Il peut paraître étrange qu’un seul poème fasse fig­ure de recueil entier, même si cette sur­prise est tem­pérée par la con­nais­sance que l’on peut avoir du tra­vail édi­to­r­i­al effec­tué par Lau­rent Albar­racin avec Le Cad­ran ligné, puisque le poète du beau Secret secret paru il y a peu chez Flam­mar­i­on a comme espoir et désir sans cesse renou­velé de créer une suc­ces­sion de recueils con­tenant un seul poème qui paraî­trait à l’acmé de sa forme, tra­vail­lant en pro­fondeur la notion d’image, et pour­rait être en soi aus­si abouti qu’un ensem­ble de textes, n’appelant pas for­cé­ment d’autres poèmes dans son entour.

Le frag­ment est pen­sé comme essen­tiel dans ce recueil. Autrement dit, le frag­ment est révélé comme essen­tiel, au tra­vers de ce recueil, dans la poé­tique de Jean Mai­son. Il est en effet ce qui per­met au dire d’affleurer, dans sa sin­gu­lar­ité de Parole d’avant la-parole-du-dis­cours, c’est-à-dire d’avant la parole commune.

Il n’est jamais ce qui des­sine les con­tours d’un manque qui para­doxale­ment le con­stituerait en pro­pre autant qu’il creuserait sa beauté, c’est-à-dire d’une ellipse, d’un manque-à-dire par rap­port à un dis­cours qui serait déjà insti­tué, couché sur le papi­er. Il n’est jamais pen­sé comme approx­i­ma­tion d’une forme qui ne serait pas par­v­enue, faute de temps, faute de con­texte, à son plein accom­plisse­ment. Il est, tout au con­traire, ce qui nous dévis­age à titre de sin­gu­lar­ité non sol­u­ble entière­ment dans les tours et détours que pro­pose le lan­gage pour réson­ner à notre intel­lec­tion autant qu’à notre imag­i­naire, réson­ner avec force, c’est-à-dire avec vérité.

Ce qui est (notam­ment) sin­guli­er chez Jean Mai­son, c’est à quel point le poème nous happe, nous appelle avec vérité (juste­ment), nous fait bas­culer dans son être de poème, dans sa chair de poème et dans l’ouverture sur le non-dit que l’irruption de la belle étrangeté du « à » (je vous laisse vous reporter au poème) et la forme du texte instaurent.
Cette ouver­ture sur le non-dit est per­mise tout à la fois par la per­fec­tion formelle du poème et par sa soli­tude qui est une dou­ble invi­ta­tion : une invi­ta­tion à ce que notre imag­i­naire pour­suive la lec­ture jusque dans notre vie la plus quo­ti­di­enne et une invi­ta­tion à revoir et revivre toute la poésie de Jean Mai­son telle que l’on peut non l’appréhender, non l’expérimenter mais bien la vivre au quo­ti­di­en, avec bonheur.

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Matthieu Gosztola

Matthieu Gosz­to­la est né le 4 octo­bre 1981 au Mans. Doc­teur en lit­téra­ture française, il enseigne la lit­téra­ture au Mans et à Paris. Il a écrit des cri­tiques lit­téraires dans les revues Acta fab­u­la, CCP (Cahi­er Cri­tique de Poésie), Con­tre-allées, Europe, His­toires Lit­téraires, La Cause lit­téraire, La Main mil­lé­naire, Libr-cri­tique, Plexus‑S, Poez­ibao, Recours au poème, Reflets du temps, Remue, Salon lit­téraire, Saraswati, Sitaud­is, Terre à Ciel, Tut­ti mag­a­zine, Zone cri­tique, ain­si que dans les revues de la Comédie-Française, des Press­es uni­ver­si­taires de Rennes et des édi­tions Du Lérot. Pianiste et com­pos­i­teur de for­ma­tion (sous la direc­tion de Wal­ter Chodack notam­ment), il donne des réc­i­tals, en tant qu’interprète ou impro­visa­teur, qu’ils soient ou non reliés à la poésie comme lors du fes­ti­val inter­na­tion­al MidiMi­nu­it­Poésie. Pub­li­ca­tions : Sur la musi­cal­ité du vide, Ate­lier de l’agneau, 2001. Trav­el­ling, Con­tre-allées, 2001. Les Voitures tra­versent tes yeux, Con­tre-allées, 2002. Sur la musi­cal­ité du vide 2, Ate­lier de l’agneau, 2003 (Prix des Décou­vreurs 2007). Matière à respir­er, Créa­tion et Recherche, 2003. Recueil des caress­es échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin, Édi­tions de l’Atlantique, 2008. J’invente un sexe à ton sou­venir, Minus­cule, 2009. Une caresse pieds nus, Con­tre-allées, 2009. Débris de tuer (Rwan­da 1994), Ate­lier de l’agneau, 2010. Un seul coup d’aile dans le bleu, Fugue et vari­a­tions, Édi­tions de l’Atlantique, 2010. Ton départ ensem­ble, La Porte, 2011. Un père (Chant), Encres Vives, 2011. La Face de l’animal, Édi­tions de l’Atlantique, 2011. Vis­age vive, Gros Textes, 2011. Con­tre le nihilisme, Édi­tions de l’Atlantique, 2011. Le géno­cide face à l’image, Édi­tions L’Harmattan, col­lec­tion Ques­tions con­tem­po­raines, 2012 (essai de philoso­phie poli­tique). Tra­vers­er le verre, syl­labe après syl­labe, La Porte, 2012. Ari­ane Drey­fus, Édi­tions des Van­neaux, 2012. La cri­tique lit­téraire d’Alfred Jar­ry à « La Revue blanche », ANRT, 2012. Alfred Jar­ry à « La Revue blanche », l’intense orig­i­nal­ité d’une cri­tique lit­téraire, Édi­tions L’Harmattan, col­lec­tion Espaces lit­téraires, 2013. Ren­con­tre avec Balthus, La Porte, 2013. Ren­con­tre avec Lucian Freud, Édi­tions des Van­neaux, 2013. Alfred Jar­ry, cri­tique lit­téraire et sci­ences à l’aube du XXe siè­cle, Édi­tions du Cygne, col­lec­tion Por­traits lit­téraires, 2013. À jamais une ren­con­tre, Édi­tions Hen­ry, 2013. Etnach­ta, Édi­tions Le Chat qui tou­sse, 2013. Écrit sur l’eau, print­emps-été, La Porte, 2014. Écrit sur l’eau, automne, La Porte, 2014. Écrit sur l’eau, hiv­er, La Porte, 2014. Let­tres-poèmes, cor­re­spon­dance avec Gaudí, Édi­tions Abor­do, 2014.