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Le noir de l’étoile : entretien avec le physicien Jean Paul Martin

L’infiniment grand et l’infiniment petit sont des domaines dans lesquels le scientifique repousse constamment les limites de la connaissance. Dans le champ de l’astrophysique et de la physique des particules, les notions d’infini et de fini se côtoient, de même que le rapport entre l’invisible et le visible. Ces domaines sont troublants, passionnels et ils questionnent.

Les peintres et les poètes, tous les artistes sont exaltés par ces mondes impalpables et mouvants qui centralisent tout un répertoire d’images archaïques relevant des forces cosmiques, de l’immensité et du profond mystère de l’Univers. Bachelard parle de la double profondeur du cosmos et de l’âme humaine.

Jean Paul Martin, chercheur en physique des particules (Directeur honoraire au CNRS et Directeur Scientifique Adjoint de l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon, 1999-2002) est passionné d’art et de poésie. Il nous fait part ici de quelques-unes de ses réflexions sur le rapport science, art et poésie. Il s’appuie sur la réalité des connaissances scientifiques qui relèvent de son activité de recherche, tout en se référant à quelques-uns de ses collaborateurs et collègues, plus particulièrement à Jean-Pierre Luminet, poète et astrophysicien (Observatoire de Paris-Meudon) dont l’essentiel de l’activité scientifique porte sur ce que l’on ne voit pas, les trous noirs, la matière noire, l’énergie noire (quelquefois appelée énergie sombre) ou encore « les univers chiffonnés », c’est à dire l’architecture invisible du cosmos. Dans l’anthologie, qu’il dirige en 1998 avec Jean Oriset, il réunit les textes de poètes de tous les temps, « ces rêveurs d’univers » qui n'ont cessé d'interroger et de rêver le ciel : Virgile, Novalis, Rilke, Ponge, Réda, Maïakowski.

Jean Paul Martin.

L’entretien avec Jean Paul Martin est minutieusement détaillé, entrecoupé de moments de descriptions, de pauses réflexives où s’enrichissent et s’interrogent réciproquement, la science, l’art et la poésie.J’en rapporte ici quelques extraits.

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Tout d’abord, il serait intéressant que vous nous parliez de vos activités de recherche
En tant que physicien des particules, j’ai essayé de comprendre la structure fondamentale de la matière et ceci n'est possible que par une exploration de l’infiniment petit. C'est aujourd’hui par la notion d'expansion de l'Univers, issue de la théorie du Big-Bang, que l'on peut faire le lien entre l’infiniment petit et l’infiniment grand.
J’ai toujours été un scientifique et il est intéressant de comprendre que le scientifique essaye de décrire le mieux possible la réalité du monde dans lequel il vit. Il ne cherche pas une vérité. Il cherche à décrire une réalité et il la décrit de mieux en mieux à mesure que les connaissances progressent. Telle est sa démarche. Pour aller dans l’infiniment petit, au-delà du noyau de l'atome, il doit utiliser des appareils (accélérateurs de particules) de plus en plus puissants. Vous savez que l’atome est formé d’un noyau entouré d'un nuage d'électrons. Le noyau est lui-même formé de protons et de neutrons, à leur tour formés de petites entités, les quarks. Ces particules, sont pour le moment considérées comme élémentaires. En fait le mot « quark » nous vient du roman de James Joyce Finnegans Wake. En effet un physicien théoricien américain du nom de Murray Gell-Mann, avait essayé, dans les années 60, d'établir une classification des quelques particules élémentaires qui avaient été alors découvertes. Il avait imaginé que les particules élémentaires qui constituaient les protons et neutrons du noyau étaient toujours par trois. Il venait de lire Finnegans Wake, et, dans la version originale, l'un des chapitres commence par un petit poème en rapport je crois avec le roi Marc du mythe littéraire médiéval « Tristan et Yseult » : Three quarks For Muster Mark ! / Sure he has not got much of a bark / And sure any he has it’s all beside the mark. Murray Gell-Mann avait donc décidé d'appeler « quarks » ces trois entités qui étaient toujours ensemble pour former, entre autres, les protons et les neutrons.
