Les Bonnes Feuilles de PO&PSY Elvira Hernández, Tout ce qui vole n’est pas oiseau

Par |2025-09-06T11:33:17+02:00 3 septembre 2025|Catégories : Elvira Hernández, Essais & Chroniques|

Un poe­ma siem­pre debiera ten­er pájaros
Dans un poème il devrait tou­jours y avoir des oiseaux

                                                                                    Mary Oliv­er

Large­ment recon­nue en Amérique latine, Elvi­ra Hernán­dez (nom de plume de Rosa María Tere­sa Adri­a­so­la Olave) s’est vu décern­er dans son pays, le Chili, le Prix nation­al de poésie 2024. C’est la deux­ième poète à recevoir ce couron­nement, après Gabriela Mis­tral en 1951.

Née en 1951 à Lebú (province d’Arauco) dans le sud du Chili, Elvi­ra Hernán­dez a une tra­jec­toire poé­tique qui remonte aux années de la Dic­tature. Son écri­t­ure est tra­ver­sée de courants con­traires : l’un, effréné, est le fruit d’un arpen­t­age lucide et têtu qui fait émerg­er des décom­bres la mémoire de San­ti­a­go, sous les feux de la répres­sion ou de la révolte ; l’autre, plus apaisé, est mar­qué par la con­ci­sion et une atten­tion médi­ta­tive aux menus détails du quo­ti­di­en. Dans les deux cas, son style malmène et déplace sub­tile­ment les images rebattues du dis­cours poli­tique, médi­a­tique ou com­mer­cial. Ce qui frappe et touche dans cette écri­t­ure est le mélange de légèreté et de pré­ci­sion, tou­jours au ser­vice d’un regard acerbe sur les dérives du monde actuel.

Son recueil le plus célèbre, La ban­dera de Chile, est une vari­a­tion caus­tique autour du dra­peau et des sym­bol­es nationaux. Inau­gu­rant le pseu­do­nyme de la poète après sa déten­tion en 1979, il a longtemps cir­culé en ver­sion miméo­graphiée pen­dant les années de plomb.

Elvi­ra Her­nan­dez, Tout ce qui vole n’est pas oiseau, poèmes choi­sis et traduits de l’es­pag­nol (Chili) par Stéphanie Decante, avec une gravure de Guadalupe San­ta Cruz, PO&PSY prin­ceps, octo­bre 2025, 88 pages, 15 €.

En 1992 paraît au Chili San­ti­a­go Waria, un abécé­daire de la cap­i­tale, sous un titre qui dia­logue avec le mapun­dun­gun, langue des Indi­ens du sud du Chili.

Dans Pájaros des­de mi ven­tana (2018), Elvi­ra Hernán­dez déploie une minu­tieuse obser­va­tion des oiseaux à tra­vers le prisme de la fenêtre, espace à la fois ouvert et lim­ité, qui cadre notre regard sur le monde. Dans cette médi­ta­tion poé­tique sur la fragilité de la nature et de l’existence, se mêlent l’intime et le poli­tique, le micro­cosme du jardin et les enjeux écologiques globaux, ain­si que des vari­a­tions autour de la voix, du chant et de la matéri­al­ité des noms d’oiseaux.

Nom­bre de ses ouvrages ont été pub­liés en Argen­tine, en Colom­bie, au Pérou et au Mex­ique. En 2016, paraît en Espagne, aux Édi­tions Lumen, Los tra­ba­jos y los días qui regroupe trente-cinq années de tra­jec­toire poé­tique, don­nant à appréci­er ses dif­férentes inflexions.

Par­al­lèle­ment à ses écrits poé­tiques, Elvi­ra Hernán­dez a dévelop­pé une pra­tique de livres-objets (fas­ci­cules sous enveloppe kraft, faux jour­naux lit­téraires fac­sim­ilés, boîte de jeu de cartes con­tenant des poèmes, cat­a­logue d’exposition) et d’essais, essen­tielle­ment sur des poètes de la néo-avant-garde chili­enne (Enrique Lihn, Rodri­go Lira et Juan Luis Martínez).

