Pierre Dhainaut : QUESTIONS À ISABELLE LÉVESQUE

Par |2022-09-07T19:04:17+02:00 6 septembre 2022|Catégories : Essais & Chroniques, Isabelle Lévesque|

Pierre Dhain­aut s’en­tre­tient avec Isabelle Lévesque à pro­pos de Je souf­fle, et rien. paru cette année aux édi­tions L’Herbe qui tremble.

Pierre Dhain­aut : Ne devri­ons-nous pas décou­vrir sans inter­mé­di­aire les livres de poèmes ? Les tiens, sur la qua­trième de cou­ver­ture, ne pro­posent qu’un extrait. En revanche, des épigraphes les intro­duisent, que tu empruntes à des auteurs qui te sont chers puisqu’ils revi­en­nent sou­vent, Apol­li­naire, par exem­ple, Thier­ry Metz et dans Je souf­fle, et rien. Éric Sautou : quelle impor­tance leur accordes-tu ? Est-ce que tu explicites avec elles l’appartenance à une lignée ?

Isabelle Lévesque : Extraire un ou plusieurs vers d’un poème, c’est lui accorder l’autonomie et revendi­quer l’éclat pour une par­tie seule d’un tout dont on prive ce frag­ment. Or j’aime les frag­ments, l’idée que quelque chose de séparé existe, con­tin­ue, autrement. La sépa­ra­tion, sou­vent éprou­vée comme erreur ou arrache­ment, devient chance. Ce retourne­ment fait sens. Je veux louer tout ce qui change, évolue, se trans­forme. L’extraction exprime cette chance sans empêch­er de courir vers le tout, pour le recon­stituer – avec cette idée chère : rien n’est perdu.
Les extraits que je choi­sis pour les épigraphes révè­lent une dou­ble appar­te­nance : je ne cite que les poètes que je lis assidû­ment (depuis longtemps le plus sou­vent et pour tou­jours). Et puis l’extrait devenu essen­tiel se révèle dans une exis­tence pro­pre : il est pour nos yeux avant que le livre débute, seuil ou guide. Aus­si bien il s’efface – le lecteur choisit de le faire sien pour lire ou pas. Une fois les poèmes devenus livre, je ne maîtrise plus rien. Le lecteur décide de tout.

Isabelle Lévesque, Je souf­fle, et rien. pein­tures de Fab­rice Rebey­rolle, post­face de Jean-Marc Sour­dil­lon, édi­tions L’Herbe qui trem­ble, 152 pages, 2022.

