La moitié du four­bi est une revue nou­velle-née, parue en févri­er 2015, sous le signe thé­ma­tique de l’« écrire petit ». Ses arti­cles con­si­tu­tent des prouess­es lit­téraires à part entière. Con­nais­sant les goûts (sûrs) de son créa­teur en chef, Frédéric Fiolof de son nom de plume noc­turne (il ani­me l’excellent blog de cri­tique lit­téraire La marche aux pages), et un peu ceux des mem­bres de son comité de rédac­tion (Antho­ny Poiraudeau, Hélène Gaudy, Zoé Balthus et Romain Verg­er), l’on s’attendait à un opus de qual­ité, mais le résul­tat dépasse nos expec­ta­tions. L’on peut être embal­lé, dans une nou­velle revue, par deux ou trois arti­cles, mais que l’ensemble emporte l’adhésion est en général une chose rare. Ajou­tons que le design de l’ouvrage est séduisant, un terme anglais lui va comme un gant : celui de slick (lis­sé, classe, en français ?).

Applaud­is­sons tout d’abord la cohé­sion épous­tou­flante qui se dégage de cet ensem­ble : le point fort de La moitié du four­bi. La trame d’« écrire petit » est ser­rée, puisque chaque arti­cle, chaque être, chaque monde, nous ren­voie à un autre : le dessi­na­teur Nyl­so ren­voie à Robert Walser qui ren­voie à Max Brod qui ren­voie lui-même à Kaf­ka qui ren­voie à Wal­ter Ben­jamin qui ren­voie à Uri Orlev, écrivain rescapé de Bergen-Belsen dont le car­net de poèmes ren­voie à ceux de Mon­sieur M., qui ren­voient eux-mêmes à Richard Brauti­gan, auteur cher à Thomas Vin­au, inter­viewé ici par Frédéric Fiolof, et ain­si de suite, dans une chaîne de sig­nifi­ants essentielle.

Salu­ons ensuite la pas­sion de ses rédac­teurs pour leur sujet : pas un seul qui ne sem­ble point impliqué émo­tion­nelle­ment avec son pro­pos et « pos­sédé » par le mys­tère qu’il sonde (celui de Tamán Shud est trou­blant), dans la mesure où ils ont tous man­i­feste­ment écrit depuis les lieux d’extase et de choc que leurs pas­sions leur ont fait ressen­tir. On ne peut que leur être recon­nais­sant d’avoir partagé (en s’effaçant hum­ble­ment der­rière) leurs obses­sions, et de nous les avoir trans­mis­es. On est d’emblée fasciné, hap­pé, on brûle d’envie d’en lire davan­tage sur les mon­des qu’offrent les vari­a­tions autour de l’« écrire petit » de ce numéro : entre autres, celui des log­a­rithmes infor­ma­tiques, des Pyg­mées ou de Michaux, tous ces mon­des poé­tiques, qui, sans les exégès­es de leurs arpen­teurs enfiévrés, nous resteraient illis­i­bles. L’expérience de lec­ture qui nous est livrée est intense, jubi­la­toire. Quelle joie en effet que de décou­vrir l’univers incroy­able de Nyl­so, et celui, impi­toy­able il faut bien le dire, de Wern­er Her­zog. Et que dire de l’émotion ressen­tie en se remé­morant les images de celui de Bruno Dumont, dont La Vie de Jésus (vision­né il y a presque vingt ans dans un petit ciné­ma d’art et d’essai de la ban­lieue de Boston). Et celle de chem­iner main dans la main avec Anne-Françoise Kavau­vea (qui lit Walser depuis l’adolescence) jusqu’à la tombe poten­tielle de l’écrivain suisse.

Quand on lit, on aime quand les sou­venirs et les émo­tions remon­tent, quand le cœur bat un peu plus vite au détour d’une phrase, on aime sen­tir qu’on est en vie. Les arti­cles de cette pre­mière Moitié du four­bi sont boulever­sants. Par exem­ple, les tex­tos échangés à New York le matin des atten­tats du 11 sep­tem­bre 2001 : out­re le fait qu’ils nous rep­lon­gent dans les affres de ce drame, ils nous rap­pel­lent aus­si que, où que nous soyons, nous sommes tou­jours à un doigt de la cat­a­stro­phe, de la tragédie, et que nous ne devons pas oubli­er que, pour peu que nous en sachions, nous évolu­ons peut-être dans des poches de répit exigües, à la fois tem­porelle­ment et spa­tiale­ment. Con­clu­sion : nous devons nous efforcer de ne pas oubli­er de vivre. Il est de notre devoir en tant qu’humain encore en vie, jouis­sant d’un cer­tain con­fort et de nos fac­ultés, et surtout béné­fi­ci­aires d’un feu qui nous empêche de som­br­er, de con­tin­uer à partager celui-ci pour essay­er de con­tribuer aux émerveillements.