Progressivement, au cours du XXe siècle, on a découvert qu’il existe en fait six quarks, tous de masses différentes, qui furent nommés quark up, quark down, quark strange, quark charm, quark bottom (ou beauty) et quark top (ou truth).
En plus des quarks, il existe une deuxième catégorie de particules élémentaires qui sont appelées les leptons (au nombre de six également). Le plus connu est l’électron. Quarks et leptons sont les douze constituants élémentaires de la matière, les « légos de l'Univers ».
Il faut bien sûr des « ciments » pour lier ces constituants élémentaires, on les appelle des interactions. Celles qui s'exercent dans l'infiniment petit sont les interactions fortes, les interactions faibles et les interactions électromagnétiques. Dans l’infiniment grand c'est l'interaction gravitationnelle qui domine.
Dans l'infiniment petit le Modèle Standard de la Physique des Particules nous permet de comprendre la façon dont les douze particules élémentaires et les trois interactions (forte, faible, électromagnétiques) sont reliées entre elles.
La clef de voûte de ce modèle est le boson de Higgs découvert en 2012. Il nous permet de mieux comprendre la façon dont les particules élémentaires acquièrent une masse. Nous voici donc maintenant avec un légo de l'Univers bien avancé ! Je voudrais aussi préciser qu’à l’échelle atomique et subatomique ce sont les lois de la mécanique quantique qui permettent de décrire les interactions fondamentales dans le Modèle Standard.
On vit aujourd’hui, dans la quête de la connaissance, de la compréhension du monde, une séparation de la science et de la poésie, des arts en général, alors qu’ils ne cessent de s’enrichir, de s’influencer et de s’interroger réciproquement. Comment la poésie vient-elle faire alliance avec vos propres démarches de recherche, avec les outils que vous utilisez et avec le rapport que vous entretenez avec vos objets d’étude ?
Tout d’abord, je voudrais répondre à la question de la séparation des mondes scientifiques et de la poésie. Nous vivons actuellement dans une époque où la même personne ne peut s’imposer à la fois comme grand poète, grand scientifique et grand artiste comme ce fut le cas pour Léonard de Vinci qui était à la fois peintre, ingénieur et architecte, et qui passait librement d’un domaine à l’autre. Ce n’est que plus tard que les domaines se sont catégoriquement divisés.
Aujourd’hui nous sommes, pour la plupart, tous spécialisés. Au-delà de la spécialisation, il est essentiel de sortir du sillon dans lequel nous nous sommes enfoncés pour aller voir un peu le sillon d’à côté et pour essayer de voir les relations que l’on peut nouer avec une autre spécialité. Parce qu’il y a toujours, quand même, des influences que l’on ne voit pas forcément du premier coup. Avec un peu de recul, on voit qu’elles ont pu être importantes. C’est en particulier le cas dans le domaine « art et science » dans lequel je me suis rendu compte d’un certain nombre d’influences réciproques.
Voici à titre d’exemple, deux points que je trouve très intéressants.
