Note : Le principe de cette chronique est le suiv­ant : Matthieu Gosz­to­la écrit à chaque fois un poème « sur » l’œuvre d’un poète con­tem­po­rain. Ce poème a pour fonc­tion, de par et le sens qu’il véhicule et le recours à la forme qui le con­stitue en tant que poème, de dire quelque chose de cette œuvre et de son mouvement.

À la suite de son pro­pre poème, Matthieu Gosz­to­la pro­pose plusieurs poèmes du poète en question.

 

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Le mou­ve­ment
          Mou­ve­ment de ce qui se tait

Mou­ve­ment de ce qui par­le avec
          Les couleurs        les sensations

Mou­ve­ment du monde
          Qui n’attend jamais

Pour être mouvement
          Mou­ve­ment de tout ce qui

Est la vie 
          Et de tout ce qui accompagne

La vie
          Sur­saut d’odeurs de cuirs

& de lessives
          Odeurs de pièces longtemps fermées

& ouvertes
          Ou odeur tombée de

La pous­sière
          De ce qui est passé

Faire venir le mouvement
          Tout le mou­ve­ment répandu

Sur les choses
          Comme une eau (douceur tombée)

Le faire venir
          Dans les mots

Dans leur agencement
          Qui est musique et quelquefois

Archi­tec­ture (oui mais si peu)
          Voilà ce à quoi s’emploie

Olivi­er Barbarant
          Les mots

Choi­sis comme
          Des fleurs (quelques-unes par­mi vous toutes, fleurs)

Sont choisies
          Pour devenir

Bou­quet
          Et être jetées

À la face du temps
          Qui nous rend seuls quand on est plusieurs

Et qui est
          Quelquefois

La mort
          C’est-à-dire

L’absence de réponse
          Quand une question

Troue
          L’espace

Et
          Nous

 

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Sélec­tion de poèmes d’Olivier Bar­barant par Matthieu Gosztola

 

Ode au métro Simplon

 

                                                                                               In memo­ri­am Rémi Darne
                                                                                              Ce vieux sourire qui lui fut offert,
                                                                                              et que sa mort a gercé.

 

Un ciel que l’hiver ébrèche met­tant au bleu très pâle ses couteaux transparents
Et le soleil qui se fau­file à la sur­face du pre­mier café
Voilà pour le décor pen­dant ce temps à la radio
Hurlant pour rien on s’interroge sur le sexe des dinosaures
Qui ferait paraît-il énigme un nou­veau grand débat
Et le savant ou appren­ti dont la langue fourche
On ne sait pas si c’est un mâle ou un squelette

Joli lap­sus que la jour­nal­iste cour­toise ne relève pas
Mais le ciel est pareil nul ne sait
Est-ce un œil ou des ossements
Pour ne rien dire aus­si du statut un peu ambigu des anges
Qui ne le peu­plent plus
Sauf de nuages qui sont peut-être leurs débris d’ailes agglomérés

Mais je m’éloigne au début je voulais décrire la ville
Son silence quelque­fois l’arbre mal­in­gre que le pas­sage des trains agite
Et la mai­son grise et blanche en face faisant sous les lumières déver­sées un long miroir éblouissant

Chaque matin on voit sur le même morceau d’espace une nuance de temps
Faut-il alors par­ler de la vie qui passe quand elle fuit
Avec le compte à rebours des réveils et de fil en aigu­ille comme on dit
Le tis­su ça et là qui s’en désagrège
Un tulle déchiré j’ai appris récem­ment qu’on par­lait en couture
Pour le plus déli­cat d’un tulle illu­sion

Tout ça qui ne va pas ensem­ble les dinosaures et les rubans

Comme ces linges dis­crets dans le ciel et la peur qui vous prend juste à récep­tion d’une lettre
Avec en vert mau­vais l’adresse où peut-être à la fin on vous emportera

Étrange lever où l’aube s’étiole finale­ment dans une lueur de peinture
Encore un matin que l’ennemi n’aura pas et qui du coup souri­ant s’alanguit
Tan­dis que scin­tille sur les pavés l’eau sale du petit jour

On dirait qu’au matin je vis dans mon gre­nier à hau­teur d’aquarelle
À ras du faux printemps
Au point que tombe de mes lèvres un cli­quetis d’astres rouillés
Que je ne suis pas loin de pren­dre pour du grand art ou presque

Plus tard sous terre je crois que je regret­terai les épaules
Et surtout le goût du café
C’est curieux de penser qu’il n’y a guère dans la vie que des étreintes et des aurores

D’ailleurs cette chan­son c’est pareil on la fre­donne sim­ple­ment pour s’y glisser
Et puis dormir comme autre­fois avec aux qua­tre coins du lit un bou­quet de pervenches
Jusqu’à ce qu’un plus beau matin sur du papi­er mâché déplie ses anémones

En ai-je fini nom de dieu avec ces jolies pen­sées de fleuriste
Il fau­dra bien un jour en finir avec tout
Mais quand même plus tard je me demande quand il sera ques­tion est-ce qu’on saura
Quand j’imagine le savant douce­ment dénouant l’invraisemblable tapis­serie des corps encore enchevêtrés
Nos squelettes mâles ou femelles ?

