NOUS IRONS PIEDS NUS COMME L’IRE DES VOLCANS

Par | 8 septembre 2016|Catégories : Essais & Chroniques|

 

Un texte qui con­voque l’utopie, qui se lance dans la quête d’horizons, qui rêve au futur.

« L’amour est à réin­ven­ter »  — une révo­lu­tion utopique par l’amour, force de vie, bouf­fée pri­mor­diale, bulle d’air con­tre tous les poéticides.

Peut-on vivre la vio­lence des larmes, des pas­sions, des rires, bref d’un feu dévo­rant, dans un monde réglé avec la pré­ci­sion math­é­ma­tique d’une usine fordiste ? 

Un dépasse­ment du désen­chante­ment poli­tique d’une péri­ode cal­cinée et exsangue par une déc­la­ra­tion d’amour.

« Quelle sorte d’espoir met­tez-vous dans l’amour ? » inscrivaient en en-tête de leur revue les sur­réal­istes, et ils avaient rai­son : dans la révo­lu­tion comme utopie, et dans l’amour comme utopie. Comme force déchi­rante, comme coup de ton­nerre libérateur.

Comme Antigone, qui quand elle revient à Thèbes pour ten­ter d’a­pais­er la rival­ité entre ses deux frères, le fait pour dire « oui » à la vie, au futur, à la beauté et pour refuser, dans sa robe déchirée, toutes les man­i­fes­ta­tions de pou­voir. Et incar­n­er la part fémi­nine, celle du poé­tique, de l’amour sans jus­ti­fi­ca­tion, de la patience.

–Raphaël Joly, début décem­bre 2015

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NOUS IRONS PIEDS NUS COMME L’IRE DES VOLCANS

Par | 8 juillet 2016|Catégories : Blog|

 

 

 

Ver­sion Brève / Extraits

 

 La ver­sion inté­grale est disponible dans “Artichaut 1 – Révo­lu­tions.” : http://www.lechardonlitteraire.com/store/p2/Artichaut_%231_%7C_Révolutions.html 
 

« En vain dans la tiédeur de votre gorge mûris­sez-vous vingt fois la même pau­vre con­so­la­tion que nous sommes des mar­mon­neurs de mots

Des mots ? quand nous man­ions des quartiers de monde, quand nous épousons des con­ti­nents en délire, quand nous forçons de fumantes portes, des mots, ah oui, des mots ! mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée et des érésipèles et des palud­ismes et des laves et des feux de brousse, et des flam­bées de chair, et des flam­bées de villes    

                                               

 

 

                                                      Aimé Césaire, Cahiers d’un retour au pays natal, 1939

 

 

Nous irons pieds nus comme l’ire des volcans

dans d’im­pétueux dédales

d’in­nom­brables prairies

Quelle éva­sion

 

Nous nous proclamerons sol­idaires des atten­tats du gui

de ceux des mag­no­lias et des palétuviers

qui soulèvent le bitume

qui dis­putent aux béton­neuses les roy­aumes ordinaires

Nos renards dévoreront tous les caténaires

 

Ni les épaiss­es murailles de l’homme ni les ponts-levis lev­és ne nous arrêterons

Nos hordes de busards et de loups reten­tiront dans les cours intérieures

Nos rég­i­ments désor­don­nés et sauvages par­tiront à l’assaut de tous les remparts

Nos fleuves char­rieront une eau renouant avec la mémoire ances­trale des torrents

Nos charges de plas­tic céleste vien­dront à bout de la lèpre administrative

Nous remuerons le sang dans les entrailles de l’aorte

Nous haïrons toute forme de froide coagulation

 

Nous met­trons le feu aux déc­la­ra­tions d’amour religieuses et municipales

Les rubriques « Hyménée » des quo­ti­di­ens ne porteront pas notre nom

Nous boirons l’eau sacrée des fontaines jusqu’à la lie

La mièvrerie cré­tine pren­dra le poing de notre amour sur la gueule

 

Nos paroles ne seront pas soumis­es aux vieilles langues humaines

Nous inven­terons d’autres syllabes

bar­bares, élémentaires

Sans que s’étiole la conversation

L’enfance revien­dra

La vic­toire caressera l’espoir de nous appartenir

 

Nous ral­lumerons les flammes vacillantes

Nous ten­drons la main à des ramures de cerf à la tombée de la nuit

et leurs râles puis­sants irradieront l’azur

Nous respirerons avide­ment un air à nou­veau pur

Nous fer­ons par­ler les villes muettes

nichés dans les embrasures

 