Je pense tout d’abord au paradoxe d’Olbers formulé en 1823 dans l’ouvrage  La transparence de l’espace cosmique comme suit :  « S’il y a réellement des soleils dans tout l’espace infini, leur ensemble est infini et alors le ciel tout entier devrait être aussi brillant que le Soleil ». Ce paradoxe peut être aujourd’hui résumé par la question suivante : pourquoi le ciel est-il noir la nuit alors qu’il y a dans notre galaxie des milliards d’étoiles ? Il avait déjà été formulée par d’autres avant lui, en particulier par J. Kepler et plus tard E. Halley. Ce paradoxe d’Olbers est très intéressant et l’explication a été donnée d’une façon juste, mais sans preuve, quelques années plus tard par Edgar Poe dans son essai intitulé Eurêka : « Si la succession des étoiles était illimitée, l’arrière-plan du ciel nous offrirait une luminosité uniforme, comme celle déployée par la Galaxie, puisqu’il n’y aurait absolument aucun point, dans tout cet arrière-plan, où existât une étoile. Donc, dans de telles conditions, la seule manière de rendre compte des vides que trouvent nos télescopes dans d’innombrables directions est de supposer cet arrière-plan invisible placé à une distance si prodigieuse qu’aucun rayon n’ait jamais pu parvenir jusqu’à nous. »
Edgar Poe a bien insisté dans son introduction sur le fait que son texte n’est pas un essai mais un poème. En effet si vous lisez la version intégrale en anglais (ou la traduction de Baudelaire qui est remarquable), à la fin de l’introduction il écrit, « Néanmoins c’est simplement comme Poème que je désire que cet ouvrage soit jugé, alors que je ne serai plus ». 
La cosmologie qui fit un bond prodigieux avec la découverte de l’expansion de l’Univers formalisée par la théorie du Big Bang en 1927, a apporté une explication supplémentaire en montrant qu’il existe un décalage du rayonnement des galaxies (qui s’éloignent les unes des autres) vers les grandes longueurs d’ondes. Leur lumière n’est donc plus aujourd’hui perceptible à nos yeux.
Le texte d’Eureka d’Edgar Poe, traduction française par Baudelaire : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1057832f/f25.texteImage ; en anglais  https://www.gutenberg.org/cache/epub/32037/pg32037-images.html
Il y a un autre point dans la relation entre poésie et science qui m’a touché profondément. On m’avait initié à la poésie de Saint-John Perse que j’aime beaucoup, et un jour j’ai écouté, dans une émission de radio le concernant, l’allocution qu’il a prononcé au Banquet Nobel du 10 décembre 1960 à Stockholm, après la cérémonie solennelle de remise de son prix Nobel de littérature.
C’est une allocution magnifique dans laquelle il essaie de montrer les rapports qui unissent la science et la poésie.
Je voudrais vous lire le début : « La poésie n'est pas souvent à l'honneur. C'est que la dissociation semble s'accroître entre l'œuvre poétique et l'activité d'une société soumise aux servitudes matérielles. Écart accepté, non recherché par le poète, et qui serait le même pour le savant sans les applications pratiques de la science. Mais du savant comme du poète, c'est la pensée désintéressée que l'on entend honorer ici. Qu'ici du moins ils ne soient plus considérés comme des frères ennemis.
Car l'interrogation est la même, qu'ils tiennent sur un même abîme, et seuls leurs modes d'investigation différent. Quand on mesure le drame de la science moderne découvrant jusque dans l'absolu mathématique ses limites rationnelles ; quand on voit, en physique, deux grandes doctrines maîtresses poser, l'une un principe général de relativité, l'autre un principe quantique d'incertitude et d'indéterminisme qui limiterait à jamais l'exactitude même des mesures physiques ; quand on a entendu le plus grand novateur scientifique de ce siècle, initiateur de la cosmologie moderne et répondant de la plus vaste synthèse intellectuelle en termes d'équations, invoquer l'intuition au secours de la raison et proclamer que « l'imagination est le vrai terrain de germination scientifique », allant même jusqu'à réclamer pour le savant le bénéfice d'une véritable « vision artistique » – n'est-on pas en droit de tenir l'instrument poétique pour aussi légitime que l'instrument logique ? »

Publication du dimanche, jour dédié aux réflexions sur la poésie : Discours prononcé à l'occasion du prix Nobel de Littérature lors du dîner de gala à la salle des fêtes de l'Hôtel de ville de Stockholm, le samedi 10 décembre 1960, après la cérémonie solennelle de remise des prix.