 

 

Odes dérisoires et quelques autres un peu moins

 

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L’ombre dit : Cette neige odor­ante ten­due à bout de bras
Dans le ver­nis des feuilles et le velours du ciel ne servi­ra de rien
L’avenir véri­ta­ble est tapi par­mi les racines

L’ombre dit : Ton print­emps brûle des erreurs
Et ses flo­cons d’aurore pour moitié traî­nent déjà sur le sol gris
Très vite la rosée les tache et le vent les soulève et le soleil les racornit

L’ombre ajoute : Les fleurs les plus fières sont des étoffes à flétrir
Dès que fanées parais­sant les cotons salis d’une infirmerie dans les branches
À tant défi­er la lumière on devient source tôt tarie

L’ombre dit : Toute beauté comme la tienne est en attente du bourreau
Dans l’arène les fins tis­sus ser­vent à irrit­er la bête
Le sel ain­si que tu répands prend des airs de provocation

On ne s’expose pas longtemps à la corne du temps qui passe
La terre est patiente et froide sous tes étoiles suspendues
Trem­ble dans chaque trans­parence une promesse de tombeau

L’ombre dit : Celui qui plonge son vis­age dans ton petit jour en morceaux
A tou­jours cru en la splen­deur comme de plus sages aux idoles
Les yeux fer­més dans ta douceur il oublie d’abord qu’il s’aveugle

Il aura beau quand redressé tress­er des phras­es et des guirlandes
Faire ongles d’anges les pétales ou bien des paupières d’enfant
Dans tes frais et pâles soleils il se détourne du grand feu

L’ombre dit : Ton écume per­cée de safran n’est qu’une illu­sion de regard
Tu ne sais rien de ton secret et voilà pourquoi tu fleuris
Sitôt recon­nue ta can­deur ferait spec­ta­cle d’elle-même

C’est d’ailleurs bien trop s’épuiser pour un frag­ile candélabre
Une brève averse suf­fit à ruin­er tout ton édifice
Ce rien de givre pour un dément seul forme abri

Que diras-tu de ton mal­heur devant tes larmes renversées
Cette espérance que tu fus n’était qu’un men­songe de plus
Voilà tes branch­es cru­ci­fiées por­tant l’absence au lieu de fleurs

L’oranger : – Si je n’ai bril­lé qu’un instant
J’ai du moins décoré l’horreur.

 

Essais de voix mal­gré le vent

 