Elle a été invitée à la 7ème Bien­nale Inter­na­tionale des Poètes en Val-de-Marne en octo­bre 2003. Un hom­mage lui a été ren­du en 2023 à la Vil­la Gillet. Sa poésie fig­ure dans les archives du Cen­tre Inter­na­tion­al de la Poésie de Mar­seille (http://www.cipmarseille.fr/auteurs/1056 ).

Elvi­ra Hernán­dez sera l’invitée d’honneur du col­loque inter-uni­ver­si­taire et inter­na­tion­al en hom­mage à Gabriela Mis­tral (Prix Nobel 1945) qui se tien­dra à Paris les 20 et 21 novem­bre 2025. Dans ce cadre, trois soirées de lec­ture sont prévues fin novem­bre 2025 : Ambas­sade du Chili, Mai­son de l’Amérique latine, Uni­ver­sité Paris Sor­bonne ; et une  à Arles (librairie l’Ar­cha des Carmes) le 18 novembre.

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Extraits

VILLA BRASILIA

Son muchos los años de la defunción
de este paraí­so de pájaros
Volaron jun­to a ellos
los mil y un árboles distintos
que le daban vida. 

Le sucede en el tiempo
un bosque habita­cional sin gorjeos
una trá­pala fóni­ca mecánica
un fron­tis vehicular
bal­dosas removi­das por raíces ocultas
sobre­vue­lo de aves en desbandada
un árbol soli­tario que perdió su nombre.

VILLA BRASILIA

Il remonte à loin le trépas
de ce par­adis d’oiseaux.
Avec eux se sont envolés
les mille et un arbres
qui lui don­naient vie.

Lui ont suc­cédé avec le temps
une forêt immo­bil­ière sans gazouillis
un caque­tage cacoph­o­nique mécanique
une bar­rière véhiculaire
pavés soulevés par des racines ensevelies
sur­vol de volatiles à la débandade
un arbre soli­taire qui a per­du son nom.

∗∗∗

UN LARGO Y ARDIENTE VERANO 

Los bosques han sido talados.
Las planta­ciones chisporrotean.
Es el turno de los pinares
eucalip­tos en llamas
velas que der­riten su Mer­ry Christmas.

Los camiones aljibes van
por la ruta de la aler­ta amarilla.

Los pájaros vienen del sur
con la aler­ta roja entre los dientes.

UN LONG ÉTÉ ARDENT

Les bois ont été décimés.
Les futaies grésillent.
C’est le tour des pinèdes
euca­lyp­tus en flammes
bou­gies dégouli­nant leur Mer­ry Christmas.

Les camions citernes défilent
sur la route de l’alerte jaune.

Les oiseaux vien­nent du sud
l’alerte rouge entre les dents.

 

∗∗∗

EN LOS BAJÍOS                                                         

En un pie                                                             
la garza                                                                      
sostiene la tarde.

SUR LES HAUTS-FONDS

Sur un pied
le héron
sou­tient le soir.

∗∗∗

ORNITOLOGÍA

No hay tiem­po para pensar
en la plumífera que lle­garé a ser.

El tiem­po es boca­do que no se logra
sabore­ar. Es él quien te masca.

Ayer se me cayeron unas cuan­tas plumas
y unos cuan­tos dientes.

Mañana seré desplumada.

Si pudiera yo misma
arran­car­ía el desvaneci­do pluma­je de mí.

Sólo entonces estaría siguiendo
el ejem­plar camino del águila.

ORNITHOLOGIE

Pas le temps de penser
à la plumi­tive que je deviendrai.

Le temps est une bouchée qu’on n’arrive pas     
à savour­er. C’est lui qui te mâche.

Hier j’ai per­du quan­tité de plumes
et pas mal de dents.

Demain je serai déplumée.

Si je le pouvais
j’arracherais ce qui me reste de plumage.

Et alors seule­ment je suivrais
l’exemplaire chemin de l’aigle.