Je choi­sis les épigraphes après la com­po­si­tion du livre, en lien étroit avec lui et avec le pre­mier poème en par­ti­c­uli­er. C’est l’une des portes – elles sont mul­ti­ples. Sur le seuil de deux livres, j’ai ain­si cité Car­o­line Sagot Duvau­roux : « avec l’allégresse cepen­dant et l’audace qui est la grâce / des herbes au bord des précipices »
Ces vers me sem­blaient dépass­er le cadre d’un seul livre : toute une poétique.
Je ne me sens pas appartenir à une lignée de poètes, d’ailleurs j’aime des textes très dif­férents et je peux aus­si ressen­tir le besoin d’aller plutôt vers cer­tains textes ou d’autres suiv­ant ce que je vis, suiv­ant les pub­li­ca­tions aus­si. Stéphane Miram­beau, repub­liant Terre de Thier­ry Metz aux édi­tions Pierre Mainard, m’a con­duit de nou­veau vers ce livre de Thier­ry Metz. Il y a plus de dix ans, j’étais restée des mois dans son œuvre pour pub­li­er, avec Daniel Mar­tinez dans Diérèse, des inédits du poète (deux numéros spé­ci­aux de la revue en fait). Rien n’épuise la lec­ture de ce livre et, le relisant, je con­statais que je pour­rais sim­ple­ment, pour cha­cun de mes livres, choisir un extrait de celui-là. Chaque lec­ture intense emporte mon adhé­sion, ma fer­veur. Les épigraphes restent aus­si l’expression d’une recon­nais­sance – comme peut l’être l’écriture d’un article.
Nous pour­rions tout aus­si bien décou­vrir les livres sans épigraphe : le lien n’est pas de dépen­dance, il est affec­tif et pro­pose une piste séman­tique. Il vient en plus, de sur­croît. Pour mes livres, en tout cas, je ne ressens aucune des épigraphes comme con­sub­stantielle mais j’aime adress­er ces signes sur leur seuil.
Pierre Dhain­aut : La plu­part de tes livres vien­nent d’une frac­ture, d’une absence : Chemin des cen­tau­rées (2019) et En découdre (2021) s’adressaient à l’être aimé qui n’est plus là, voici Je souf­fle, et rien. où tu dia­logues avec ton père, nous t’y suiv­ons à par­tir d’un 9 sep­tem­bre, date de sa mort, jusqu’au print­emps de l’année suiv­ante. Il a, pour repren­dre une expres­sion de Roland Barthes, l’apparence d’un « jour­nal de deuil », au temps présent, mais quand l’as-tu écrit, immé­di­ate­ment ou beau­coup plus tard, pour lut­ter con­tre l’oubli, je cite encore Barthes, en érigeant un « mon­u­ment » ? (Le tombeau était jadis un genre poé­tique.) Voulais-tu, selon la for­mule con­sacrée, faire ton deuil ?
Isabelle Lévesque : Je suis née, je crois, avec la cer­ti­tude que quelque chose manque. Cela, je ne le déplore pas (j’écris). Je ne cherche pas à combler ce manque, je l’exprime. Il n’est pas vain – ni dans la vie ni dans les poèmes. Toutes sortes de choses me relient à ce manque, ce sont des sources inépuis­ables : plonger dans un champ de coqueli­cots, l’ivresse qui en résulte et me dit de recom­mencer… Écrire des poèmes occupe la même place : unique, cru­ciale. Et cela me sem­ble lié à la porosité. Tout m’atteint, me fait écrire. Cela sans borne, sans lim­ite. Avec la langue, c’est un com­bat, une immer­sion, un bon­heur. Je suis comme je vis en écrivant, sans les bar­rières que je m’impose dans la vie courante. 
Sans pro­tec­tion mais avec le poème comme flam­beau. On peut débor­der en écrivant. Sur ce ter­rain, tout se joue, peut com­mencer et recom­mencer. En se déplaçant légère­ment, en éprou­vant tou­jours, que le poème exprime une quête inex­tin­guible et le partage qui en résulte, avec ceux qui aiment la poésie et nous sont proches, apaise ou ent­hou­si­asme, les deux, ensem­ble, sûrement.
Ta rive incer­taine promise, tout ce qui
nous retient en un point de nuit, je l’invente.
Tu signes chaque page au lieu vivant du poème.
 Je l’écris pour toi, il existe. S’il se perd,
il reste ton sil­lage insoumis, la bar­que pleine
de naufragés. Tu l’occupes. 