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Né à Bar sur Aube le 5 mars 1966. Sort de la mater­nité un jour de neige en plein print­emps, selon la légende famil­iale. Enfance en Cham­pagne (Nogent-sur-Seine, Troyes). A pour école mater­nelle la rési­dence nogen­taise de Flaubert. Aime déjà les chats, l’herbe mouil­lée, l’odeur de l’encre et les pages blanch­es. Au col­lège, latin et espag­nol. Veut lire Lor­ca. Arrive en région parisi­enne à l’âge de 13 ans. Études en ban­lieue : lit Gide, Balzac, Aragon, Camus, Desnos et Mus­set, déam­bule à Thi­ais dans le Parc de l’ancienne rési­dence de Mau­rice Thorez. Idol­âtrie ado­les­cente pour Racine, qui demeure. Décou­vre Colette et Saint-Simon, Proust et Ver­laine. Amours nom­breuses, anar­chisme proclamé, alors assez mil­i­tant. Bac­calau­réat en 1983, puis class­es pré­para­toires au lycée Hen­ri IV. Habite désor­mais à Mont­martre, décou­vre une bour­geoisie cos­mopo­lite et cul­tivée qui ne lui ressem­ble guère, mais où il se fait de vrais amis. Études de Let­tres mod­ernes à l’ENS de Fonte­nay Saint-Cloud (agré­ga­tion en 1989, doc­tor­at à Jussieu, sur Aragon, en 1994). Lit ses con­tem­po­rains, va d’enthousiasme en ent­hou­si­asme. Décou­verte en khâgne de Hölder­lin, Jac­cot­tet, Roud. Pro­pose ses pre­miers textes pub­liés : une cri­tique lit­téraire d’abord dans la revue Esprit, puis un hom­mage à Gus­tave Roud paru dans la Nrf de Réda, un salut à Fran­cis Ponge (« La cor­beille ») accep­té par Jean-Michel Maulpoix dans Recueil. L’éditeur de cette revue, Patrick Beaune, directeur des édi­tions Champ Val­lon, accepte en 1992 le man­u­scrit de son pre­mier recueil, Les Par­quets du ciel. Il sera désor­mais « son » édi­teur, avec une belle fidélité.
Vit à Paris, et selon les caprices des affec­ta­tions uni­ver­si­taires, puis sec­ondaires : Besançon, Saint-Quentin. Décou­vre aimer la province à 24 ans. Des amours sérieuses, si fugaces. Pré­cip­i­ta­tion et cou­ples désas­trés four­nissent à 28 ans l’impression d’une vie de mul­ti­di­vor­cé, par­fois de veuf. Des morts, des amours, des livres, des restau­rants : sa vie les entasse, et pleure – un peu trop. De nom­breux chats, dans le même temps : Nusch, Biboune, Méphis­to. Col­lo­ques, arti­cles, con­tri­bu­tions var­iées : à Digraphe, la Nrf, Recueil puis Le Nou­veau Recueil, Théodore Bal­moral, Po&sie, Europe, Le Mâche-lau­ri­er… Des col­lo­ques uni­ver­si­taires, à rythme un peu trop soutenu, si bien qu’il en épuise pré­cipi­ta­m­ment les joies. Bon­heur cepen­dant d’avoir ren­con­tré Hed­di Kadour, Jacques Réda, Michel Deguy, Jacques Borel, James Sacré, Jean Ris­tat, Bernard Noël, d’avoir été reçu, pour une sorte de vis­ite au maître, par Philippe Jac­cot­tet à Grig­nan. Ressent une douloureuse fierté à l’idée d’avoir eu la chance de crois­er André Fré­naud et Gas­ton Miron peu avant leur dis­pari­tion. Épuise­ment aus­si des plaisirs des arti­cles – trop nom­breux, à y bien penser – pour les dic­tio­n­naires des auteurs et des œuvres qui n’ont eu de cesse de fleurir au fil de la décen­nie 90 : a refon­du quelques notices du Laf­font-Bom­piani, a rédigé bien des notices du Couty-Beau­mar­chais, a con­tribué à celui du Livre de poche et celui des PUF. Mais aime tou­jours saluer les textes qui lui plaisent, dans Recueil, Europe ou ailleurs. Dirige quelques numéros de la revue Recueil (Lit­téra­ture et Enseigne­ment) et Nou­veau Recueil (L’usage du quo­ti­di­en). La Guerre du golfe achève une évo­lu­tion poli­tique amor­cée depuis longtemps déjà : il défile en com­pag­nie des com­mu­nistes, con­va­in­cu d’être à sa place. Des rela­tions com­plex­es vis-à-vis de l’appareil lui inter­dis­ent cepen­dant de se recon­naître pleine­ment dans ce qu’il com­prend pour­tant comme le seul reste de ce qu’on appelait la gauche, du temps qu’on savait parler.
Depuis 1994, instal­lé à Saint-Quentin en Picardie. Enseigne au Lycée le plus pop­u­laire de la ville, avec bon­heur. En 1995, ren­con­tre Véronique Elz­ière, qu’il appelle Bérénice dans ses livres, sa com­pagne, son amour, sa nou­velle vie. Adopte Cosette en juil­let 1995, chat­te tri­col­ore qui rivalise de beaux yeux avec Bérénice. Écrit tan­tôt en prose (Douze let­tres d’amour au sol­dat incon­nu, 1993, réédité en 1995 ; Temps mort, jour­nal impré­cis, octo­bre 1999) tan­tôt en vers (Les Par­quets du ciel, 1992, Odes dérisoires et quelques autres un peu moins, 1998) et par­fois sur d’autres – et c’est presque tou­jours des poètes, et sou­vent Aragon (Aragon, la mémoire et l’excès, 1997 ; intro­duc­tions et notes pour la réédi­tion d’Hour­ra l’Oural et de Per­sé­cuté per­sé­cu­teur chez Stock, pub­li­ca­tion d’inédits d’Aragon sous le titre Garde-le bien pour mes archives chez Stock). Ne sait pas exacte­ment « ce qui le pos­sède et le pousse à dire à voix haute », comme dis­ait l’autre – mais demeure cer­tain que la qual­ité d’une écri­t­ure ne saurait tenir qu‘à la pro­fondeur de l’intimité qu’elle atteint.

