Out­re d’animer le très sérieux site en ligne, Recours au poème, aux côtés de Mar­i­lyne Bertonci­ni, Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est égale­ment une poétesse con­fir­mée  — auteure à ce jour d’une bonne dizaine d’ouvrages dont le ton sou­vent sin­guli­er, et dont le dernier en date inti­t­ulé nihIL, témoigne à plus d’un titre de la vital­ité de la poésie fémi­nine d’aujourd’hui. 

Un recueil bref, mais auda­cieux au car­refour de divers gen­res (poésie, philoso­phie, sci­ence etc..) qui inter­prète les sym­bol­es à l’aide d’une séman­tique rigoureuse, où le lan­gage s’immisce abrupte­ment dans les méan­dres d’un ques­tion­nement sen­si­ble et qui sem­ble sans fin, où chaque mot, chaque phrase inter­prète une vision de nature cos­mogo­nique (cos­mique), mais pas seule­ment — car l’interrogation porte au-delà de l’utilisation académique du lan­gage et de la langue en recou­vrant des sphères inédites au sein desquelles la pen­sée se fond dans une hor­i­zon­tal­ité périlleuse qui heurte à bien des endroits, la manière d’appréhender le Monde.

Mais quel Monde au juste ? Car­ole Mes­ro­bian l’écrit elle-même dans sa courte intro­duc­tion. « Com­ment ren­dre compte de cette aber­ra­tion tau­tologique que sont le réel et les mots qui ser­vent à le nom­mer, le ren­dre audi­ble, lui con­fér­er une exis­tence. Par­ler, écrire, autant de ten­ta­tives qui demeurent tou­jours frac­tion­naires, redon­dantes, illu­soires, dans et par le lan­gage ». La ligne de con­duite est ain­si définie comme autant de ten­ta­tives qui demeurent «, frac­tion­naires, redon­dantes, illu­soires », dans et par, mais aus­si avec le lan­gage, con­tre lui. Faut-il alors com­pren­dre que ce que l’on qual­i­fie comme Réel, s’avère seule­ment être une sim­ple illu­sion, en trompe l’œil ? Dont la langue usitée pour­rait con­stituer un ultime piège ? Ain­si par­ler, écrire, sont-ils suff­isants pour ren­dre compte d’une attente plus grande, mais qui ren­voie tou­jours aux sources de l’impuissance évo­ca­trice et qui finis­sent presque logique­ment à oblitér­er les sources sym­bol­iques de la représentation ?

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian, nihIL, 2021, 44 pages, 12 euros, édi­tions unicité.

IL séjourne dans un espace impos­si­ble parce que nous cohab­itons avec le hasard. (P.11)

Une pre­mière réponse est don­née par l’auteure. En cela que l’espace impos­si­ble est aus­si et par exten­sion logique là-encore,  rivé (sournoise­ment ?) à l’immensité même de l’espace qui nous englobe… Par hasard ?

Pas sûr cepen­dant, car le hasard, autrement nom­mé, « imprévis­i­bil­ité », impré­dictibil­ité », est aus­si un fait sci­en­tifique, (un fait est un fait) ; ou bien encore selon cer­taines déf­i­ni­tions, « mys­tère de la Prov­i­dence ». Je pencherais quant à moi, vers cette dernière for­mu­la­tion qui n’a rien d’anodin, encore moins de gra­tu­it, parce que le hasard n’est lié à aucune cause com­mune, cepen­dant que :

Notre sit­u­a­tion entre­tien un quipro­quo archaïque. Nous agis­sons avec des mots dont l’immobilité absorbe les con­tours.  (P.11)

Ain­si le « mode d’action » est-il à son tour con­vo­qué, comme un « quipro­quo archaïque » qui finale­ment peu s’avérer dan­gereux car IL n’affirme rien de plus qu’un risque pos­si­ble d’erreur et de détourne­ment du sujet-objet, qui n’appelle pas une réponse claire­ment sig­nifiée et signifiante.

