Mélanie Leblanc, Des Etoiles filantes

La pre­mière chose qui me soit venue à l’e­sprit, bizarrement, après avoir ouvert l’en­veloppe et retiré l’ob­jet, est cette cita­tion de Michel Audi­ard : “éparpil­lé façon puzzle.”

Objet, oui, plus que livre. De prime abord, du moins… Objet cerné de deux rec­tan­gles de car­ton décorés sobre­ment — d’une pho­to, d’une pein­ture ?… Entre les deux, des fich­es de papi­er reliées par un anneau doré. Une phrase par fiche, écrite à l’en­cre noire, police d’écri­t­ure imposante, bien que sobre.

Mélanie Leblanc — des étoiles filantes,  édi­tions les Venterniers, 
livre-objet dimen­sion 8 x 13 x 1 cm — 14 euros

Objet, certes, mais poé­tique. Les phras­es sont des vers. Courts. Très. Un poème “éparpil­lé façon puz­zle” sur l’ensem­ble de l’ob­jet-livre. Des vers sur l’amour, la vie. Tout l’amour, toute la vie. De l’ami­tié au sen­ti­ment fil­ial, du coeur amoureux aux bat­te­ments per­dus ; de l’ex­is­tence à sa fin, de l’éphémère à l’é­ter­nité. Des souhaits d’amour, des souhaits de vie.

Objet-livre… Un livre, dans le fond, qu’est-ce ? Un amas de mots ? Une antholo­gie de phras­es ? Ou bien une direc­tion née de sens dif­fi­cile­ment repérables ?… Tout ça. Et rien de tout cela ! Un livre, c’est prob­a­ble­ment une parole, une expres­sion. Dans l’idéal, un échange. Où tout est lié, théorique­ment… Comme tout est lié par cet anneau doré, dans cet objet-livre… Anneau… Comme l’an­neau des mar­ié-e‑s… On se marie à la pen­sée, à la parole, à l’ab­solu. Une cer­taine vision de l’é­ter­nité. Une éter­nité qui file, pfuit ! Étoiles filantes que nous sommes, qui ressen­tons, éprou­vons, échangeons, lors d’un temps, court comme un poème.

Livre… Et ce n’est plus la face fuyante du per­son­nage inter­prété par Bernard Bli­er, qui me vient à l’e­sprit, mais le vis­age fausse­ment austère de René Char. Les livres-objets qu’il a com­posés, à la fin de sa vie. Sa volon­té — j’ex­tra­pole sûre­ment — de trans­former les traces du poète, en trace du poème ; pous­sières de créa­tion poé­tique, uniques — indi­vidus de mots.

Ce sont des êtres, qui se lient entre eux par l’an­neau doré d’une vie, ces poèmes, ces vers, en ce livre-objet. Vies qui filent. S’en­fuient. Et dont on ne con­serve que l’essen­tiel : la pen­sée, l’é­mo­tion — la vérité intime.

Jean-Marc Flahaut — j’étais presque un ouvrier

À quoi sert un ate­lier d’écri­t­ure ? À qui ?

À cette ques­tion nom­bre d’autri­ces et auteurs ont ten­té de répon­dre. Plus ou moins bien. Plus ou moins con­va­in­cant-e‑s. Sincères, tous, toutes, je crois, espère.

Faire écrire l’aspi­rant autrice-auteur, pour le/la con­forter dans ses choix ?… Faire décou­vrir la lit­téra­ture, du moins l’écri­t­ure, à des gens biens sous tous rap­ports, mais en qui quelque chose manque/coince/blesse, que le verbe non-par­lé pour­rait combler/aider/soigner ?…

Jean-Marc Fla­haut — j’é­tais presque un ouvri­er, édi­tions les Ven­terniers, 96 p. 10 euros

 