 

Bib­li­ogra­phie
 

Élé­gies étran­glées, Champ val­lon, 2013

Je ne suis pas Vic­tor Hugo, Champ val­lon, 2007

• Essais de voix mal­gré le vent, Champ val­lon, 2004

• Temps mort : jour­nal impré­cis (1986–1998), Champ val­lon, 1999

• Odes dérisoires et quelques autres un peu moins, poèmes, Champ val­lon, 1998

• Aragon: la mémoire et l’excès, Champ val­lon, 1997

• Douze let­tres d’amour au sol­dat incon­nu, Champ val­lon, 1993

• Les Par­quets du ciel, poèmes, Champ val­lon, 1991

 

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Matthieu Gosztola

Matthieu Gosz­to­la est né le 4 octo­bre 1981 au Mans. Doc­teur en lit­téra­ture française, il enseigne la lit­téra­ture au Mans et à Paris. Il a écrit des cri­tiques lit­téraires dans les revues Acta fab­u­la, CCP (Cahi­er Cri­tique de Poésie), Con­tre-allées, Europe, His­toires Lit­téraires, La Cause lit­téraire, La Main mil­lé­naire, Libr-cri­tique, Plexus‑S, Poez­ibao, Recours au poème, Reflets du temps, Remue, Salon lit­téraire, Saraswati, Sitaud­is, Terre à Ciel, Tut­ti mag­a­zine, Zone cri­tique, ain­si que dans les revues de la Comédie-Française, des Press­es uni­ver­si­taires de Rennes et des édi­tions Du Lérot. Pianiste et com­pos­i­teur de for­ma­tion (sous la direc­tion de Wal­ter Chodack notam­ment), il donne des réc­i­tals, en tant qu’interprète ou impro­visa­teur, qu’ils soient ou non reliés à la poésie comme lors du fes­ti­val inter­na­tion­al MidiMi­nu­it­Poésie. Pub­li­ca­tions : Sur la musi­cal­ité du vide, Ate­lier de l’agneau, 2001. Trav­el­ling, Con­tre-allées, 2001. Les Voitures tra­versent tes yeux, Con­tre-allées, 2002. Sur la musi­cal­ité du vide 2, Ate­lier de l’agneau, 2003 (Prix des Décou­vreurs 2007). Matière à respir­er, Créa­tion et Recherche, 2003. Recueil des caress­es échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin, Édi­tions de l’Atlantique, 2008. J’invente un sexe à ton sou­venir, Minus­cule, 2009. Une caresse pieds nus, Con­tre-allées, 2009. Débris de tuer (Rwan­da 1994), Ate­lier de l’agneau, 2010. Un seul coup d’aile dans le bleu, Fugue et vari­a­tions, Édi­tions de l’Atlantique, 2010. Ton départ ensem­ble, La Porte, 2011. Un père (Chant), Encres Vives, 2011. La Face de l’animal, Édi­tions de l’Atlantique, 2011. Vis­age vive, Gros Textes, 2011. Con­tre le nihilisme, Édi­tions de l’Atlantique, 2011. Le géno­cide face à l’image, Édi­tions L’Harmattan, col­lec­tion Ques­tions con­tem­po­raines, 2012 (essai de philoso­phie poli­tique). Tra­vers­er le verre, syl­labe après syl­labe, La Porte, 2012. Ari­ane Drey­fus, Édi­tions des Van­neaux, 2012. La cri­tique lit­téraire d’Alfred Jar­ry à « La Revue blanche », ANRT, 2012. Alfred Jar­ry à « La Revue blanche », l’intense orig­i­nal­ité d’une cri­tique lit­téraire, Édi­tions L’Harmattan, col­lec­tion Espaces lit­téraires, 2013. Ren­con­tre avec Balthus, La Porte, 2013. Ren­con­tre avec Lucian Freud, Édi­tions des Van­neaux, 2013. Alfred Jar­ry, cri­tique lit­téraire et sci­ences à l’aube du XXe siè­cle, Édi­tions du Cygne, col­lec­tion Por­traits lit­téraires, 2013. À jamais une ren­con­tre, Édi­tions Hen­ry, 2013. Etnach­ta, Édi­tions Le Chat qui tou­sse, 2013. Écrit sur l’eau, print­emps-été, La Porte, 2014. Écrit sur l’eau, automne, La Porte, 2014. Écrit sur l’eau, hiv­er, La Porte, 2014. Let­tres-poèmes, cor­re­spon­dance avec Gaudí, Édi­tions Abor­do, 2014.