1

Jean-Marc Sourdillon, Jaccottet écrivant Au col de Larche

« Au col de Larche, j’ai eu l’impression d’approcher de ce qu’on peut éprouver de plus haut en soi-même » dit Philippe Jaccottet, cité par Jean-Marc Sourdillon, qui en fait, relève la genèse d’un texte, une écriture en train de s’écrire, c’est-à-dire de renaître et puis de naître. Soudain, la perception et l’audition du bruit d’un torrent déclenchent des souvenirs : la ville où Jaccottet a passé son enfance : Lauzannier. Etude minutieuse d’un texte où tout signifie depuis sa naissance en passant par ses développements, ses corrections successives, jusqu’aux réflexions d’auteurs ou de musiciens qui l’ont, en partie, ordonnée : toute la mémoire poétique se mettant au service du présent de l’écriture. Des mots forts, des jalons sont mis en évidence. Cette écriture est située par une haute précision, à un passage, un col entre deux versants, deux pays où Philippe Jaccottet et son épouse font halte pour dormir. Le bruit du torrent, de la cascade est une régularité, un rythme variable selon les époques de l’année, comparable à celui du poème pour aboutir «  à la parole vraie du torrent » dit Jaccottet et citant Hölderlin d’ajouter : «  de celui-ci, ce qui a jailli pur est énigme. » Diverses voix se mêlent et tout en restant distinctes ne font plus qu’une autour d’un même mot : torrent.

Il y a une volonté de s’approprier le réel pour le répercuter dans le large. L’ultime but de cette confrontation est la sortie du monde au quotidien, c’est toute une démarche de poète qu’ici se fait corps et s’extériorise, une volonté de battre en brèche le scepticisme. Nous puisons au cœur de la création poétique par étapes successives, par affinement. Une écriture émerge après hésitations, fait remarquer Sourdillon, mais celles-ci s’effacent aussitôt parce qu’elles amenuisent le texte, le déflorent peut-être. Ce col, ce passage, n’est-ce pas ainsi cet effort pour aller du réel s’éveillant vers le poème fixé dans sa forme et son fond, inséparables ? Il faut aller plus loin car ce poème n’est rien, il faut réfléchir et même « réfléchir avant d’écrire » insiste Philippe Jaccottet. Approche-t-on jamais le fond des choses, la partie invisible peut-elle être traduite ? Comment cerner par des mots l’essence du torrent et le laisser fluide, transparent, léger dans son être et dans sa tête ?

C’est un échange entre le manuscrit achevé et le manuscrit se faisant, entre le monde ordinaire et son devenir extraordinaire. Paroles d’un élément du monde pour celui qui sait écouter qui ouvrent sur une naissance et un bond nous entraînant toujours plus loin. Il suffit de se laisser aller aux mots, à leurs harmonies réciproques pour atteindre une certaine justesse d’images et de pensées. Cette analyse de Sourdillon, qui ne laisse rien au hasard, s’ajoute aux étapes successives du manuscrit et l’éclaire d’un jour propice.

Montrer le chemin de la source du poème en sa limite inextricable, chemin aux multiples facettes, aux apports tirant vers l’infini de leurs possibles, rend cette courte étude à sa brillance. Musique et sens intimement liés ouvrent à d’autres sens, insaisissables, prégnants, indicibles. Paroles ainsi dites, surgissement du monde extérieur via le monde intérieur , peut se réactualiser l’esprit de sa naissance, paroles lancées devant soi comme par delà le temps qui coule. Jean-Marc Sourdillon montre cette naissance, cette part d’invisible aussi, d’inouï qui traverse toute poésie jusqu’à presque l’oubli.

Jean-Marie Corbusier a publié chez Recours au Poème éditeurs :

Georges Perros / Un pas en avant de la mort