 

           

∗∗∗

DE UN ALA

Así me sacaron.
Así me fui caminando.
Así golpeé puer­tas y 
oídos.
Así paré en seco
y me di un palmazo
en la frente
y volví a la car­ga.       

EN ME PRENANT PAR L’AILE

Ils m’ont expulsée.
Alors j’ai pour­suivi mon chemin.
Alors j’ai toqué à des portes et
à des oreilles.
Alors je me suis arrêtée net
et me suis frappé
le front
et je suis repar­tie à la charge.

∗∗∗

HABÍA COSAS QUE NOS GUSTABAN

Salíamos de casa al gol­pear el viento.
Rompía a llover.

Éramos como hojas
arran­cadas de árboles mayores.
Otro des­ti­no parecía
nos daba la mano.

Por las calles corríamos
plane­an­do en dan­za propia.
Me sen­tía bajo el cielo
empa­pa­da
ple­na
moja­da como un pitío.

CES CHOSES QUI NOUS PLAISAIENT                                                

Nous sor­tions de la mai­son quand le vent frappait.
L’averse éclatait.

Nous étions comme des feuilles
arrachées à de grands arbres.
Un autre des­tin semblait-il
nous tendait la main.

Dans les rues nous courrions
esquis­sant notre pro­pre danse.
Je me sen­tais sous le ciel
mouillée
comblée
trem­pée comme un pinson.

∗∗∗

AGREGAR ALGO MÁS AL PAISAJE      
DE YOSA BUSON

                           están las grullas
                                      el estanque
                                      los jun­cos
                                      el rocío

                  agre­gar las partícu­las atómicas
                                             fision­adas.

AJOUTER QUELQUE CHOSE AU PAYSAGE
DE YOSA BUSON

                        les grues
                        l’étang
                        les joncs
                          la rosée y sont

                                          ajouter les par­tic­ules atomiques 
                                                              en fission.

Présentation de l’auteur

Elvira Hernández

Elvi­ra Hernán­dez est née en 1951 à Lebú, une province arau­cane du sud chilien. Elle a com­mencé à écrire des poèmes dès son plus jeune âge. Après des études sec­ondaires dans une école religieuse de San­ti­a­go, de 1969 à 1973, elle se spé­cialise en philoso­phie à l’In­sti­tut péd­a­gogique de l’U­ni­ver­sité du Chili, puis, après le coup d’é­tat du général Augus­to Pinochet con­tre le gou­verne­ment de l’U­nité pop­u­laire, elle étudie la lit­téra­ture au départe­ment d’é­tudes human­istes de la fac­ulté de Sci­ences Physiques et Math­é­ma­tiques. En 1979, con­fon­due avec une autre per­son­ne, elle est arrêtée dans la rue par des agents du Cen­tre nation­al d’in­for­ma­tion (CNI), et est détenue à la caserne Bor­goño pen­dant cinq jours.
L’an­née suiv­ante, alors qu’elle est encore « sous une forte pres­sion », elle com­mence à écrire La ban­dera de Chile, un jour­nal de réflex­ions poé­tiques sur le Chili et ses emblèmes, qui cir­culera clan­des­tine­ment sous forme de copies ronéo­typées pen­dant la dic­tature mil­i­taire et ne sera pub­lié offi­cielle­ment que dix ans plus tard. Ces poèmes devi­en­nent le sym­bole de la résis­tance. Depuis la pub­li­ca­tion de ¡Arre! Hal­ley ¡Arre! en 1986, Elvi­ra Hernán­dez a con­tin­ué à pub­li­er des livres de poésie et des essais (ces derniers signés de son vrai nom, Tere­sa Adriasola).

Après avoir reçu plusieurs prix ibéro-améri­­cains, Elvi­ra Hernán­dez est la deux­ième femme poète (après Gabriel­la Mis­tral en1951) a s’être vue décern­er le Prix nation­al de poésie dans son pays, le Chili, en 2024.

