Nous oscil­lons entre joie et peine, songe et réal­ité, vie et mort aus­si quelque­fois. Ce recueil est un appel au partage dans le réel du monde extérieur par­fois ten­du vers l’enfance comme un dernier rem­part, une dernière manière de sup­port­er le présent. Cepen­dant, très peu de choses suff­isent pour nous ren­dre à notre plaisir d’exister et à nous relancer tou­jours plus loin que nous. Toute lumière est si proche de nous à qui sait regarder. Au tra­vers de l’inventaire du pour et du con­tre, Philippe Mathy tisse une con­di­tion de vie :

Le sen­tier sur lequel je m’avance va, tortueux, indif­férent, comme si son seul souci était d’arriver à sa fin. 
le quit­ter, au risque de me déchir­er aux ronces.

Philippe MATHY, Veilleur d’instants, Pein­tures de Pas­cale Nectoux, 
Edi­tions L’herbe qui trem­ble, 144 pages, 16 € ; 
ce recueil a été couron­né par le prix Mal­lar­mé 2017

Analyse de toutes les répons­es pos­si­bles à la vie, la poésie de Philippe Mathy est sans fin, elle nous échappe tou­jours comme la vie. Je la com­par­erai à un éclat bref de lumière qui ne cesse même dis­paru de con­tin­uer à nous éclair­er et que nous recher­chons en vain dans sa matéri­al­ité. Poésie déroutante car son excès de « sim­plic­ité » fait exis­ter nos sens et nos réflex­ions à une telle dimen­sion que nous nous y per­dons. Nous tombons dans l’éternité. Sur­prenant les dédi­caces ain­si que le nom­bre d’auteurs mis en exer­gue comme si Philippe Mathy voulait rassem­bler un nom­bre de per­son­nes, d’autres Veilleurs d’instants. Beau titre qui nous livre des échap­pées comme un oubli de soi bref et répéti­tif. La Loire y est prise comme maître d’œuvre, tous nos sens con­cen­trés s’ordonnent au rythme et au mou­ve­ment de cette nature quelque­fois per­son­nal­isée. Ne soyons pas dupes, ce ne sont que les points de départ d’une réflex­ion ou d’une approche méta­physique qui nous revoient à un au-delà et à la présence des autres. Cette volon­té de faire cohab­iter les con­traires don­nent de très belles images qui sont le reflet du réel pro­pre à cha­cun d’entre nous. Ce sont des signes qui don­nent à inter­pré­ta­tion par­mi les élé­ments de la nature qui se répon­dent même dans leur éloigne­ment : Un oiseau a lancé son chant // petite pierre pour les ric­o­chets. Cet appel vers la beauté de la vie sans con­ces­sion éclaire le sol un instant puis nous y rep­longe : Sur le tapis de l’herbe, // Je demeure assis, // ne sachant com­ment // sur­vivre à mes rêves. Les mots restent aus­si impuis­sants lorsque sor­tis de nous ils abor­dent le monde et nous déçoivent, fanés. L’auteur s’aperçoit que si cette nature donne, elle n’est rien sans notre volon­té de col­la­bor­er : Au fond de nous des chemins. Il faut les pren­dre par la main, là où le vent rêve encore d’horizons ram­i­fiés.                                                                                                                                                          

 Les pein­tures de Pas­cale Nec­toux nous lais­sent des lignes comme celles de la main qui nous par­lent et se taisent à la fois par leurs ram­i­fi­ca­tions. Couleurs par­fois vives qui devi­en­nent éclats ou au con­traire se libèrent dans la sobriété et le repos. Tout un paysage se dévoile vu de loin dans la fraîcheur de ses interrogations.

Le ruis­seau chante
sur les pierres
qui pourraient
le blesser

Où va la vie qui va
si vite
si belle
si cruelle ?

 

Ici aus­si, la fraîcheur d’une évi­dence raison­née par­court chaque poème. Tout est signe et nous fait signe dans la sobriété de l’instant et l’absence de naïveté. La pro­fondeur y a une légèreté et une sou­p­lesse qui font de chaque poème une accep­ta­tion. Ce monde extrême­ment sen­si­ble y est rond de sa présence, des échos qui se réper­cu­tent et assurent l’unité d’un vécu sim­ple et prenant. L’heure est à une har­monie dif­fuse. Chemin ini­ti­a­tique, Philippe Mathy nous con­duit vers une beauté de plus en plus réservée écoutant le plein de la vie. Le mot s’efface devant la chose, tous deux se libèrent pour laiss­er leur présence seule briller. Le monde vrai se super­pose à un monde de rêve éveil­lé où le corps trou­ve encore l’espace pour s’épanouir et vibr­er au milieu d’un monde immé­di­at. Recueil d’une pro­fonde sen­si­bil­ité, l’auteur ne verse jamais dans le lyrisme, tout y est mesuré avec maîtrise et une grande justesse de ton, la même tout au long du recueil. Veilleur d’instants, un de nos plus beaux métiers d’être humain.

Présentation de l’auteur

image_pdfimage_print
mm

Jean-Marie Corbusier

Jean-Marie Cor­busier se con­sacre à l’écriture et à la musique. Pro­fesseur de français, il se pas­sionne pour la lin­guis­tique et l’étude de la struc­ture des langues au par­ler rare et très dif­férent. Il a pub­lié presque une ving­taine de fois des recueils de poésies, prin­ci­pale­ment aux édi­tions du Tail­lis Pré. Il est aus­si chroniqueur pour dif­férentes revues dont le Jour­nal des poètes. Dernières pub­li­ca­tions aux Edi­tions  Le Tail­lis Pré (Châte­lin­eau) : Une neige peinte de pas (2011), Dans le jour soulevé (2013), La lampe d’hiver (2015), Le livre des oub­lis et des veilles (2017) , L’air, pierre à pierre (2018). La poésie met la langue dans un état cri­tique, elle est une source de pen­sées qui va par et pour elle-même dans une lec­ture où cha­cun l’invente, cette part indi­vidu­elle est la force du poème, son degré de vérité.