Silvaine Arabo, Capter l’indicible

Par |2022-03-05T17:06:29+01:00 5 février 2022|Catégories : Critiques, Silvaine Arabo|

Sil­vaine Arabo est pein­tre, poète, éditrice. Elle a pub­lié une œuvre poé­tique impor­tante. Plus de quar­ante recueils ain­si que trois recueils d’aphorismes et deux essais. Son dernier Capter l’indicible est pub­lié aux édi­tions Rafael de Surtis. 

Le recueil, une suite de poèmes aux vers tan­tôt amples, tan­tôt brefs frappe par le souf­fle qui tra­verse ces pages. Il s’agit d’une res­pi­ra­tion pleine d’allant et d’ardeur. Dans ce flux d’impressions ryth­mé musi­cale­ment, tout s’offre à nous. Les vari­a­tions de la lumière. Le sou­venir du bleu Van Gogh. Les vastes hori­zons marins. Les grands oiseaux. Et aus­si la blancheur qui nour­rit divers réseaux pos­si­bles d’images et sem­ble plus que tout déclencher l’imaginaire chez la poète, telle l’œuvre au blanc alchimique :

Toutes ces mains filant le des­tin du silence

D’âge en âge

De blancheur en blancheur.

Sil­vaine Arabo, Capter l’indicible, édi­tions Rafael de Sur­tis, 76 p, 15 €.

Le sen­ti­ment de fusion avec la sub­stance des choses et avec l’univers entier se fait jour, pure qual­ité de présence. La nature qui accom­pa­gne presque chaque page y con­tribue pleine­ment dans ses com­posantes var­iées. La poète nous invite à pos­er sim­ple­ment notre regard. Ce sont les grands espaces entre ciel et mer. Plus loin, c’est le pas­sage des saisons et leurs harmoniques :

Ain­si dériv­er dans l’air doux des printemps

Inscrire sur ses dix doigts ses sceaux magiques.

La suc­ces­sion de visions joue à plein et va s’amplifiant dans la beauté des images : « les poulies grinçantes du temps », « La Magi­ci­enne au pas de fleurs », « Les branch­es bleues de Van Gogh ».

L’accord pro­fond avec le monde que la poète accueille dans une fer­veur atten­tive n’interdit pas le malaise devant la bru­tal­ité du réel. Ain­si résonne par­fois, dans cette basse con­tin­ue, « la musique de l’absurde/Dans d’ignobles échos ». La poète sait dépass­er, trans­muer ce qui s’éprouve là de négatif.

La médi­ta­tion qui a par­tie liée avec la per­ma­nence et les méta­mor­phoses est ren­due par la grâce d’un art libre :

Ah ! Capter l’indicible

Dans l’avancée du vent

Et les solil­o­ques des marées ! 

Ce qui frappe dans l’écriture de Sil­vaine Arabo, c’est sa dou­ble pos­tu­la­tion, à la fois sen­si­tive et médi­ta­tive. « Une grande prière monte et se creuse ». Celle, païenne, des élé­ments alen­tours et de la nature. Sub­tile­ment, s’entremêlent les temps ver­baux, présent, passé sim­ple, futur, dans un agence­ment ver­bal tout en flu­id­ité hér­a­clitéenne. D’autres tem­po­ral­ités sont con­vo­quées, celle des « lacs antiques », celle des mythes, tel Nar­cisse, lignes de fuite qui élar­gis­sent et plu­ralisent la vision.

L’ombre de la fini­tude fait signe, mais sans pathé­tique ni emphase, portée par ces mots sim­ples d’« out­re-monts », de « pâleur ». Des mots qui sem­blent, à syl­labes comp­tées, prédire la fin : « Tu es le grand signe au bout du chemin ». Il y a là comme une manière de dire la mort mais en sour­dine. Mais qu’est-ce que la mort ? Nous n’en savons rien. Peut-être l’a­ban­don d’un plan dense ouvrant sur cette trans­parence con­vo­quée par Sil­vaine Arabo tout au long du poème. Cette trans­parence qui, pour moi, évoque métaphorique­ment la très anci­enne vision des morts chez Homère et leur survie pas plus con­sis­tante qu’une ombre légère.

La lucid­ité de la poète se tient dans cet élan qui explore et ques­tionne. Mais elle sait aus­si évo­quer en con­tre­point l’enfance, ses clair­ières, ses « lita­nies d’enfant per­due », « ses « visions enfan­tines dans l’ancre des ports ». Sen­sa­tions, recog­ni­tions, éclats de rêve sont puis­sam­ment à l’œuvre dans ces pages de Capter l’indicible.

De cette ten­sion émerge un paysage men­tal entre con­nivence et dis­so­nances, entre ouver­ture et angoisse. Et cette poé­tique du ques­tion­nement intérieur engage le lecteur dans un dia­logue de haute alliance avec le monde qui pour­suit longtemps en nous son écho : « Tout est dia­logue car rien n’est duel ».

                                                                                                                   

Présentation de l’auteur

Silvaine Arabo

 

Sil­vaine Arabo est née en Char­ente-Mar­itime. Elle a fait ses études supérieures à l’Université de Poitiers. Pro­fesseur de Let­tres puis chef d’établissement.

