Un poema siempre debiera tener pájaros
Dans un poème il devrait toujours y avoir des oiseaux
Mary Oliver
Largement reconnue en Amérique latine, Elvira Hernández (nom de plume de Rosa María Teresa Adriasola Olave) s’est vu décerner dans son pays, le Chili, le Prix national de poésie 2024. C’est la deuxième poète à recevoir ce couronnement, après Gabriela Mistral en 1951.
Née en 1951 à Lebú (province d’Arauco) dans le sud du Chili, Elvira Hernández a une trajectoire poétique qui remonte aux années de la Dictature. Son écriture est traversée de courants contraires : l’un, effréné, est le fruit d’un arpentage lucide et têtu qui fait émerger des décombres la mémoire de Santiago, sous les feux de la répression ou de la révolte ; l’autre, plus apaisé, est marqué par la concision et une attention méditative aux menus détails du quotidien. Dans les deux cas, son style malmène et déplace subtilement les images rebattues du discours politique, médiatique ou commercial. Ce qui frappe et touche dans cette écriture est le mélange de légèreté et de précision, toujours au service d’un regard acerbe sur les dérives du monde actuel.
Son recueil le plus célèbre, La bandera de Chile, est une variation caustique autour du drapeau et des symboles nationaux. Inaugurant le pseudonyme de la poète après sa détention en 1979, il a longtemps circulé en version miméographiée pendant les années de plomb.

Elvira Hernandez, Tout ce qui vole n’est pas oiseau, poèmes choisis et traduits de l’espagnol (Chili) par Stéphanie Decante, avec une gravure de Guadalupe Santa Cruz, PO&PSY princeps, octobre 2025, 88 pages, 15 €.
En 1992 paraît au Chili Santiago Waria, un abécédaire de la capitale, sous un titre qui dialogue avec le mapundungun, langue des Indiens du sud du Chili.
Dans Pájaros desde mi ventana (2018), Elvira Hernández déploie une minutieuse observation des oiseaux à travers le prisme de la fenêtre, espace à la fois ouvert et limité, qui cadre notre regard sur le monde. Dans cette méditation poétique sur la fragilité de la nature et de l’existence, se mêlent l’intime et le politique, le microcosme du jardin et les enjeux écologiques globaux, ainsi que des variations autour de la voix, du chant et de la matérialité des noms d’oiseaux.
Nombre de ses ouvrages ont été publiés en Argentine, en Colombie, au Pérou et au Mexique. En 2016, paraît en Espagne, aux Éditions Lumen, Los trabajos y los días qui regroupe trente-cinq années de trajectoire poétique, donnant à apprécier ses différentes inflexions.
Parallèlement à ses écrits poétiques, Elvira Hernández a développé une pratique de livres-objets (fascicules sous enveloppe kraft, faux journaux littéraires facsimilés, boîte de jeu de cartes contenant des poèmes, catalogue d’exposition) et d’essais, essentiellement sur des poètes de la néo-avant-garde chilienne (Enrique Lihn, Rodrigo Lira et Juan Luis Martínez).
Elle a été invitée à la 7ème Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne en octobre 2003. Un hommage lui a été rendu en 2023 à la Villa Gillet. Sa poésie figure dans les archives du Centre International de la Poésie de Marseille (http://www.cipmarseille.fr/auteurs/1056 ).
Elvira Hernández sera l’invitée d’honneur du colloque inter-universitaire et international en hommage à Gabriela Mistral (Prix Nobel 1945) qui se tiendra à Paris les 20 et 21 novembre 2025. Dans ce cadre, trois soirées de lecture sont prévues fin novembre 2025 : Ambassade du Chili, Maison de l’Amérique latine, Université Paris Sorbonne ; et une à Arles (librairie l’Archa des Carmes) le 18 novembre.
∗∗∗
Extraits
VILLA BRASILIA
Son muchos los años de la defunción
de este paraíso de pájaros
Volaron junto a ellos
los mil y un árboles distintos
que le daban vida.