Vivre, s’émerveiller, équiv­aut, en l’occurence pour une revue de lit­téra­ture, à lire et don­ner envie de lire ; ce bon­heur sacré de la lec­ture qui pousse vers d’autres lec­tures. Ain­si, cette généreuse « moitié » de four­bi (ô com­bi­en bien­v­enue en ces jours som­bres de notre human­ité) est salu­taire, car elle tit­ille et réveille, rap­pelant que toute bonne lit­téra­ture est tis­sée d’appels à la vie, ou d’appels d’air, dis­til­la­trice et provo­ca­trice de pas­sions. Four­bi lit­téraire qui ramène à nos pro­pres four­bis de livres, d’écrits, créant des passerelles entre nous et les hori­zons sal­va­teurs poten­tiels, des liens sig­ni­fi­cat­ifs entre les humains. Bra­vo à toute l’équipe et aux con­tribu­teurs, longue vie à La moitié du four­bi.

 

La moitié du fourbi
22, rue Pablo Picasso
93000 Bobigny
revue@lamoitiedufourbi.org

 

Sabine Huynh a pub­lié Avec vous ce jour-là/Let­tre au poète Allen Gins­berg chez Recours au Poème éditeurs

 

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Sabine Huynh

Née à Saï­gon, basée à Tel Aviv, Sabine Huynh écrit, traduit (notam­ment l’œuvre poé­tique d’Anne Sex­ton pour les édi­tions des femmes-Antoinette Fouque) et rend par­fois compte de ses lec­tures. Elle détient un doc­tor­at en lin­guis­tique de l’université hébraïque de Jérusalem et est l’auteur d’une douzaine de livres (poésie, roman, nou­velles, essai, jour­nal) et d’une quin­zaine de tra­duc­tions. Ses recueils de poèmes com­pren­nent Kvar lo (post­face de Philippe Rah­my), qui a rem­porté en 2017 le Prix du CoPo, décerné par la Factorie/Maison de poésie-Nor­mandie, et Dans le tournant/Into the Turn­ing, un ouvrage bilingue français-anglais (co-auteur : Amy Hol­low­ell). Son pre­mier roman, La Mer et l’enfant, s’est retrou­vé dans la sélec­tion finale du Prix Emmanuel-Rob­lès du pre­mier roman 2014 et du Prix du Fes­ti­val du Pre­mier Roman de Cham­béry 2013. Récip­i­endaire du Prix européen du jeune tal­ent lit­téraire fran­coph­o­ne Cal­liope 2015 (décerné par le Céna­cle Européen fran­coph­o­ne : anci­en­nement asso­ci­a­tion Léopold Sédar-Sen­g­hor), Sabine Huynh vit à Tel Aviv, en Israël. Elle est mem­bre de la Société des Gens De Let­tres et de l’Association des Tra­duc­teurs Lit­téraires de France. Prix, bours­es et rési­dences : Sélec­tion finale du Prix du Fes­ti­val du Pre­mier Roman de Cham­béry 2013 et du Prix Emmanuel-Rob­lès du pre­mier roman 2014 pour La mer et l’enfant (roman). Prix européen du jeune tal­ent lit­téraire fran­coph­o­ne Cal­liope 2015 (décerné par le Céna­cle Européen fran­coph­o­ne : anci­en­nement asso­ci­a­tion Léopold Sédar-Sen­g­hor). Prix du CoPo 2017, décerné par la Factorie/Maison de poésie-Nor­mandie, pour Kvar lo (recueil de poèmes). Rési­dence d’écriture et de tra­duc­tion à la Fac­to­rie / Mai­son de Poésie de Nor­mandie (avril 2019) pour l’écriture de Dans le tournant/Into the Turn­ing (avec Amy Hol­low­ell). Bourse de tra­duc­tion lit­téraire du CNL 2022 pour traduire Trans­for­ma­tions d’Anne Sex­ton. Prix Alain Bosquet de poésie 2022 pour la tra­duc­tion de République sourde/Deaf Repub­lic d’Ilya Kamin­sky. Dernières paru­tions en date : Elvis à la radio : roman hybride/récit lit­téraire mât­iné de fic­tion. Paru­tion : octo­bre 2022, édi­tions Mau­rice Nadeau, col­lec­tion « À Vif » Loin du rivage : poèmes (édi­tions de la Marg­eride, sep­tem­bre 2022) Par­ler peau : poèmes (édi­tions Æncrages & Co, novem­bre 2019). Quelques-unes des tra­duc­tions en cours : The Book of Fol­ly, The Death Note­books, & The Awful Row­ing Toward God : trois recueils de poèmes d’Anne Sex­ton. Pour les édi­tions des femmes-Antoinette Fouque frank : son­nets, Diane Seuss. Poèmes. Pour les édi­tions Le Cas­tor Astral. La saveur de l’autre, Clara Burghe­lea. Poèmes. Tra­duc­tions à paraître : Trans­for­ma­tions, Anne Sex­ton. Poèmes. Édi­tions Des Femmes-Antoinette Fouque, mai 2023. Maud Martha, Gwen­dolyn Brooks. Roman. Édi­tions Globe, mars 2023. Un filet pour accueil­lir mon corps dans son entrelacs, Katie Far­ris. Poèmes. Édi­tions La clé à molette, 2023. Chantiers per­son­nels actuels : Son­nets & Con­trails : poèmes. Recueil bilingue français-anglais (tra­duc­tion vers l’anglais : Clara Burghe­lea). Pour les édi­tions Bruno Doucey, paru­tion prévue en 2024. Une fête : roman. Son site : presque dire