Je suis avec les vivants comme avec les morts : cha­cun a sa place et l’espace du texte est suff­isam­ment poreux lui aus­si pour laiss­er entr­er qui se man­i­feste. Mon père y entre sou­vent, c’est un espace réservé en quelque sorte comme cer­tains de nos lieux d’enfance que je par­courais avec lui et où je le retrou­ve encore. Je m’adresse sou­vent à lui mais tu as rai­son, c’est la pre­mière fois qu’un livre lui est con­sacré. Avec lui, d’autres per­son­nes aimées entrent dans Je souf­fle, et rien. Mes enfants et ma mère en par­ti­c­uli­er. La famille y est présente dans le lieu fon­da­teur, Les Andelys (son fleuve, sa craie, un espace réel qui peut devenir sym­bol­ique). Fab­rice Rebey­rolle s’y est con­sacré dans ce livre en tra­vail­lant des lignes et des matières qui incar­nent simul­tané­ment lieux et êtres chers. Je ne crois pas  cepen­dant qu’il faille explor­er les aspects auto­bi­ographiques des poèmes. Seule compte l’appropriation du texte par le lecteur. Tout l’espace du poème lui est don­né dans l’espoir qu’il fasse siens les vers. L’écriture de Je souf­fle, et rien. est bien loin de l’événement selon le cal­en­dri­er. Ce n’est pas un tombeau avec ce que cela com­porte de défini­tif. Ici, main­tenant, rien n’est clos. Il existe une fron­tière sur laque­lle les vivants et les morts se touchent. D’ailleurs le Jour­nal de deuil de Roland Barthes est inachevé, tout comme le Tombeau d’Anatole de Stéphane Mallarmé.
Pierre Dhain­aut : Tes livres sont insé­para­bles de cer­tains lieux qu’ils évo­quent, qu’ils ne nom­ment pas for­cé­ment, Je souf­fle, et rien. se déroule aux Andelys. Dans une note à la fin d’Ossa­t­ure du silence (2012) déjà dédiée à tes par­ents et illus­trée par des encres de Claude Lévesque, tu avais dit : « L’écriture naît aux Andelys. » Le fleuve, la falaise, le château, cer­taines rues et cer­tains quartiers de la ville, tout est pré­cisé, pourquoi ? Un mot revient en per­ma­nence, « ici », quelle valeur a‑t-il ?
Isabelle Lévesque : Il est vrai que j’utilise peu de noms de lieux, mais que ce soit pour Les Andelys, ou pour la Bre­tagne par­fois, un nom s’impose. Ain­si, Meur­drac, nom de la rue où nous habi­tions avec ma famille. Peut-être les noms de lieu revi­en­nent-ils plus sou­vent lorsque l’enfance entre dans le poème. Les Andelys, c’est cela, un ter­ri­toire pré­cis qui a lais­sé des traces de cal­caire et d’eau douce mêlées. Ce sont des prom­e­nades et des passerelles entre des lieux dif­férents, la ville, le bord de Seine et les bois alen­tour. Et cer­tains noms cog­nent avec leurs sonorités : « Meur­drac », un tel nom, si on le décom­pose, force la mélan­col­ie et la rêver­ie pour s’extraire de périphéries restreintes, douloureuses ou auto­bi­ographiques. Com­ment brise-t-on le cadre d’un nom ter­ri­ble — d’un lieu ou du temps ? Com­ment ne pas écrire ?
Dans ma main, un trait de craie effacé
sur le bitume de Meur­drac. La pluie
lave le passé. Tu le prends,
c’est une fleur de cen­tau­rée. Je m’éloigne,
c’est toi qui restes. 
« Ici », cet adverbe que tu aimes aus­si, est au cœur de ce proces­sus. Il est très ouvert (j’avais don­né ce titre « Ici aux Andelys » à l’une des par­ties du livre que nous avons pub­lié ensem­ble à L’herbe qui trem­ble, La grande année). Cet adverbe tran­scende les références pré­cis­es à un lieu, il est fran­chisse­ment de l’impossible, exhor­ta­tion à la con­quête, une con­quête hum­ble, dirai-je, celle d’un affran­chisse­ment. Écrire, c’est être libre, déjà. Et on ne peut réduire ce mot à ces deux syl­labes – sans cesse il recom­mence, à rebours par­fois, se redéfinit. Naître est son principe.
Pierre Dhain­aut : Écrire, aller vont ensem­ble avec toi, mais marcher ne te suf­fit pas, tu cours, tu appa­rais à tra­vers Je souf­fle, et rien. sans cesse en mou­ve­ment. Mais ce qui me frappe, ce n’est pas tant l’intensité du livre, voire sa vio­lence, elle s’impose, que dans l’épilogue une tonal­ité dif­fi­cile à définir, renon­ce­ment ? apaise­ment ? Au terme de la si longue descente dans les ténèbres sur­git, comme dans les con­tes ini­ti­a­tiques, la fleur sub­lime qui est présente en cha­cun de tes livres, je relis le dis­tique qui occupe à lui seul la page ultime : « Alors fière je lève ce verre vide : // le coqueli­cot join­dra sa parure au vent. » De quoi es-tu « fière » ? :