Il fait, dans ce dernier passage, allusion à Einstein et à sa théorie de la relativité générale ainsi qu’à la théorie quantique qui ont révolutionné la physique au début du XXe siècle.
Dans cette allocution il parle longuement du rôle essentiel à la fois du poète et du savant. Elle se termine ainsi : « Au poète indivis d'attester parmi nous la double vocation de l'homme. Face à l'énergie nucléaire, la lampe d'argile du poète suffira-t-elle à son propos ? Oui, si d'argile se souvient l'homme.
Et c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps ». 
L’astrophysique révèle d’autres façons de compréhension, comme « un sentier différent vers le magma obscur de la réalité » selon l’expression d’Hubert Reeves.
Cela nous fait prendre la mesure de cette notion vertigineuse du réel et du sens de l’univers. De son profond mystère, qui est commun pour le scientifique et pour le poète.
La cosmologie moderne date du début du XXe siècle. C’est d’abord Einstein qui, avec ses théories de la relativité restreinte puis de la relativité générale nous a obligé à reconsidérer les notions d’espace et de temps et nous a conduit à une théorie relativiste de la gravitation qui change notre façon de comprendre l’univers. Mais il était resté sur l’idée, comme tous les scientifiques de l’époque, que l’univers était stationnaire et immuable. L’astrophysicien et chanoine Georges Lemaître a eu l’idée de revoir les équations d’Einstein et de proposer l’hypothèse d’un univers en expansion en 1927. C’est le modèle de « l’atome primitif » qui deviendra le Modèle du Big Bang. En 1912, Vesto Slipher avait été le premier à observer le décalage vers le rouge de la lumière provenant de quelques galaxies. Puis en 1929, Hubble et Humason formulèrent la loi empirique reliant le décalage vers le rouge et la distance des galaxies. Elle confirmait ainsi les hypothèses de Lemaître de l’expansion de l’Univers. Par la suite deux autres preuves observationnelles décisives donneront raison aux modèles de Big Bang.
Puis on s’est rendu compte, dans les années 90, en étudiant les explosions d’un certain type de  supernova ( une étoile en fin de vie qui produit, entre autres, une gigantesque explosion qui s'accompagne d'une augmentation brève et très  grande de sa luminosité) que l’expansion de l’univers était en train d’accélérer. Cette accélération laisse penser qu’une énergie s’opposerait à la gravitation (parce que la gravitation doit rapprocher les corps matériels). On essaye donc de comprendre cette énergie que l’on appelle Énergie Noire. On a quelques idées de sa nature mais beaucoup de travail reste à faire.
En 1970 également, une astronome américaine, Vera Rubin, qui travaillait sur la vitesse de rotation des étoiles autour de centres galactiques, avait montré qu’il existait aussi une matière qui nous est invisible et qui est importante. On lui a donné le nom de Matière Noire (appelée aussi matière sombre). Elle représente presque un quart du contenu de l’univers, et l’on en recherche la nature. Les mots qu’utilisent les physiciens ont vraiment des résonances avec des choses dans l’imaginaire.
Cette matière noire, elle est avec nous, mais on ne la voit pas. On s’en rend compte par des effets gravitationnels extrêmement forts. Mais on baigne dedans. Elle est là, on le sait, mais on voudrait savoir de quel type de particules invisibles elle est formée. Des centaines de collègues la recherchent.
On essaye d’imaginer un monde qui aurait des particules qu’on appelle supersymétriques, à l’image des particules élémentaires, mais plus massives ce qui expliquerait pourquoi on ne les a jamais observées. L’une d’elles pourrait être la clé de la matière noire...
Ainsi, l'Univers serait composé à 4% environ de « matière ordinaire », à 23% de matière noire et à 73% d'énergie noire. La majorité de la masse des galaxies et des amas de galaxies se trouverait sous forme invisible.
