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Né à Budapest en 1933, Alexan­dre Hol­lan vit à Paris depuis 1956. Dès cette époque il prend l’habitude de s’isoler une par­tie de l’année dans le Sud de la France, en con­tact intime avec la nature, les arbres. Depuis 1984, il passe l’été au milieu des vignes et des chênes verts, dans son mazet de l’Hérault. Le reste de l’année, il peint dans son ate­lier parisien, appro­fondis­sant sa recherche de la couleur, et dans son ate­lier d’Ivry, dévelop­pant en grand for­mat les études d’arbres.

 

Dans ses Notes sur la pein­ture et le dessin (rééditées ici en un livre unique) qui inter­ro­gent au plus près de son sur­gisse­ment l’ex­péri­ence pic­turale, Alexan­dre Hol­lan réflé­chit en poète sur cette “force nou­velle” qui émane des impres­sions pro­duites par le monde extérieur, une force “qu’il faut com­pren­dre et sauver”. 

 

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Extrait de la pré­face de Jean-Yves Pouilloux :

On assiste dans les pages ici réu­nies à la pour­suite, obstinée et en un sens par­faite­ment déraisonnable, d’une explo­ration aus­si pleine­ment con­sciente que pos­si­ble de notre rela­tion au vis­i­ble. Avec une per­sévérance et une ténac­ité à bien des égards énig­ma­tiques, Alexan­dre Hol­lan exam­ine soigneuse­ment sa pro­pre pra­tique, tente de tra­vers­er les réac­tions automa­tiques et décou­vre à l’œu­vre des dis­po­si­tions com­plex­es et con­fus­es, qu’une atten­tion fine va révéler dans leur fragilité même, alors qu’elles con­stituent la teneur essen­tielle de notre per­cep­tion présente. Cha­cun, j’imagine, en le lisant pour­ra trou­ver l’occasion de recon­naître cer­tains de ses pro­pres mou­ve­ments inaperçus. Du moins c’est ce qui m’est arrivé per­son­nelle­ment, et j’ai l’impression en plus d’un moment d’avoir pu, grâce à ces notes et grâce à lui, le pein­tre, ouvrir les yeux sur ce qui était devant moi et que pour­tant je ne voy­ais pas. Ces Notes sur la pein­ture et le dessin sont bien autre chose qu’une réflexion 

« tech­nique » sur la pra­tique pic­turale, elles évo­quent un appren­tis­sage des tours et détours, par­fois des rus­es, qu’il faut accepter pour essay­er de par­venir à une rela­tion vraie au monde et à soi. En ce sens on pour­rait dire qu’elles relèvent d’une poétique.

 

 

 

 

Notes choisies :

 

Le monde autre qu’humain, le monde de la nature est habité par l’inconnu. Cer­tains arbres sont des portes. (1989)

 

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Accepter l’inconnu qui rôde dans l’arbre. L’accepter, pas le cap­tur­er. Par­fois il fait grandir le con­nu. (5.9.08)

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L’arbre existe sans moi. (…) Devant l’arbre ma chance est d’entrer directe­ment en con­tact avec l’inconnu, le “pas moi”. Cela donne un sen­ti­ment de lib­erté. (8.93)

                                                

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Avoir de l’énergie n’est pas néces­saire pour dessin­er un arbre, seule­ment un peu de calme. L’énergie est dans l’arbre. (8.85)

 

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Le vis­i­ble reste caché dans l’invisible, la lumière dans le noir, le vert dans le rouge, le rouge dans le vert. Je vais vers l’invisible pour voir. Vers le som­bre pour trou­ver la lumière. (12.89)

 

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Appel de la pro­fondeur, car le monde quo­ti­di­en est sans lumière, même quand le soleil inonde mon atelier.

Oui, je crois que les ténèbres c’est “moi”, ma peur, ma van­ité, ma ruse, mes amours, mon art… et je dois “faire avec”, je dois les tra­vers­er pour attein­dre la lumière, peut-être. C’est si impor­tant de ne pas me con­fon­dre avec moi-même. (1991)

                                                                                    

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La pein­ture me mène là où je suis déjà. (11.5.97)

 