Isabelle Lévesque : Je ne suis pas si fière en réal­ité, sim­ple­ment debout, face aux falais­es – tu sais qu’il faut si peu au coqueli­cot pour paraître, dans une faille parfois.
Aller, courir per­met de rester au plus près de ce qui manque – ce manque ontologique que j’ai évo­qué. Il s’agissait pour moi, avec ce livre peut-être, d’accepter d’être séparée car cette sépa­ra­tion insur­montable pose les retrou­vailles. J’écris pour renouer l’impossible à la réal­ité. Le per­du, une fois vécu comme tel, n’est pas sans per­spec­tive – le principe de trans­for­ma­tion lui donne une place nou­velle. Accepter le point final du titre après ce « rien » qui est défi­ni par le livre, c’est retrou­ver. Le lien par le poème, dans le poème ne peut être dis­sous. L’écriture et l’éternité sont vouées l’une à l’autre – je l’éprouve en écrivant comme en lisant les poètes.
L’écriture tend un fil entre des choses qui apparem­ment s’excluent, c’est sa manière de vivre les fron­tières. On peut se sou­venir de Beck­ett dans L’innommable qui affirme : « [I]l faut con­tin­uer, je ne peux pas con­tin­uer, il faut con­tin­uer, je vais donc con­tin­uer, il faut dire des mots tant qu’il y en a, jusqu’à ce qu’ils me trou­vent, jusqu’à ce qu’ils me dis­ent […] » On peut lire la fin du poème comme un défi même si le verre est vide. Place alors pour le coqueli­cot frag­ile qui déploie cette fragilité (l’assume).
Pierre Dhain­aut : La phrase qui sert de titre au livre a un car­ac­tère implaca­ble que nous ne pou­vons oubli­er (elle fig­ur­era encore deux fois dans le texte) puisqu’elle asso­cie phoné­tique­ment le souf­fle de la vie et de la poésie à la souf­france, et comme si l’évidence du « rien » ne suff­i­sait pas tu ajoutes au titre même, à la manière des imprimeurs d’autrefois, le point décidé­ment final, fatal. Com­ment con­cilies-tu la phrase qui désigne ton livre et celle par laque­lle il ne veut pas se fermer ?
Isabelle Lévesque : Il faut dire que faisant rimer « final » et « fatal », tu ren­con­tres une part vive encore en moi de fureur et de feu. Si tout brûle, que cela soit total et défini­tif car alors tout est pur. Recom­mencer devient néces­saire et pos­si­ble. J’aime cet absolu. Je souf­fle, et rien. sonne ain­si. Père envolé, dis­paru. Il est entré dans le poème. Dans l’essor du poème, il devient, il n’est pas enfer­mé puisque tout bouge : le lecteur fera le chemin jusqu’au cœur du poème. Cha­cun insuf­flera sa vie. Le défi mod­este de la fin, c’est bien sûr le poème. Cela ne me con­sole pas, je ne le souhaite pas. Et cela rejoint aus­si ce que j’exprime à ce pro­pos dans les ques­tions qui précè­dent. « Rien », c’est quelque chose – défi­ni par le livre.
Pierre Dhain­aut : Un livre d’une telle ampleur a dû être élaboré ou pour mieux dire porté au cours de nom­breuses années. Tu n’indiques jamais les dates d’écriture, mais tu as pub­lié en revues plusieurs extraits, cer­tains depuis longtemps. As-tu procédé par à‑coups ou de façon con­tin­ue ? As-tu mul­ti­plié les frag­ments avant de les repren­dre ? Tes livres sont bien des livres, non de sim­ples recueils, com­ment travailles-tu ?
Isabelle Lévesque : J’écris les poèmes en con­tinu, sans d’abord penser à un livre à venir. Cela est vrai pour cha­cun des livres pub­liés jusqu’à aujourd’hui. Quand je décide d’en con­stituer un, je le fais en prél­e­vant dans un ensem­ble de textes écrits sur une même péri­ode le plus sou­vent. Alors je con­stru­is. Les poèmes ou frag­ments d’abord placés dans l’ordre chronologique d’écriture pour­ront être déplacés, coupés, trans­for­més. C’est un tra­vail com­plexe et déli­cat. Les textes ne sont pas datés parce qu’ils doivent con­stituer un con­tin­u­um, un seul poème. C’est un flux inin­ter­rompu, comme dans un roman. Peu importe que cer­tains textes qui se joux­tent n’aient pas été écrits en même temps, ce qui compte, c’est le fil suivi par le livre.