Il nous reste beaucoup de chemin à parcourir pour comprendre l’Univers. Ceci dit, nous sommes capables dans les théories de Big-Bang, sous certaines hypothèses, d’imaginer le devenir de notre Univers.
Il pourrait se refermer sur lui-même (c’est le Big Crunch), ou continuer à s’étendre et disparaître (ce serait une sorte de mort thermique de l’Univers). Autre hypothèse, s’il y avait une accélération trop grande de l’Univers, celui-ci pourrait complètement se disloquer (c’est le Big Rip). Mais ce ne sont que des hypothèses du destin possible de notre Univers...
Le travail du scientifique qui doit maintenant essayer de percer les mystères de la matière noire et de l’énergie noire est immense !
Peut-on, comme Baudelaire, conférer au poète un rôle nouveau d’intermédiaire entre la Nature (dont le scientifique cherche à percer les mystères) et l’Homme (c’est à dire le scientifique lui-même) ?
Vous travaillez également avec des artistes, dans le monde du théâtre, de la musique de la photographie et même de la performance, pour faire connaître ces mondes complexes et en évolution ?
J’ai collaboré avec des metteurs en scène et comédiens, comme Gérald Robert-Tissot sur « Réalité quantique contre bon sens », à l'occasion de la création théâtrale En même temps (2010).
Je me souviens d’une très belle rencontre avec Bernard Kudlak, directeur du Cirque Plume lors d’un échange face au public avant l’un de ses magnifiques spectacles.
J’ai aussi longuement collaboré avec l’artiste Laurent Mulot à partir de 2007 sur le projet de Augenblick, travail sur le thème du CERN et dont les supports sont la photographie, le son et la vidéo.
Je lui ai proposé de venir au CERN où je travaillais, pour le mettre en présence, sous terre, avec une expérience scientifique située auprès de l’accélérateur de particules appelé LHC (Large Hadron Collider). C’est de là que lui est venue l’idée d’étudier ce que font les physiciens, et de s’intéresser aux collisions de particules qu’ils enregistrent. Il faut bien réaliser que l’on est à 100 m sous terre en moyenne et que l’accélérateur est dans un grand tunnel de 27 km de circonférence.
Puis il est allé à la rencontre des gens qui vivent en surface juste au-dessus, le paysan avec son tracteur et ses vaches, la caissière d’un supermarché, et bien d’autres... Ensuite il a juxtaposé les images des expériences scientifiques et celles qui ont été prises au même moment au-dessus, dans le paysage public, et il a mis en parallèle ces deux mondes, le monde des gens que l’on rencontre au quotidien et le monde de la physique des particules. Deux mondes qui ne se voient pas, ne se rencontrent pas, ne communiquent pas et qui pourtant sont dans une réelle proximité.  C’est très fort d’avoir pensé les choses de cette façon et c’est une ouverture extraordinaire entre les scientifiques dans leurs expériences souterraines et les gens qui vivent en surface. Leurs préoccupations et leurs interrogations sont proches.
Laurent Mulot a réalisé d’autres projets sur le même thème avec différents scientifiques (Augenblick :  http://mofn.ens-lyon.fr/augenblick-us.html).  Il a créé encore Aganta Kairos en relation avec une expérience sous-marine de détection de Neutrinos. (particules élémentaires qui appartiennent à la famille des leptons dont nous avons parlé au début). Ce sont des « particules (fantômes) élémentaires » dont certaines viennent de l’espace. Elles sont invisibles et nous traversent en permanence mais sans nous perturber. Ces neutrinos sont donc de véritables messagers venant du cosmos. Au départ on ne connaissait que la lumière comme messager de l’univers. Maintenant on a la lumière (ou plutôt au sens large le rayonnement électromagnétique) et les neutrinos. On a même un troisième messager du cosmos qui a été découvert en 2015, ce sont les ondes gravitationnelles. On reçoit donc, avec cette astronomie multi-messagers beaucoup d’informations sur notre univers, ce qui nous permettra de bien mieux le comprendre. L’installation Aganta Kairos montre toute cette réalité inspirée par les neutrinos.