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“Créer”. Créer une forme durable. Le besoin de “faire” des dessins est une néces­sité intérieure (comme par­ler, bouger, touch­er…). Tous les enfants adorent gri­bouiller. C’est la même chose. Mais le besoin de garder, de pro­longer la vie est moins automa­tique que le besoin d’exprimer. Cette pro­lon­ga­tion part d’une énergie retenue, déjà per­son­nelle. “Je crée car je suis”. Je m’oppose à moi-même pour être. Je com­mence à penser au lieu de suiv­re les événe­ments qui m’attirent. Cette résis­tance pro­duit l’énergie, la force intérieure du départ. L’énergie a ce car­ac­tère char­nel, résis­tant, révolté. C’est dans cette force que le “désir de dur­er, d’être” appa­raît. (17.4.04)

                                                                                               

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La vie extérieure procède par impres­sions. Elle sug­gère un dépasse­ment. Elle crée un désir. Ce désir appelle une énergie. Cette énergie doit venir d’ailleurs, par dépasse­ment. Ce dépasse­ment vient d’un « dés­espoir » (com­préhen­sion qu’à cet instant, la tran­quil­lité est mortelle). Mais dans l’impression du monde extérieur, à part l’échec (le con­stat que « ce n’est pas ça »), il y a quelque chose. Au milieu du chaos, du drame, de la perte (tout ce mélo­drame qui est mon affaire per­son­nelle est prob­a­ble­ment sec­ondaire), il y a une force nou­velle à com­pren­dre, à sauver. (24.8.08)

                                                                                               

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La vie secrète — pas vrai­ment secrète, mais presque tou­jours invis­i­ble — appa­raît par­fois dans les formes, arbres, objets. Elle les tra­verse, les habite, et vient vers nous.

Voir, c’est sen­tir cette trans­for­ma­tion de la réal­ité, le plus sim­ple­ment pos­si­ble. Cette trans­for­ma­tion apporte une énergie neuve, incon­nue. Don­ner à ces forces invis­i­bles une place, une flu­id­ité, une résis­tance : le dessin, la pein­ture sont là pour cela, les ren­dre visibles.

Dans cette rela­tion avec la part invis­i­ble de la réal­ité, je recon­nais trois chemins : celui de la vitesse qui crée le mou­ve­ment, celui de la lenteur qui crée la pro­fondeur, et celui du rythme, une alter­nance entre forme et espace. (09.06)

                                                

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Le monde extérieur est un monde intérieur. (10.7.10)

                                                                                               

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Une calme urgence tra­vaille nos vies. Urgence à ne rien faire, à laiss­er tra­vailler les forces naturelles. Elles ont mis du temps à se faire con­naître, à rester séparées, hors du monde.

La présence vient de loin, se con­naît, se recon­naît dans le mou­ve­ment silen­cieux. Elle passe — pour moi — par et dans la nature, par la forme des arbres. Formes où quelque chose la rejoint. Attente active. Capter et patien­ter. (12.6.06)

                                                                                                                       

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Quand les démon­stra­tions de force sont passées, il reste un peu de vide. Et une musique loin­taine, venant à tra­vers les arbres : des lignes aéri­ennes, lentes con­cen­trées. Elles n’ont rien à voir avec le corps de l’arbre. Pour­tant, l’arbre les chante. (22.9.11)

 

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daniele faugeras

danièle faugeras vit et tra­vaille dans le Gard. Elle partage son activ­ité d’écriture entre poésie, tra­duc­tion et édition.

Elle a créé en 2008 aux édi­tions ERES, et codirige depuis avec Pas­cale Jan­ot, la col­lec­tion de poésie PO&PSY et l’as­so­ci­a­tion du même nom, qui en assure la dif­fu­sion par la ren­con­tre directe avec des publics var­iés, aux­quels elle pro­pose des man­i­fes­ta­tions sou­vent multimédias.

Par­mi ses tra­duc­tions de poésie : Patrizia Cav­al­li, Pao­lo Uni­ver­so, Francesco Scara­bic­chi, Issa (en col­lab­o­ra­tion avec Pas­cale Jan­ot) ; ain­si que les œuvres poé­tiques com­plètes d’An­to­nio Porchia et de Fed­eri­co Gar­cía Lorca.

À titre per­son­nel, elle a pub­lié une dizaine de recueils de poésie, depuis Ici n’est plus très loin (2001) jusqu’à À chaque jour suf­fit son poème (2018), le plus sou­vent en dia­logue avec des artistes, par exem­ple : Lieu dit (2010) et Quelque chose n’est (2015) avec Alexan­dre Hol­lan, Murs, avec Mag­a­li Latil, Éphéméride 03, avec Mar­tine Cazin (2014)…