Pierre Dhain­aut : De plus en plus tu col­la­bores avec tes amis pein­tres soit pour des livres ou des man­u­scrits d’artiste, soit pour des édi­tions courantes, Jean-Gilles Badaire, Chris­t­ian Gar­dair, Marie Alloy, Car­o­line François-Rubi­no… De nou­veau Fab­rice Rebey­rolle t’accompagne, il t’a don­né neuf mag­nifiques vues de la falaise au gré des heures et des saisons. Quel rôle désir­ais-tu qu’il joue à tes côtés ? Quand tu écris, pens­es-tu à des images peintes ?
Isabelle Lévesque : Je ne pense à des images peintes que lorsque je me laisse inspir­er par elles pour cer­tains pro­jets dans lesquels les œuvres exis­tent avant mon écri­t­ure comme, récem­ment, des chemins de Car­o­line François-Rubi­no ou des femmes voilées de Fab­rice Rebeyrolle.
J’aime ces ren­con­tres avec les pein­tres et, quand j’ai com­mencé à pub­li­er mes poèmes, j’y aspi­rais. Je rêvais, par exem­ple, d’un livre avec Chris­t­ian Gar­dair dont j’avais décou­vert les œuvres sur inter­net (sur le site de Jean-Michel Maulpoix). La ren­con­tre s’est faite et s’est con­crétisée avec Nous le temps l’oubli et une expo­si­tion dans une galerie parisi­enne. De même, pour Fab­rice Rebey­rolle, j’ai aimé ses œuvres et l’ai con­tac­té en lui adres­sant des poèmes. Nous tra­vail­lons sur un pro­jet lié aux fleurs pour une expo­si­tion prévue en 2022. Ce sont des pro­jets ent­hou­si­as­mants et j’aime porter un livre avec un artiste qui fait une lec­ture par­ti­c­ulière (jamais lit­térale) des poèmes. Je con­nais­sais un petit peu Marie Alloy lorsque je lui ai pro­posé de tra­vailler sur Le fil de givre, pub­lié par Alain Gorius (Al Man­ar) et nous avons con­tin­ué à tra­vailler ensem­ble pour un livre d’hommage au poète Jean-Philippe Sal­abreuil, Ni loin ni plus jamais, pub­lié par Le silence qui roule. J’ai aus­si eu la chance de par­ticiper avec ces artistes à plusieurs livres orig­in­aux pub­liés à très peu d’exemplaires, un exem­plaire unique par­fois avec Fab­rice Rebeyrolle.
Pierre Dhain­aut : J’entends tes poèmes, ce sont des com­po­si­tions musi­cales. Tu choi­sis les mots en fonc­tion de leurs pou­voirs sonores, les vers s’imposent par leur rythme, élans, rup­tures et repris­es, tu bâtis des ensem­bles puis­sants et pré­caires, mobiles, et le silence importe. Je le sais pour t’avoir écoutée, tu aimes lire à haute voix. Or, à ma con­nais­sance, tu ne te réfères jamais aux musi­ciens. Y en a‑t-il qui te sont néces­saires au point de t’inspirer ?
Isabelle Lévesque : La portée sonore du poème est essen­tielle. Les mots sur­gis­sent, je crois, au gré de leur portée onirique et de leur capac­ité ryth­mique. Je dis, j’articule les mots à voix haute lorsque je com­pose un livre et je les entends lorsque j’écris. Le poème est une par­ti­tion : on peut chanter, cess­er de le faire, enten­dre le heurt des con­sonnes et les silences en écrivant. J’y suis sen­si­ble pour écrire et pour lire.
Je change je chante j’emporte
les mots vivants qui tremblent
à la sur­face du poème 
inven­té par le fleuve, tou­jours même. 
Mais je ne puis dire que cer­tains musi­ciens m’inspirent pour écrire – ce qui est le cas pour les pein­tres. Cela va ensem­ble, la musique et le poème. Dans mes poèmes, je ne me réfère effec­tive­ment pas à des musi­ciens, ni même à des poètes (en dehors des épigraphes, je n’utilise pas de citations).
Dans la vie, j’aime les ritour­nelles, les refrains des chan­sons pop­u­laires : je chante sou­vent en marchant, en con­duisant et je crois que ce fond sonore avec lequel je vis n’est pas indis­so­cia­ble du poème.
Pour la musique clas­sique ou le jazz, j’en écoute par­fois aus­si, en par­ti­c­uli­er quand j’écris un arti­cle sur un livre dans lequel l’auteur évoque un morceau. J’ai ain­si écouté par exem­ple le Win­ter­reise de Schu­bert avec Véronique Wau­thi­er (Tra­ver­so – L’herbe qui trem­ble, 2019), les Leçons de ténèbres de Guil­laume de Machaut avec Véronique Daine (Extrac­tion de la peur – L’herbe qui trem­ble, 2016), des œuvres de Giac­in­to Scel­si avec Pierre Chap­puis (Dans la lumière sourde de ce jardin – Cor­ti, 2016) ou  encore des chan­sons de Bil­lie Hol­i­day avec Emmanuel Laugi­er (ltmw – Nous, 2013). Tu vois, c’est var­ié et par­fois sur­prenant pour moi. Tu m’as aus­si toi-même récem­ment incitée à écouter les Con­certs bran­de­bour­geois de Jean-Sébastien Bach.
Si ton instru­ment préféré est la flûte, pour moi c’est le vio­lon­celle, si proche de la voix humaine. J’aime d’ailleurs beau­coup les suites pour vio­lon­celle seul de Jean-Sébastien Bach. J’ai enten­du Fab­rice Rebey­rolle en jouer une, c’est un excel­lent musicien.
Pierre Dhain­aut : Toi qui as pré­paré tant d’entretiens avec des poètes et des pein­tres, acceptes-tu volon­tiers de répon­dre à des ques­tions ? Il doit bien y en avoir une que tu aurais souhaité que je te pose, que j’ai oubliée ?
Isabelle Lévesque : Je l’ai fait volon­tiers, plusieurs fois déjà, en répon­dant aux ques­tions de Sabine Dewulf ou Guil­laume Richez. Avec plaisir à chaque fois. J’ai tou­jours envie que l’on m’interroge sur les poèmes des autres, que cette part ne soit pas oubliée. Il me plaît d’hésiter entre Thier­ry Metz, Eric Sautou et Car­o­line Sagot Duvau­roux. J’aime lire les poèmes, tu le sais, et je garde un sou­venir très vif de la lec­ture à voix haute à Bor­deaux, Toulouse ou Charleville-Méz­ières. Lire les poèmes de Thier­ry Metz dans les années 2010 m’a don­né le goût de lire mes pro­pres poèmes.

