Version Brève / Extraits
« En vain dans la tiédeur de votre gorge mûrissez-vous vingt fois la même pauvre consolation que nous sommes des marmonneurs de mots
Des mots ? quand nous manions des quartiers de monde, quand nous épousons des continents en délire, quand nous forçons de fumantes portes, des mots, ah oui, des mots ! mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée et des érésipèles et des paludismes et des laves et des feux de brousse, et des flambées de chair, et des flambées de villes
Aimé Césaire, Cahiers d’un retour au pays natal, 1939
Nous irons pieds nus comme l’ire des volcans
dans d’impétueux dédales
d’innombrables prairies
Quelle évasion
Nous nous proclamerons solidaires des attentats du gui
de ceux des magnolias et des palétuviers
qui soulèvent le bitume
qui disputent aux bétonneuses les royaumes ordinaires
Nos renards dévoreront tous les caténaires
Ni les épaisses murailles de l’homme ni les ponts-levis levés ne nous arrêterons
Nos hordes de busards et de loups retentiront dans les cours intérieures
Nos régiments désordonnés et sauvages partiront à l’assaut de tous les remparts
Nos fleuves charrieront une eau renouant avec la mémoire ancestrale des torrents
Nos charges de plastic céleste viendront à bout de la lèpre administrative
Nous remuerons le sang dans les entrailles de l’aorte
Nous haïrons toute forme de froide coagulation
Nous mettrons le feu aux déclarations d’amour religieuses et municipales
Les rubriques « Hyménée » des quotidiens ne porteront pas notre nom
Nous boirons l’eau sacrée des fontaines jusqu’à la lie
La mièvrerie crétine prendra le poing de notre amour sur la gueule
Nos paroles ne seront pas soumises aux vieilles langues humaines
Nous inventerons d’autres syllabes
barbares, élémentaires
Sans que s’étiole la conversation
L’enfance reviendra
La victoire caressera l’espoir de nous appartenir
Nous rallumerons les flammes vacillantes
Nous tendrons la main à des ramures de cerf à la tombée de la nuit
et leurs râles puissants irradieront l’azur
Nous respirerons avidement un air à nouveau pur
Nous ferons parler les villes muettes
nichés dans les embrasures
Car les villes endormies rêvent de barricades
Les cités désertes rêvent de sueurs froides
Pendant que notre monde en fusion couve en silence
nocturnes torrides et ta sueur chaude
Brasero vent brûlant soufflant sur la braise
Feulements de tigres cramoisis
L’exil de nos clans mongols déchirera l’infini
Puis nous nous retirerons comme se retire une horde d’un pays mis à sac
Nous retrouverons des terrae incognitae
Nous retrouverons le voyage
L’embrassade des feuillages
Les mots dits à l’oreille des arbres
La semence dans les racines
Le front butant sur la clavicule des astres
Des buissons d’orties nous marcherons vers l’écume
comme l’aigle prisonnier dans sa cage en ronge lentement les barreaux cuivrés
Nous défierons l’ennui des bois d’un vert tendre
par le dimanche marqué du chant des rossignols
au fond des bosquets ténébreux
Nous arpenterons pics crevasses gouffres convulsions
Escarpes abruptes
Sols bouleversés
Torrents furieux
Déserts arides
Eaux grondantes
Forêts noires
Nous vomirons les rivières onctueuses
Les pacifiques berges
Et les champs de betteraves
Il n’y aura rien entre nos peaux blanches et les feuilles
Nous n’aurons jamais de parapluie ni n’embrasserons de modernes accessoires
Nous marcherons le corps exposé à la pluie, la chair nue sous les gouttes
sans aucune forme de climatisation
d’aseptisation
Aucune forme de charrue pour blesser la terre
pour labourer les chairs
Les étoiles suspendront leurs courses pour nous voir
La neige tombera drue pour nous voir
Les orages éclateront pour nous voir
Les carrousels trembleront sur leur axe impétueux pour nous voir
Les fleuves sortiront de leur sommeil et de leur lit pour nous voir
Les cigales et les grillons cesseront leurs appels nuptiaux pour nous voir
Moi cheveux défaits
Ton visage d’homme goûtera sans réserve les odeurs animales du monde
Le frottement de nos peaux comme des silex
Etincelles multiples
Nos souffles mêlés
Nos étreintes seront minérales
Nos mots murmurés tonneront
Bouche sur ta poitrine
Je gouvernerai ton sang
Je serai maître de ton sanglot
Je serai louve à l’aube
Lovée toute la nuit dans tes bras, avec la voûte et l’univers entier
Mes seins exposés à la morsure du givre
Nous serons les brigands qui dévorent les bêtes de somme
Aventuriers en Louisiane
Danseurs de tango à Buenos Aires
Braqueurs à Nice
Et ailleurs
Renards pâles
Trappeurs inuits
Chasseurs pygmés
Keshiks enflammés
Nous embarquerons sur le Maldoror rejoindre les périples des îles atlantides
Retrouver l’imprudence
Nous monterons à cru des chevaux sauvages
migrateurs
souverains en leurs latitudes
Nous parlerons le patois des félins
qui traceront nos routes
qui dessineront nos paysages
Faits de détroits inexpugnables
de bras de mer inflexibles
de terres désolées
de vents contraires
A notre flanc dans son étui d’étoiles brillera le revolver de la nuit
Et droit au travers des lignes ennemies
Jamais embusqués
Départ pour le bruit neuf
Le salut sera à l’extinction du dernier lampadaire
Le pouls de la nuit fera un franc fracas
Devant notre incendie
Nos os joncheront une terre ocre
Nos viandes illumineront des steppes
Les feront vibrer à perte de vue
Les feront valser
Dans mon ventre palpitera l’avenir
Nous laisserons notre brûlure dévorer le monde
Le feu sera notre guide
Notre feu dévastateur violera la pax humana
Le vent soufflera sur nos pas de cendres chaudes
Nous serons la voix qui dit que tout est grâce
Nous serons l’ange dans le sang qui déclare
L’insurrection
Des algues rouges
D’une tempête de nuit bleutée de nuitée électrique
Nous incendierons l’horizon de nos paroles suaves
Surtout souviens-toi
Souviens-toi que tu n’es pas poussière
Souviens toi que tu es feuille, pierre et neige
Souviens toi que tu es la lumière blanche de l’hiver
Nous irons pieds nus comme l’ire des volcans
Je t’aime