“La poésie lève les voiles / déchire les masques // comme l’amour” 

 

Il est donc ques­tion d’amour ; d’une poésie sur le sen­ti­ment le plus partagé, mais aus­si le plus rare. On cherche le corps de l’autre, partout, en soi, alen­tour, dans ce flou per­ma­nent des jours.

toi, / nuage de chair // comme une rose / dans le chaos de mon sang”

Pour­tant, cet autre, cette autre, dont Serge Tor­ri nous par­le, n’est pas cette image loin­taine d’une incon­nue espérée, mais d’une étrangère, de ce quelqu’un d’autre que cette autre cher­chée, puis trou­vée ; ce quelqu’un d’autre qui s’échappe, et avec qui  tout con­tact paraît impossible.

“le masque d’une étrangère / que je ne puis plus frap­per du cœur / de poésie / ni du regard / d’au­cun poème”

Cette incon­nue qui fût si proche…  à présent dev­enue si loin­taine, que rien ne peut la décrire ;  un vis­age devenu une image… la réal­ité d’un rêve.

“tu n’es plus ô mon amour / que le songe / de quelqu’un qui n’ex­iste plus // qu’en­tre les pages d’un livre impossible”

Ce rêve qui con­tin­ue mal­gré le réveil impa­ra­ble, l’év­i­dence du choc diurne. Le poète marche à côté de ce fan­tôme qui ne se sait fan­tôme, se croit vif.

“- allons nous mourir / de n’avoir pas su finir / d’aimer / de nous aimer ?”

Mal­gré tout, la réal­ité s’af­fiche, imper­turbable, cas­sante, fracassante.

“une main // agite un gant vide […] (un gant vide / ou le mou­choir blanc du dernier au revoir)”

Et que peut le poète face à l’âpreté du réel ?

“comme si l’écri­t­ure pou­vait réduite / l’é­cart de nos ombres”

Il affronte son quo­ti­di­en, du réveil au couch­er, avec ce poids sur les yeux. Le poids du manque.

“Et le vide / du miroir // pro­jette / sans répit // la face / de l’absence”

Cepen­dant, quelque chose s’af­firme. Le manque, l’ab­sence, la quo­ti­di­en­neté du vide. Vivre avec ce qui ne vit plus, celle qui ne vit plus. Et donc ne pas vivre soi-même. Insen­si­bil­isé par trop de douleurs endurées.

“-je ne ressens plus ta présence / je ne ressens plus ton absence”

Et les jours s’ac­cu­mu­lent, lente­ment. La brume s’é­pais­sit. La réal­ité se recou­vre d’un rêve per­ma­nent. La réal­ité présente n’ex­iste plus que dans l’ab­sence de réal­ité passée. Le réel n’est plus réel. L’im­age a rem­placé la vue.

“Se sou­venir / efface mieux / qu’oublier”

Alors, l’ab­sence enlève tous les habits de la présence. Il ne reste qu’un cœur nu, sur un corps habil­lé de rien.

“Seul / si seul / que tout est / seul/ et nu”

 

 

 

 

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Vincent Motard-Avargues

Vin­cent Motard-Avar­gues, né le 15 juin 1975, à Bor­deaux ; pho­tographe & musi­cien, a pub­lié quelques livres. Poésie : — “Car­nets d’un plongeur sec”, édi­tions Gros Textes, 2019 — “La chair de la pierre”, édi­tions Incli­nai­son, 2018 — “(im)permanence”, édi­tions Encres Vives, 2015 — “Je de l’Ego”, édi­tions du Cygne, 2015 — “Recul du trait de côte”, édi­tions de la Crypte, 2014 — “À ce qui est de ce qui n’a”, édi­tions Encres Vives, 2013 — “Leurs mains gan­tées de ciels”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Le vil­lage retrou­vé”, édi­tions Encres Vives, 2012 — “Si peu, tout”, Éclats d’en­cre édi­teur, 2012 — “l’Al­pha est l’Omé­ga”, ‑36° édi­tions, 2011 — “Un écho de nuit”, édi­tions du Cygne, 2011 Pho­to : — “Radi­celles”, duo poèmes/ pho­tos avec Murièle Mod­é­ly, édi­tions Tar­mac, 2019 — cou­ver­ture du livre « Je te vois », de Murièle Mod­é­ly, édi­tons du Cygne, 2017”