Présentation de l’auteur

Isabelle Lévesque

 Isabelle Lévesque  a pub­lié en 2011 Or et le jour  (antholo­gie Triages, Tara­buste), Ultime Amer  (Rafael de Sur­tis), Terre ! (éd. de l’Atlantique), Trop l’hiver (Encres vives).

Elle a fait paraître en 2012 : Ossa­t­ure du silence (Les Deux-Siciles), en 2013 : Un peu de ciel ou de matin (Les Deux-Siciles), Va-tout (Éd. des Van­neaux) et Ravin des nuits que tout bous­cule (Éd. Hen­ry). En 2013 égale­ment un livre d’artiste en français et en ital­ien a été édité : Neve, pho­togra­phies de Raf­faele Bon­uo­mo, tra­duc­tion de Mar­co Rota (Edi­zioni Quaderni di Orfeo).  En 2015 : Tes bras seront (poèmes traduits en ital­ien par Mar­co Rota – Edi­zioni Il ragaz­zo innocuo, coll. Scrip­sit Sculp­sit) et Nous le temps l’oubli (Éd. L’herbe qui tremble).

Voltige ! (Éd. L’herbe qui trem­ble) est paru en avril 2017.

Isabelle Lévesque écrit des arti­cles pour plusieurs revues : La Nou­velle Quin­zaine Lit­téraire, Europe, Ter­res de Femmes, Recours au Poème, Terre à ciel, Diérèse, Poezibao …

Isabelle Lévesque

Bibliographie

Isabelle Lévesque  a pub­lié en 2011 Or et le jour  (antholo­gie Triages, Tara­buste), Ultime Amer  (Rafael de Sur­tis), Terre ! (éd. de l’Atlantique), Trop l’hiver (Encres vives).

