Chrìstos Làskaris, Chambre pour une personne

Par |2019-11-21T11:53:40+01:00 21 novembre 2019|Catégories : Chrìstos Làskaris|

On est dans le réel, le con­cret. La vie, la vraie vie, intime à l’intérieur des foules. On n’en sait pas plus, à dire vrai, sur le décor de ces mots, on n’en sait que le corps, non, même pas, l’esprit, voilà…

Aucun détail, pas la moin­dre fior­i­t­ure ; on pour­rait se trou­ver en bas de chez soi, hier comme demain, mais on en est loin, très loin, sans s’en douter, d’ailleurs, on est en l’ailleurs d’un autre, et cet autre pour­rait bien être soi, puisqu’on est dans la quo­ti­di­en­neté sans fard d’une exis­tence qui résiste, bien mal­gré elle, à la lour­deur du sans, l’absence du tant – comme nous le sommes tous, plus ou moins. On pour­rait presque tous être cet homme (qui pour­rait être une femme ! ), pas­sant out­re sa honte de devoir accom­plir un tra­vail sans rai­son, sans but… Y trou­vant mal­gré tout un espoir, une sorte d’espoir… Met­tons un rêve.

 

MAINTENANT DANS SON SOMMEIL

Oubliant la honte, il est allé
tra­vailler dans un restaurant.

Tard le soir
dès le départ du dernier client,
on lui met­tait une assi­ette et il mangeait.

Main­tenant dans son sommeil,
il ne rêve plus de nourriture
mais une femme sans cesse vient vers lui.

 

 

Chrìs­tos Làskaris, Cham­bre pour une per­son­ne,
tra­duc­tion Michel Volkovitch, édi­tions Le Miel 
des Anges, 84 pages, 8€.

La honte ? Mais pourquoi la honte ? La honte de faire ce qu’on s’était promis de ne pas faire ? Comme courir après la néces­saire ali­men­ta­tion du ven­tre : sur­vivre ? Il n’y a pas de honte à cela, en théorie… En théorie, oui, seule­ment… Per­son­ne ne nous jugera, per­son­ne ne nous con­damn­era, de nour­rir son corps – on ne sert qu’à cela, dans le fond… Pour­tant, tutoy­er le sol quand on espérait embrass­er le ciel, force­ment, pose un prob­lème, de soi à soi… Où est la hau­teur quand on ne voit que le bas, le bitume, le raclement du vide, la soli­tude, la pire des soli­tudes, celle qui est comblée de ses fantômes ?

 

 

AUTOROUTE

Bitume et soli­tude mêlés,
notre autoroute
roule en silence, traversant
des éten­dues désertes.

La nuit tombe,
et le silence augmente.
Ici ou là, une sta­tion service,
lumière pâle, solitaire.

 

Et face à ses spec­tres, ses démons, son silence, on ne peut que se taire, et donc ne pas s’écouter. Il faudrait, pour­tant, par­ler, dire, clamer haut et fort l’extrême néces­sité d’être soi, soi par­mi les autres, les autres en soi… Il le faudrait, oui, mais… La parole, sou­vent, presque tou­jours, n’est qu’une log­or­rhée sans fin, un assem­blage de gal­i­ma­tias vomi par un ego ou bour­souf­flé ou malade de ne pas être lui-même, réelle­ment – peut-on réelle­ment être soi-même ?… Ou bien est-on un brin amer, fièvre de mau­vaise foi ger­mant dans la mal­adie de la lucid­ité ?… Ou en veut-on aux autres, à l’autre, celui ou celle qui peut, sans prob­lème, croit-on, dire, tout ce qu’il faut dire, ce qu’il faudrait dire ?

 

À UN AMI POÈTE

Apparem­ment tu n’as rien à dire
puisque tu pass­es ta vie à parler.

 

Mais on le dit, ce qu’il faut dire… On en exprime du moins  l’essentiel, de ce vide entre les mots, ce silence dans la parole, cette exis­tence dans la vie ; on est et on a soi en tous et tous en soi, cette uni­ver­sal­ité absolue du manque que rien ne comblera jamais, pas même le poème… Quoique… 

 

VARIATIONS SUR MA TERREUR

Je n’ai jamais écrit de poèmes.
Ce que vous lisez là
c’est la ter­reur dans mon âme.

Thème et variations.

 

 

Présentation de l’auteur

Chrìstos Làskaris

Chrìs­tos Làskaris est un poète grec. Il a étudié à l’A­cadémie péd­a­gogique de Tripoli et  a tra­vail­lé  dans la divi­sion des assur­ances de l’au­torité de bus de la ville de Patras. Il a reçu le prix Cavafy Inter­na­tion­al Award en 2007, au Caire.

Poèmes choi­sis

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Vincent Motard-Avargues

Vin­cent Motard-Avar­gues, né le 15 juin 1975, à Bor­deaux ; pho­tographe & musi­cien, a pub­lié quelques livres. Poésie : — “Car­nets d’un plongeur sec”, édi­tions Gros Textes, 2019 — “La chair de la pierre”, édi­tions Incli­nai­son, 2018 — “(im)permanence”, édi­tions Encres Vives, 2015 — “Je de l’Ego”, édi­tions du Cygne, 2015 — “Recul du trait de côte”, édi­tions de la Crypte, 2014 — “À ce qui est de ce qui n’a”, édi­tions Encres Vives, 2013 — “Leurs mains gan­tées de ciels”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Le vil­lage retrou­vé”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Si peu, tout”, Éclats d’en­cre édi­teur, 2012 — “l’Al­pha est l’Omé­ga”, ‑36° édi­tions, 2011 — “Un écho de nuit”, édi­tions du Cygne, 2011 Pho­to : — “Radi­celles”, duo poèmes/ pho­tos avec Murièle Mod­é­ly, édi­tions Tar­mac, 2019 — cou­ver­ture du livre « Je te vois », de Murièle Mod­é­ly, édi­tons du Cygne, 2017”
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