déloger de là alors que l’odeur de l’aimée, qu’elle soit M ou (plus rarement) Marine, imprègne la mémoire du corps : Je sens ses mains / je sens mes doigts. Cette odeur qui reste là / Comme sa pres­sion / En sen­sa­tion.  Alors que Les sen­ti­ments dis­ent / De s’écouter. / Aller se couch­er / Penser. / Et la retrou­ver dans mon rêve.

Où se trou­ve la sagesse dans ce bain de fusion d’acier trem­pée ?

Le poète la cherche, la pressent. C’est peut-être ce léger décolle­ment du rêve et de la réal­ité, ser­rés l’un con­tre l’autre, pour ne pas se per­dre, « pour qu’en un instant mille caress­es par­courent sa peau, pour là encore la rêver/dans d’autres nuits.

C’est la dilu­tion des ombres du passé qui avaient chuté dans le présent. Les longues res­pi­ra­tions retrou­vées, cha­cun de son coté. Une purifi­ca­tion, la fraicheur, un peu de tranquillité.

 

Arrêter cette plénitude
Etre con­scient et raisonné.
Paral­yser ce corps.
Cette peau et son odeur.
Gom­mer cette vie,
Ses chants et ses couleurs. 
Con­tenir tous les manques
Qu’il restera.
Oubli­er ces règles venant 
Au fil du temps …

 

C’est enfin retrou­ver la légèreté, la jubi­la­tion des forces qui se lèvent, l’élan d’aubes nou­velles. Un soudain sen­ti­ment de l’avenir. 

L’écriture d’Alain Crozi­er traduit avec une vraie sub­til­ité le pro­fond dilemme de l’amour qui hante ses nuits, nour­rit ses cauchemars et son inépuis­able faim. Et comme l’évadé ou le fugueur, il garde le goût des clô­tures et des enceintes : par­tir / rester. L’amour attache, tou­jours. Il y revient pour en ressen­tir encore les dernières lumières, lorsque le soleil asséché lutte de ses dernières forces, / Avec tout le courage qui / Lui restait . Il retient les derniers instants de la présence de l’aimée, pour une dernière danse, avant de la laiss­er dis­paraître loin der­rière les collines, où l’amour se con­fronte à l’épreuve de ses promess­es, dans l’incompréhension d’un infi­ni douloureuse­ment bleu-noir.

L’histoire cherche sa fin entre les sur­sauts de bon­heur, les pluies dilu­vi­ennes et les naufrages de la tristesse. Il faut dire que L’aventure avait pris / De l’espace et que La lune est rev­enue / Trop tôt, / Fatale. 

Mais l’étoile brille sur le poète, l’emporte dans ses secrets d’éternité : ses rayons me / réchauf­fent à jamais / On sait / Tout ce qui / Nous appartiendra/ A jamais ….

Alain Crozi­er mène son texte. Un texte dont la musique s’allonge dans l’inlassable retour des vagues con­tre l’obstacle. Il nous donne à lire une poésie qui con­jure la perte de l’autre en soi, de soi en l’autre, dans le rythme d’Une his­toire / Qui se ferme / Sur une faim / Entre ciel / Et mon­tagne / ……La nuit / l’étang… /La lune se noie dedans….

 

Présentation de l’auteur

Alain Crozier

Né en 1973 à Roanne, Alain Crozi­er vit dans le Sud de la Bour­gogne. Plas­ti­cien, écrivain, il écrit des nou­velles, des réc­its, des poésies dans de nom­breuses revues. Il dirige lui-même la revue de créa­tion lit­téraire Cabaret ain­si que les Édi­tions du Petit rameur et est respon­s­able du Salon du Livre de la Clayette, Voy­age en Livres.

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Christine Durif-Bruckert

Chris­tine Durif-Bruck­ert, est enseignante chercheure hon­o­raire en psy­cholo­gie sociale et en anthro­polo­gie à l’Université Lyon 2, auteure d’essais, de réc­its et de poésie. ‑Dans le domaine de la recherche, elle mène de nom­breux travaux sur le corps (le corps nour­ri et les enjeux de l’incorporation, le corps féminin, le corps sous emprise), ain­si que sur la mal­adie, psy­chique et soma­tique et sur la rela­tion thérapeu­tique. Out­re la dif­fu­sion d’un grand nom­bre d’articles dans des revues sci­en­tifiques nationales et inter­na­tionales, elle pub­lie : Une fab­uleuse machine. Anthro­polo­gie du corps et phys­i­olo­gie pro­fane. Paris : L’œil Neuf (1ère Édi­tion Anne-Marie Métail­ié, 1994, (2008, Réédi­tion), La nour­ri­t­ure et nous. Corps imag­i­naire et normes sociales. Paris : Armand Col­in. 2007, Expéri­ences anorex­iques, Réc­its de soi, réc­its de soin. 2017, Armand Col­in En 2021, elle coor­donne l’ouvrage col­lec­tif Trans­es aux édi­tions Clas­siques Gar­nier. — En poésie, elle pub­lie Langues, en 2018, chez Jacques André Édi­teur, puis Les Silen­cieuses en 2020 et Le courage des Vivants qu’elle coor­donne avec Alain Crozi­er (2021) Les Édi­tions du Petit Véhicule pub­lient trois livres d’artiste en dia­logue avec la pho­togra­phie (Arbre au vent, Le corps des Pier­res, 2017 et 2018, et en col­lab­o­ra­tion avec Mar­i­lyne Bertonci­ni et Daniel Roux-Reg­nier, Les mains (2021). En 2021, Courbet, l’origine d’un monde, aux Edi­tion inven­it, col­lec­tion Ekphra­sis. Et plus récem­ment, un mono­logue poé­tique, Elle avale les levers du soleil, aux Édi­tions PhB, en cours de mise en scène avec la com­pag­nie Lr Lanterne Rouge (Mar­seille) et en 2023 une con­ver­sa­tion poé­tique, La part du désert co-écrit avec Cédric laplace (Edi­tions Unic­ités) Par­al­lèle­ment, elle pour­suit des pub­li­ca­tions dans divers­es revues de poésie et par­ticipe à des antholo­gies. Sur l’année 2021/2022, elle a par­ticipé aux antholo­gies : Dire oui et Ren­con­tr­er (Flo­rence Saint Roch), Terre à ciel, Je dis DésirS, Jaume Saïs, Edi­tions PVST, Voix Vives, Pré­face de Maïthé Val­lès-Bled, Édi­tions Bruno Doucey, Mots de paix et d’Espérance, réu­nis et traduits par Mar­i­lyne Bertonci­ni, Edi­tions Oxybia…

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