© Crédits pho­tos https://revistasantiago.cl/literatura/elvira-hernandez-estudiante-permanente/

Bibliographie 

  • La ban­dera de Chile, fin­ished writ­ing in 1981; mimeo­graphs cir­cu­lat­ed clan­des­tine­ly in Chile and pub­lished 10 years lat­er, with pre­sen­ta­tion by Fed­eri­co Schopf [es]: Libros de Tier­ra Firme, Buenos Aires, 1991; Cune­ta, San­ti­a­go, 2010
  • ¡Arre! Hal­ley ¡Arre!, Ergo Sum, San­ti­a­go, 1986
  • Med­ita­ciones físi­cas por un hom­bre que se fue, Arte postal, San­ti­a­go, 1987
  • Car­ta de via­je, Edi­ciones Últi­mo Reino, Buenos Aires, 1989
  • El orden de los días, Roldanil­lo, Colom­bia, 1991
  • San­ti­a­go Waria, Cuar­to Pro­pio, San­ti­a­go, 1992
  • Merodeos en torno a la obra poéti­ca de Juan Luis Martínez, togeth­er with Soledad Far­iña; Intem­perie, San­ti­a­go, 2001
  • Álbum de Val­paraí­so, LOM Edi­ciones, San­ti­a­go, 2002
  • Cuader­no de deportes, Cuar­to Pro­pio, San­ti­a­go, 2010
  • Actas urbe, with pro­logue by Gui­do Arroyo, Alquimia Edi­ciones, San­ti­a­go, 2013
  • Los tra­ba­jos y los días, anthol­o­gy; selec­tion, edi­tion, and notes by Vicente Undur­ra­ga, Edi­to­r­i­al Lumen, San­ti­a­go, 2016
  • Pájaros des­de mi ven­tana, Alquimia Edi­ciones, San­ti­a­go, 2018

Prix

  • Final­ist for the 2012 Alta­zor Award for Cuader­no de deportes
  • Career award at the 2017 La Chas­cona Poet­ry Festival
  • 2018 Jorge Teil­li­er Nation­al Poet­ry Award
  • 2018 Pablo Neru­da Ibero-Amer­i­­can Poet­ry Award
  • 2018 Cir­cle of Art Crit­ics’ Award, Poet­ry cat­e­go­ry for the book Pájaros des­de mi ventana

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daniele faugeras

danièle faugeras vit et tra­vaille dans le Gard. Elle partage son activ­ité d’écriture entre poésie, tra­duc­tion et édi­tion. Elle a créé en 2008 aux édi­tions ERES, et codirige depuis avec Pas­cale Jan­ot, la col­lec­tion de poésie PO&PSY et l’as­so­ci­a­tion du même nom, qui en assure la dif­fu­sion par la ren­con­tre directe avec des publics var­iés, aux­quels elle pro­pose des man­i­fes­ta­tions sou­vent mul­ti­mé­dias. Par­mi ses tra­duc­tions de poésie : Patrizia Cav­al­li, Pao­lo Uni­ver­so, Francesco Scara­bic­chi, Issa (en col­lab­o­ra­tion avec Pas­cale Jan­ot) ; ain­si que les œuvres poé­tiques com­plètes d’An­to­nio Porchia et de Fed­eri­co Gar­cía Lor­ca. À titre per­son­nel, elle a pub­lié une dizaine de recueils de poésie, depuis Ici n’est plus très loin (2001) jusqu’à À chaque jour suf­fit son poème (2018), le plus sou­vent en dia­logue avec des artistes, par exem­ple : Lieu dit (2010) et Quelque chose n’est (2015) avec Alexan­dre Hol­lan, Murs, avec Mag­a­li Latil, Éphéméride 03, avec Mar­tine Cazin (2014)… depuis Ici n’est plus très loin … avec Mar­tine Cazin (2014) » par : « qui ont été regroupés en 2021 en un vol­ume unique pub­lié par les édi­tions érès dans la col­lec­tion PO&PSY in exten­so sous le titre Opus incer­tum. Œuvre com­plète 1975–2020.  

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