Elle a com­mencé à écrire à 20 ans et a pub­lié, entre 1967 et 2019, 40 recueils depoèmes (Chez Guy Cham­bel­land, La Bar­­tavelle-Edi­­teur, Encres Vives, Edit­in­ter, Club des poètes, Rafael de Sur­tis…) ain­si que deux essais et trois recueils d’aphorismes. Elle a égale­ment fait paraître ses textes dans de nom­breuses revues, tant français­es (Phréa­tique, Poésie/première, Traces, Résur­rec­tion, Poésie/s/Seine, Frich­es, Arpa, Jalons, Join­ture, Les Cahiers de la rue Ven­tu­ra, IHV, Phoenix, etc.) qu’étrangères (Québec : invitée d’honneur de la revue Arcade, Roumanie : revue Cron­i­ca, Inde : PPH00, Bel­gique : L’Arbre à paroles, Inédit Nou­veau, USA : Osiris, Mex­ique : La Piraña). Sa poésie a été traduite en anglais, en espag­nol, en hin­di, en roumain et en tchèque et elle appa­raît dans une dizaine d’anthologies.

Sil­vaine Arabo est égale­ment plas­ti­ci­enne : nom­breuses expo­si­tions à Paris, dans deux Galeries du Marais (Prix d’honneur pour une de ses toiles en 2001 à l’Orangerie du Sénat lors d’une expo­si­tion fran­­co-japon­aise), en province et à l’étranger — Chine : Pékin (2000) toiles, Japon (2008) : Ama­gasa­ki (quarti­er Tera­machi), Nikko (vil­la impéri­ale), Naha (Musée pré­fec­toral et des Beaux-Arts), où on lui a attribué trois diplômes d’honneur pour ses encres.

Elle a pub­lié plusieurs livres d’art (ses encres, toiles, dessins, col­lages, photos).

Elle a créé en 2001 Saraswati (revue de poésie, d’art et de réflex­ion sur sup­port papi­er) ain­si que plusieurs sites de poésie en ligne :

- 1997 — 2012 : Poésie d’hier et d’aujourd’hui (édi­tion de plus de 100 poètes con­tem­po­rains, site aujourd’hui dis­paru car envahi par une pub­lic­ité non consentie).

- 2017 : site des Edi­tions de poésie Alcy­one (présen­ta­tions d’auteur(e)s, poésie à lire et à enten­dre, notes de lec­ture…) www.editionsalcyone.fr

et un site pour la défense des Droits de l’animal :

- 2007 Animaux…les longs cal­vaires : http://pagesperso-orange.fr/mirra/

Sa poésie appa­raît sur de nom­breux por­tails de l’Internet.

Elle fut direc­trice du comité de lec­ture des Edi­tions de l’Atlantique, elle l’est aujourd’hui de celui des Edi­tions Alcy­one (B.P. 70041, 17102 Saintes Cedex).

 

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Marie-Hélène Prouteau

Marie-Hélène Prouteau est née à Brest et vit à Nantes. Agrégée de let­tres. tit­u­laire d’un DEA de lit­téra­ture con­tem­po­raine, elle a enseigné vingt ans les let­tres en pré­pas sci­en­tifiques. Elle recherche l’échange avec des créa­teurs venus d’ailleurs (D.Baranov, « Les Allumées de Péters­bourg ») ou de sen­si­bil­ités artis­tiques dif­férentes (plas­ti­ciens tels Olga Boldyr­eff, Michel Remaud, Isthme-Isabelle Thomas).Elle a ani­mé des ren­con­tres « Hauts lieux de l’imaginaire entre Bre­tagne et Loire chez Julien Gracq », par­ticipé aux « Ren­con­tres de Sophie-Philosophia » sur les Autres et égale­ment sur Guerre et paix. Ses pre­miers textes por­tent sur la sit­u­a­tion des femmes puis sur Mar­guerite Yource­nar. Elle a pub­lié des études lit­téraires (édi­tions Ellipses, SIEY), trois romans, des poèmes et des ouvrages de prose poé­tique. Elle écrit dans Ter­res de femmes, Terre à ciel, Recours au poème, La pierre et le sel et Ce qui reste, Poez­ibao, À la lit­téra­ture, Place de la Sor­bonne, Europe. Son livre La Petite plage (La Part Com­mune) est chroniqué sur Recours au poème par Pierre Tan­guy. Elle a par­ticipé à des livres pau­vres avec la poète et col­lag­iste Ghis­laine Lejard. Son écri­t­ure lit­téraire entre sou­vent en cor­re­spon­dance avec le regard des pein­tres, notam­ment G. de La Tour, W.Turner, R.Bresdin, Gau­guin. Son dernier livre Madeleine Bernard, la Songeuse de l’invisible est une biogra­phie lit­téraire de la sœur du pein­tre Émile Bernard, édi­tions Her­mann. BIBLIOGRAPHIE LES BLESSURES FOSSILES, La Part Com­mune, 2008 LES BALCONS DE LA LOIRE, La Part com­mune, 2012. L’ENFANT DES VAGUES, Apogée, 2014. LA PETITE PLAGE pros­es, La Part Com­mune, 2015. NOSTALGIE BLANCHE, livre d’artiste avec Michel Remaud, Izel­la édi­tions, 2016. LA VILLE AUX MAISONS QUI PENCHENT, La Cham­bre d’échos, 2017. LE CŒUR EST UNE PLACE FORTE, La Part Com­mune, 2019. LA VIBRATION DU MONDE poèmes avec l’artiste Isthme, mars 2021 édi­tions du Qua­tre. MADELEINE BERNARD, LA SONGEUSE DE L’INVISIBLE, mars 2021, édi­tions Hermann.
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