Le sucede en el tiempo
un bosque habitacional sin gorjeos
una trápala fónica mecánica
un frontis vehicular
baldosas removidas por raíces ocultas
sobrevuelo de aves en desbandada
un árbol solitario que perdió su nombre.
VILLA BRASILIA
Il remonte à loin le trépas
de ce paradis d’oiseaux.
Avec eux se sont envolés
les mille et un arbres
qui lui donnaient vie.
Lui ont succédé avec le temps
une forêt immobilière sans gazouillis
un caquetage cacophonique mécanique
une barrière véhiculaire
pavés soulevés par des racines ensevelies
survol de volatiles à la débandade
un arbre solitaire qui a perdu son nom.
∗∗∗
UN LARGO Y ARDIENTE VERANO
Los bosques han sido talados.
Las plantaciones chisporrotean.
Es el turno de los pinares
eucaliptos en llamas
velas que derriten su Merry Christmas.
Los camiones aljibes van
por la ruta de la alerta amarilla.
Los pájaros vienen del sur
con la alerta roja entre los dientes.
UN LONG ÉTÉ ARDENT
Les bois ont été décimés.
Les futaies grésillent.
C’est le tour des pinèdes
eucalyptus en flammes
bougies dégoulinant leur Merry Christmas.
Les camions citernes défilent
sur la route de l’alerte jaune.
Les oiseaux viennent du sud
l’alerte rouge entre les dents.
∗∗∗
EN LOS BAJÍOS
En un pie
la garza
sostiene la tarde.
SUR LES HAUTS-FONDS
Sur un pied
le héron
soutient le soir.
∗∗∗
ORNITOLOGÍA
No hay tiempo para pensar
en la plumífera que llegaré a ser.
El tiempo es bocado que no se logra
saborear. Es él quien te masca.
Ayer se me cayeron unas cuantas plumas
y unos cuantos dientes.
Mañana seré desplumada.
Si pudiera yo misma
arrancaría el desvanecido plumaje de mí.
Sólo entonces estaría siguiendo
el ejemplar camino del águila.
ORNITHOLOGIE
Pas le temps de penser
à la plumitive que je deviendrai.
Le temps est une bouchée qu’on n’arrive pas
à savourer. C’est lui qui te mâche.
Hier j’ai perdu quantité de plumes
et pas mal de dents.
Demain je serai déplumée.
Si je le pouvais
j’arracherais ce qui me reste de plumage.
Et alors seulement je suivrais
l’exemplaire chemin de l’aigle.
∗∗∗
DE UN ALA
Así me sacaron.
Así me fui caminando.
Así golpeé puertas y
oídos.
Así paré en seco
y me di un palmazo
en la frente
y volví a la carga.
EN ME PRENANT PAR L’AILE
Ils m’ont expulsée.
Alors j’ai poursuivi mon chemin.
Alors j’ai toqué à des portes et
à des oreilles.
Alors je me suis arrêtée net
et me suis frappé
le front
et je suis repartie à la charge.
∗∗∗
HABÍA COSAS QUE NOS GUSTABAN
Salíamos de casa al golpear el viento.
Rompía a llover.
Éramos como hojas
arrancadas de árboles mayores.
Otro destino parecía
nos daba la mano.
Por las calles corríamos
planeando en danza propia.
Me sentía bajo el cielo
empapada
plena
mojada como un pitío.
CES CHOSES QUI NOUS PLAISAIENT
Nous sortions de la maison quand le vent frappait.
L’averse éclatait.
Nous étions comme des feuilles
arrachées à de grands arbres.
Un autre destin semblait-il
nous tendait la main.
Dans les rues nous courrions
esquissant notre propre danse.
Je me sentais sous le ciel
mouillée
comblée
trempée comme un pinson.
∗∗∗
AGREGAR ALGO MÁS AL PAISAJE
DE YOSA BUSON
están las grullas
el estanque
los juncos
el rocío
agregar las partículas atómicas
fisionadas.
AJOUTER QUELQUE CHOSE AU PAYSAGE
DE YOSA BUSON
les grues
l’étang
les joncs
la rosée y sont
ajouter les particules atomiques
en fission.
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