 J’aimerai encore que vous me disiez un mot sur la réflexion que vous menez sur les rapports science et art dans le cadre de l’Université Ouverte Lyon 1 et du Musée des Beaux-Arts
J’ai commencé à m’intéresser à ces « regards croisés entre Science et Art » en 2007 avec un de mes collègues de l’université Lyon 1. Nous avons pris contact avec le musée des Beaux-Arts et nous avons proposé de faire des exposés à deux voix, un physicien et une médiatrice, sur la relation « Science et Art ».
J’y réfléchissais déjà depuis quelque temps. Il y avait un tableau qui avait attiré mon attention et qui m’avait beaucoup touché. Au musée des Beaux-Arts de Lyon est exposé un triptyque de Frédéric Benrath qui date de 2004 intitulé Le noir de l’étoile. Je me suis interrogé sur l’origine de ce titre. Je me suis rendu compte que le compositeur de musique contemporaine Gérard Grisey avait été inspiré par l’astronome américain Jo Silk qui lui avait fait découvrir le son des Pulsars (objet astronomique émettant un signal périodique). Il avait composé une œuvre musicale dans les années 90, qui avait elle-même influencé Benrath. Ce compositeur avait d’ailleurs collaboré avec Jean-Pierre Luminet lors de l’élaboration de son œuvre musicale. Il y a là toute une inspiration profonde et réciproque entre science, art, musique et poésie.
Et sur quels types de thématiques vous avez travaillé dans ce contexte ?
Nous avons commencé par choisir des thèmes en relation avec les œuvres du Musée des Beaux-Arts. L’idée était d’assurer une continuité entre les exposés théoriques et la médiation devant les œuvres elles-mêmes, et d’effectuer une autre approche des mêmes questionnements.
Les thématiques furent nombreuses. Au départ mon idée était de comparer les fractures qui s’opérèrent en art et en science lors du passage du XIXe au XXe siècle. Il s’agissait de chercher l’existence des signes précurseurs dans ce changement de la production de la pensée artistique et scientifique, et de voir si l’on ne pouvait parler que de coïncidences, ou bien s’il existait des influences réciproques...
De nouveaux courants de pensées ont émergé à cette époque dans les domaines de la science comme de l’art. La science a connu de profondes transformations, liées, entre autres, à de nouveaux modes d’approches et d’expérimentation. En peinture, le tableau devient l’expression d’une nouvelle perception de la réalité où la notion d’espace et de temps devient indissociable de l’œil et donc du point de vue. Cela questionne sur les nouveaux modes de perception de la matière qui aboutiront à une nouvelle vision du monde en science et en art.
Nous avons aussi proposé un exposé sur le vide, L’éloge du vide. Depuis longtemps, dans l’art, le vide est un élément essentiel. Mais en science, ce n’est que récemment, que le vide (quantique) est envisagé comme une entité très importante. Et on peut se demander si son énergie n’influencerait pas le comportement de l’Univers ?
D’autres sujets ont été abordés portant sur Les limbes du virtuel, ou sur Le chaos et la complexité, sur Le mouvement et la gravitation qu’expérimentent à la fois les artistes et les physiciens, et bien sûr sur Le gigantesque et le minuscule  : comment l’art appréhende-t-il ces dimensions extrêmes dans les évolutions de la figuration à l’abstraction ?
Dans ma pratique de recherche, il y a de vastes pays à prendre en compte et tout l’art c’est de les faire dialoguer, de regarder les influences et les analogies. C’est la poésie qui transporte les éléments d’un pays à un autre, c’est un passeur créatif. Le mot poésie ne signifie-t-il pas à l’origine « créer » ? La logique rationnelle du scientifique se trouve quelquefois face à la vraie fille de l’étonnement.