Car les villes endormies rêvent de barricades

Les cités désertes rêvent de sueurs froides 

Pen­dant que notre monde en fusion cou­ve en silence

noc­turnes tor­rides et ta sueur chaude

Brasero vent brûlant souf­flant sur la braise

Feule­ments de tigres cramoisis 

 

L’ex­il de nos clans mon­gols déchir­era l’infini 

Puis nous nous retirerons comme se retire une horde d’un pays mis à sac

Nous retrou­verons des ter­rae incognitae

Nous retrou­verons le voyage

L’embrassade des feuillages

Les mots dits à l’oreille des arbres

 

La semence dans les racines

Le front butant sur la clav­icule des astres

Des buis­sons d’orties nous marcherons vers l’écume

comme l’aigle pris­on­nier dans sa cage en ronge lente­ment les bar­reaux cuivrés

Nous défierons l’ennui des bois d’un vert tendre

par le dimanche mar­qué du chant des rossignols

au fond des bosquets ténébreux

 

Nous arpen­terons pics crevass­es gouf­fres convulsions

Escarpes abruptes

Sols boulever­sés

Tor­rents furieux

Déserts arides

Eaux gron­dantes

Forêts noires

Nous vom­irons les riv­ières onctueuses

Les paci­fiques berges

Et les champs de betteraves

 

Il n’y aura rien entre nos peaux blanch­es et les feuilles

Nous n’au­rons jamais de para­pluie ni n’embrasserons de mod­ernes accessoires

Nous marcherons le corps exposé à la pluie, la chair nue sous les gouttes 

sans aucune forme de climatisation

d’aseptisation

Aucune forme de char­rue pour bless­er la terre

pour labour­er les chairs

 

Les étoiles sus­pendront leurs cours­es pour nous voir

La neige tombera drue pour nous voir

Les orages éclateront pour nous voir

Les car­rousels trem­bleront sur leur axe impétueux pour nous voir

Les fleuves sor­tiront de leur som­meil et de leur lit pour nous voir 

Les cigales et les gril­lons cesseront leurs appels nup­ti­aux pour nous voir 

Moi cheveux défaits

Ton vis­age d’homme goûtera sans réserve les odeurs ani­males du monde

Le frot­te­ment de nos peaux comme des silex

 

Etincelles mul­ti­ples

Nos souf­fles mêlés

Nos étreintes seront minérales

Nos mots mur­murés tonneront

Bouche sur ta poitrine

Je gou­vern­erai ton sang

Je serai maître de ton sanglot

Je serai lou­ve à l’aube

Lovée toute la nuit dans tes bras, avec la voûte et l’u­nivers entier

Mes seins exposés à la mor­sure du givre

 

Nous serons les brig­ands qui dévorent les bêtes de somme

Aven­turi­ers en Louisiane

Danseurs de tan­go à Buenos Aires

Braque­urs à Nice

Et ailleurs

Renards pâles

Trappeurs inu­its

Chas­seurs pygmés

Keshiks enflam­més

Nous embar­querons sur le Mal­doror rejoin­dre les périples des îles atlantides

Retrou­ver l’imprudence

 

Nous mon­terons à cru des chevaux sauvages

migra­teurs

sou­verains en leurs latitudes

Nous par­lerons le patois des félins

qui traceront nos routes

qui dessineront nos paysages

Faits de détroits inexpugnables

de bras de mer inflexibles

de ter­res désolées

de vents contraires

 

A notre flanc dans son étui d’étoiles brillera le revolver de la nuit

Et droit au tra­vers des lignes ennemies

Jamais embusqués

Départ pour le bruit neuf

Le salut sera à l’extinction du dernier lampadaire

Le pouls de la nuit fera un franc fracas

Devant notre incendie

 

Nos os joncheront une terre ocre

Nos vian­des illu­mineront des steppes

Les fer­ont vibr­er à perte de vue

Les fer­ont valser

 

Dans mon ven­tre pal­pit­era l’avenir

Nous lais­serons notre brûlure dévor­er le monde

Le feu sera notre guide 

Notre feu dévas­ta­teur vio­l­era la pax humana

Le vent souf­flera sur nos pas de cen­dres chaudes

 

Nous serons la voix qui dit que tout est grâce

Nous serons l’ange dans le sang qui déclare

L’insurrection

Des algues rouges

D’une tem­pête de nuit bleutée de nuitée électrique

Nous incendierons l’horizon de nos paroles suaves

 

Surtout sou­viens-toi

Sou­viens-toi que tu n’es pas poussière

Sou­viens toi que tu es feuille, pierre et neige

Sou­viens toi que tu es la lumière blanche de l’hiver

Nous irons pieds nus comme l’ire des volcans

Je t’aime 

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