 Faire not­er le temps qui passe, (s’) évade, à ceux qui le voient pass­er, sans con­trôle, sans lib­erté, en l’isole­ment for­cé de la mal­adie, de la prison, de l’en­fer­me­ment ?… Faire con­sign­er la vie à celles et ceux qui vont la vivre, par dépit, par hasard, et leur don­ner la cer­ti­tude qu’ils/elles ne sont pas que sim­ples pas­sagers-pas­sagères, mais con­duc­tri­ces-con­duc­teurs sur leur voie ?… Ou peut-être n’est-ce qu’une façon d’of­frir une par­tic­i­pa­tion, non pas à la lit­téra­ture et sa sup­posée postérité, mais à la ten­ta­tive de com­préhen­sion du monde, de la vie, que les Let­tres (s’) imposent ?

Jean-Marc Fla­haut ne répond pas à ces ques­tions qui, dans le fond, n’ont pas de réponse défini­tive pos­si­ble. Il se penche sur ce qu’il y a de plus impor­tant, de vrai­ment impor­tant : ce que les gens ont à dire de ce qu’ils vivent. Gens qu’il laisse totale­ment libres de s’ex­primer… Et pas n’im­porte quelles gens, des gens qui devi­en­nent des indi­vidu-e‑s, des jeunes qui entrent “dans la vie active” ou s’y installe… Des êtres sur le point de devenir… Mais de devenir quoi ?… Des tra­vailleuses, tra­vailleurs ?… Le tra­vail définit-il l’in­di­vidu ?… Sans tra­vail, est-on pas­sif ?… Quelques un-e‑s de ces par­tic­i­pant-e‑s — cer­taines autri­ces, cer­tains auteurs — se posent la ques­tion ; vont même jusqu’à y répon­dre, ten­ter de… Auteurs, autri­ces, oui, elles et ils le sont, résol­u­ment. Ce n’est pas la pub­li­ca­tion de livres, qui définit l’écrivain‑e, mais d’éprou­ver le besoin de con­sign­er la vie, la not­er pour qu’elle n(e s)‘échappe pas.

Et rien de la vie de leur échappe, à ces autri­ces, ces auteurs. Rien de la vie et de ses décep­tions ou joies, frus­tra­tions et réus­sites, rêves comme désil­lu­sions… À par­tir de leurs expéri­ences du tra­vail, c’est l’ex­péri­ence de la vie qu’ils et elles notent, scrupuleuse­ment ou pas. Chacun‑e sa voix. Le min­i­mal­isme pour cetain-e‑s, la pré­ci­sion ultime pour d’autres. “Elles, ils, sont les voix de la vie.” Pen­sé-je, souri­ant très vite de mon ent­hou­si­asme un brin can­dide !… Un sourire, oui, puis… Non, pas d’emballement. Ils et elles sont la vie.

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Vincent Motard-Avargues

Vin­cent Motard-Avar­gues, né le 15 juin 1975, à Bor­deaux ; pho­tographe & musi­cien, a pub­lié quelques livres. Poésie : — “Car­nets d’un plongeur sec”, édi­tions Gros Textes, 2019 — “La chair de la pierre”, édi­tions Incli­nai­son, 2018 — “(im)permanence”, édi­tions Encres Vives, 2015 — “Je de l’Ego”, édi­tions du Cygne, 2015 — “Recul du trait de côte”, édi­tions de la Crypte, 2014 — “À ce qui est de ce qui n’a”, édi­tions Encres Vives, 2013 — “Leurs mains gan­tées de ciels”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Le vil­lage retrou­vé”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Si peu, tout”, Éclats d’en­cre édi­teur, 2012 — “l’Al­pha est l’Omé­ga”, ‑36° édi­tions, 2011 — “Un écho de nuit”, édi­tions du Cygne, 2011 Pho­to : — “Radi­celles”, duo poèmes/ pho­tos avec Murièle Mod­é­ly, édi­tions Tar­mac, 2019 — cou­ver­ture du livre « Je te vois », de Murièle Mod­é­ly, édi­tons du Cygne, 2017”