S’agissant du Jardin de l’orme, rarement la fac­ture d’un livre aura aus­si bien cor­re­spon­du à son esprit : l’élégante cou­ver­ture reliée à la chi­noise par un sim­ple fil de lin passé dans l’épaisseur de la tranche, le dessin à l’encre réal­isé par Paul Morin lui-même pointent dès l’abord une promesse d’heureuse lecture. 

D’un long com­merce des livres et des musées, de la con­nivence du poète avec les paysages bre­tons, chi­nois ou nordiques, de sa pas­sion de la pho­togra­phie est né ce livre rare à l’écriture buis­son­nière. Comme les eaux étroites de Julien Gracq, la décou­verte des bor­ds de Loire par l’enfant réfugié a inscrit en lui le sens de la beauté si inten­sé­ment que ces hauts lieux n’en finis­sent pas d’agir comme une eau-forte. En un vaste poème en prose, Paul Morin assem­ble,  par col­lages et frag­ments, les images et les cor­re­spon­dances : « La tra­ver­sée des marais salants me porte vers d’autres éten­dues de la Chine du Sud, une roche noire me plonge dans les fjords d’Ecosse ou de Norvège, les longs bancs de sable empor­tent mon regard vers les nuages ». La quête de la langue épouse pour lui celle de la terre, de ses chemins les plus var­iés, au-delà des fron­tières de toutes sortes : en pas­sant des paysages norvégiens aux salines de Batz ou aux pagodes chi­nois­es, ce sont ses pro­pres illu­mi­na­tions qu’il nous livre.

Paul Morin, Le Jardin de l’orme, éditions du Petit Véhicule, Nantes, 2012, 15 euros

Paul Morin, Le Jardin de l’orme, édi­tions du Petit Véhicule, Nantes, 2012, 15 euros

Comme on par­le de plac­er la voix, l’on pour­rait dire que tout l’art de Paul Morin est de plac­er le regard. Le mot d’ailleurs revient sou­vient : il importe d’ajuster l’œil devant l’imprévu, l’incertain, l’éphémère. Cristaux de sel, nuages blancs, eaux se décom­posent et se recom­posent en d’infinis pos­si­bles, comme les formes changeantes d’un kaléi­do­scope. Rien de cérébral ici, le poète est de plain-pied avec toutes les formes du sen­si­ble, celle de la nature comme celles des créa­tions de l’esprit humain, Tiepo­lo, Mozart, Poli­akoff, Strind­berg… Car c’est une sub­jec­tiv­ité pas­sion­née, nour­rie de la spir­i­tu­al­ité et des arts de l’Orient, disponible au dépayse­ment qui cul­tive ce jardin mi-réel, mi-imag­i­naire. Et cet orme, en pre­mier plan, riche de la sym­bol­ique de l’arbre, enracin­e­ment par excel­lence, voilà qu’il devient le lieu  même de l’ouvert, accueil­lant tous les signes de la beauté glanés de par le monde.  En nous faisant entr­er dans ce « ce jardin sans clô­ture de [son] esprit », Paul Morin  invite chaque lecteur à cul­tiv­er le sien et à se faire lui aus­si un con­tem­platif du monde et de ses beautés.

 

Ce texte est  paru dans “Cahiers de l’A­cadémie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de Loire”. Numéro 49. 2013.“Couleur”. 

 

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Marie-Hélène Prouteau

Marie-Hélène Prouteau est née à Brest et vit à Nantes. Agrégée de let­tres. tit­u­laire d’un DEA de lit­téra­ture con­tem­po­raine, elle a enseigné vingt ans les let­tres en pré­pas sci­en­tifiques. Elle recherche l’échange avec des créa­teurs venus d’ailleurs (D.Baranov, « Les Allumées de Péters­bourg ») ou de sen­si­bil­ités artis­tiques dif­férentes (plas­ti­ciens tels Olga Boldyr­eff, Michel Remaud, Isthme-Isabelle Thomas).Elle a ani­mé des ren­con­tres « Hauts lieux de l’imaginaire entre Bre­tagne et Loire chez Julien Gracq », par­ticipé aux « Ren­con­tres de Sophie-Philosophia » sur les Autres et égale­ment sur Guerre et paix. Ses pre­miers textes por­tent sur la sit­u­a­tion des femmes puis sur Mar­guerite Yource­nar. Elle a pub­lié des études lit­téraires (édi­tions Ellipses, SIEY), trois romans, des poèmes et des ouvrages de prose poé­tique. Elle écrit dans Ter­res de femmes, Terre à ciel, Recours au poème, La pierre et le sel et Ce qui reste, Poez­ibao, À la lit­téra­ture, Place de la Sor­bonne, Europe. Son livre La Petite plage (La Part Com­mune) est chroniqué sur Recours au poème par Pierre Tan­guy. Elle a par­ticipé à des livres pau­vres avec la poète et col­lag­iste Ghis­laine Lejard. Son écri­t­ure lit­téraire entre sou­vent en cor­re­spon­dance avec le regard des pein­tres, notam­ment G. de La Tour, W.Turner, R.Bresdin, Gau­guin. Son dernier livre Madeleine Bernard, la Songeuse de l’invisible est une biogra­phie lit­téraire de la sœur du pein­tre Émile Bernard, édi­tions Her­mann. BIBLIOGRAPHIE LES BLESSURES FOSSILES, La Part Com­mune, 2008 LES BALCONS DE LA LOIRE, La Part com­mune, 2012. L’ENFANT DES VAGUES, Apogée, 2014. LA PETITE PLAGE pros­es, La Part Com­mune, 2015. NOSTALGIE BLANCHE, livre d’artiste avec Michel Remaud, Izel­la édi­tions, 2016. LA VILLE AUX MAISONS QUI PENCHENT, La Cham­bre d’échos, 2017. LE CŒUR EST UNE PLACE FORTE, La Part Com­mune, 2019. LA VIBRATION DU MONDE poèmes avec l’artiste Isthme, mars 2021 édi­tions du Qua­tre. MADELEINE BERNARD, LA SONGEUSE DE L’INVISIBLE, mars 2021, édi­tions Hermann.