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Agencement du Désert – Quand le feu irascible se dompte dans la forme

La poétesse Carole Mesrobian appartient à cette catégorie des « Voleurs de Feu » chez qui tout devenir poétique se fait traversée de l'âme et du réel. Agencement du Désert, publié chez Z4 éditions, est de ces pépites dans lesquelles le récit, apparemment purement biographique, devient ce que Victor Hugo nommait « mémoires d'une âme ».

Une âme qui advient, de par son long cheminement dans le « Désert » du rapport au monde, par la transfiguration de l'imagination. Son éveil à la couleur, par exemple, a été inspiré par la chevelure de la femme qui s'occupait d'elle, et dont Carole Mesrobian fait l'hypothèse suivante : « Peut-être qu'aimer les couleurs vient de cette chevelure avortée là. Ces toiles de Moreau, je lui dois assurément de les regarder ». Nous retrouvons de même, éparses dans le livre, de fascinantes analyses sur l'Art perçu comme « un corps qui respire et qui vit. Il inspire et expire, et chaque mouvement est la suite d'une autre (…) surdéterminée ». Il en est de même de l'acte d'écrire, expression de l'incommunicable, dans lequel « le faire le feu tout jouxte la forêt mais ne la raconte pas. » En tant que poétesse, elle a conscience que ce « que nous faisons c'est juste offrir un lieu, une terre à jamais inexplorée toujours ouverte dans un accueil polysémique et transcendant. » Dès lors, l'acte poétique, pure énergie créatrice, se dévoile dans « cette certitude que rien n'est rien où tout se confond avec l'absolue immanence des anéantissements. »

Divisée en quatre chapitres, Agencement du désertest une épopée de l'intériorité qui nous propose d'en suivre le magistral corps à corps avec la vie, le corps et les œuvres qui l'ont nourrie.

Carole Mesrobian, Agencement du désert, Z4 éditions, collection La diagonale de l'écrivain, préface de Tristan Félix, encre de Davide Napoli, 2020, 130 pages, 11 euros.

Carole Mesrobian y révèle sa passion pour les créateurs du XIXesiècle chez qui l'imaginaire et la mythologie nous disent tant sur les profondeurs de l'esprit. Au siècle suivant, l'immense Henri Michaux y est celui qui invoque « la puissance incantatoire du cri, dans tous les mots de tous ses poèmes, dans toutes les pages de tous ses livres. »

Le va-et-vient entre les œuvres et la vie exprime puissamment le lien entre le choc reçu du réel et celui de la création. Dans le chapitre II est ainsi – entre autres, bien sûr, cette évocation ne se veut jamais exhaustive – mise en mots l'expérience atroce de sa mère, porteuse d'un bébé mort-né dont l'odeur de cadavre traverse son ventre. Le contraste avec le chapitre III est de ce point de vue saisissant ! Il s'y exprime l'exaltation ressentie au contact de la littérature, notamment dans ce qu'elle révèle de nécessité et de possibilité de libération. Carole Mesrobian le dit, c'est avec « l'Anti-Œdipe que l'acte d'écrire » lui est « apparu dans son entière évidence » même si elle a conscience qu'écrire, c'est « poursuivre la Littérature en sachant que je ne pourrais jamais la rattraper ». L'étonnement du lecteur – donc, son incessant bonheur de lecture – est bientôt poursuivi par la longue et vivante analyse des épigraphes de Stendhal.

Le chapitre IV clôt poétiquement, en vers, cet Agencement pour vaincre, en le vivant, le « sud asséché par la soif et vicié par le bruit », et pour exorciser le « venin calcifié par le sel ». Rythmiques, images, sonorités s'entrechoquent pour faire surgir le ressenti des profondeurs, ce face à face vécu avec le réel et la vie.

Le lecteur de l'Agencement du désert poursuit intérieurement, une fois le livre refermé, ce qui en a fait une expérience intime et unique de lecture.

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