Elle a fait paraître en 2012 : Ossa­t­ure du silence (Les Deux-Siciles), en 2013 : Un peu de ciel ou de matin (Les Deux-Siciles), Va-tout (Éd. des Van­neaux) et Ravin des nuits que tout bous­cule (Éd. Hen­ry). En 2013 égale­ment un livre d’artiste en français et en ital­ien a été édité : Neve, pho­togra­phies de Raf­faele Bon­uo­mo, tra­duc­tion de Mar­co Rota (Edi­zioni Quaderni di Orfeo).  En 2015 : Tes bras seront (poèmes traduits en ital­ien par Mar­co Rota – Edi­zioni Il ragaz­zo innocuo, coll. Scrip­sit Sculpsit)

Sont parus à L’herbe qui trem­ble : Nous le temps l’oubli (2015), Voltige ! prix inter­na­tion­al de Poésie fran­coph­o­ne Yvan-Goll 2018 (2017), et La grande année, avec Pierre Dhain­aut (2018), Chemin des cen­tau­rées (2019), En découdre (2021) et Je souf­fle, et rien. (2022).

En 2022, les édi­tions Mains-Soleil ont pub­lié Elles, de Fab­rice Rebey­rolle et Isabelle Lévesque.

Isabelle Lévesque écrit des arti­cles pour plusieurs revues : Quin­zaines / La Nou­velle Quin­zaine Lit­téraire, Europe, Ter­res de Femmes, Recours au Poème, Terre à ciel, Diérèse, Poezibao …

Sur inter­net :

https://lherbequitremble.fr/auteurs/isabelle-levesque.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_L%C3%A9vesque

https://www.nouvelle-quinzaine-litteraire.fr/articles-par-critique/isabelle-levesque

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Pierre Dhainaut

Pierre Dhain­aut est né à Lille en 1935. Avec Jacque­line, ren­con­trée en 1956, il vit à Dunkerque (où s’effectuera toute sa car­rière de pro­fesseur). Après avoir été influ­encé par le sur­réal­isme (il ren­dit vis­ite à André Bre­ton en 1959), il pub­lie son pre­mier livre, Le Poème com­mencé (Mer­cure de France), en 1969. Ren­con­tres déter­mi­nantes par­mi ses aînés : Jean Mal­rieu dont il édit­era et pré­fac­era l’œuvre, Bernard Noël, Octavio Paz, Jean-Claude Renard et Yves Bon­nefoy aux­quels il con­sacr­era plusieurs études. Déter­mi­nante égale­ment, la fréquen­ta­tion de cer­tains lieux : après les plages de la mer du Nord, le mas­sif de la Char­treuse et l’Aubrac. Une antholo­gie retrace les dif­férentes étapes de son évo­lu­tion jusqu’au début des années qua­tre-vingt dix : Dans la lumière inachevée (Mer­cure de France, 1996). Ont paru ensuite, entre autres : Intro­duc­tion au large (Arfuyen, 2001), Entrées en échanges (Arfuyen, 2005), Pluriel d’alliance (L’Arrière-Pays, 2005), Lev­ées d’empreintes (Arfuyen, 2008), Sur le vif prodigue (Édi­tions des van­neaux, 2008), Plus loin dans l’inachevé (Arfuyen, 2010, Prix de lit­téra­ture fran­coph­o­ne Jean Arp) et Voca­tion de l’esquisse (La Dame d’Onze Heures, 2011). Ces recueils pour la plu­part sont dédiés aux petits-enfants. Plus récem­ment encore : une auto­bi­ographique cri­tique, La parole qui vient en nos paroles (édi­tions L’Herbe qui trem­ble, 2013) et Rudi­ments de lumière (Arfuyen, 2013). Il ne sépare jamais de l’écriture des poèmes l’activité cri­tique sous la forme d’articles ou de notes : Au-dehors, le secret (Voix d’encre, 2005) et Dans la main du poème (Écrits du Nord, 2007). Nom­breuses col­lab­o­ra­tions avec des graveurs ou des pein­tres pour des livres d’artiste ou des man­u­scrits illus­trés, notam­ment Marie Alloy, Jacques Clauzel, Gre­go­ry Masurovsky, Yves Pic­quet, Isabelle Ravi­o­lo, Nico­las Rozi­er, Jean-Pierre Thomas, Youl… À con­sul­ter : la mono­gra­phie de Sabine Dewulf (Présence de la poésie, Édi­tions des van­neaux, 2008) et le numéro 45 de la revue Nu(e) pré­paré par Judith Cha­vanne en 2010.
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