IL est de l’ordre du tâton­nement et de la quête ajournée …

IL révèle pré­cisé­ment son impuis­sance dans les con­tours, dans lesquels para­doxale­ment il s’affirme, en « tous points ».

La courbe stérile des let­tres détru­it notre imag­i­naire.  (Page 11)

Avec une pos­si­ble destruc­tion à la clé qui n’intervient pas for­cé­ment de manière sauvage, autant que bru­tale dans sa réal­i­sa­tion, alors que l’enjeu d’une re-nais­sance reste tou­jours probant :

IL rem­place sa fig­ure démi­urgique par une imi­ta­tion de sa trans­parence. Des nom­bres entre­ti­en­nent l’illusion d’une fic­tion écrite entre les traces de sa dis­pari­tion.  (P.11)

Et c’est bien alors et pour ten­ter une vaine expli­ca­tion (fic­tive et illu­soire), au moins pour ten­ter de sor­tir de l’aveuglement.

Une force cos­mique enterre nos déplace­ments sous le tra­jet de notre lib­erté. (P.13)

A con­di­tion toute­fois que cette dernière soit encore pos­si­ble, puisqu’au final,

Nos fan­tas­magories per­pétuent la tra­ver­sée inaboutie d’une chronolo­gie occulte. (P.14)

Comme sor­tie, extir­pée, de la pre­science div­ina­toire sans ris­quer de provo­quer un drame encore plus grand dont le vide serait le seul miroir accept­able — là encore la pru­dence sem­ble de mise.

Un chaos imper­cep­ti­ble recou­vre l’étendue d’une durée inco­ercible.  (P.15)

Si bien que l’espace-temps est lit­térale­ment congédié :

IL avale la durée de nos paroles parce qu’IL écrit avec des let­tres réversibles. (P.15)

Et plus encore pour nous per­dre encore plus inten­sé­ment, en inver­sant les portes d’entrée.

Il racon­te l’expérience légendaire de notre igno­rance en fal­si­fi­ant le corps de nos attentes. (P.17)

A tel point que l’on peut se deman­der si l’ignorance au fond ne serait pas le meilleur atout (rem­part) pour con­jur­er le mau­vais sort qui pèse sur nos con­sciences impar­faites, inachevées,  afin de démem­br­er (dénom­br­er) :

L’architecturé d’un lan­gage her­mé­tique (qui) délim­ite le périmètre de nos enfer­me­ments. (P.26)

Et c’est à mon sens, comme à juste titre, que l’on peut par­ler, sans risque cette fois-ci de « prob­a­bil­ité du CHAOS », comme « d’une dynamique inver­sée », échap­pa­toire pos­si­ble entre, « l’Ere du vide », et la con­struc­tion d’un sys­tème plus solide qui ne ren­ver­rait plus à la pré­car­ité « organique » et « cos­mique », en clair :

 Un écart entre l’interstice des inter­valles de nos paroles et la dis­tance d’une super­fi­cie dis­cur­sive laisse appa­raitre le frôle­ment de la durée. (P.28)

IL encore et tou­jours comme récep­ta­cle de sa pro­pre légende qui :

 attend dis­simulé sous une absence con­tra­dic­toire. (P.29)

Sauf que :

Une énergie despo­tique trans­porte notre his­toire vers un univers métaphorique. (P.29)

Nous le regar­dons avec des mots pour ten­ter d’énoncer sa dis­pari­tion. (P.32)

Comme un point de bifur­ca­tion que rend le lende­main (tout lende­main) aléa­toire et imprévis­i­ble si bien que :

IL enchaine nos tra­jec­toires à l’épicentre d’un dis­cours immuable.  (P.28)

Une har­monie prim­i­tive relie nos rôles au tronc des arbres. (P.36)

Ain­si autant de prob­a­bil­ités, que de con­tra­dic­tions qui con­stru­isent un Univers abrupt qui ne repose dès lors sur aucune réponse con­nue en ce Monde, et qui nous place con­stam­ment en posi­tion de déséquilibre.

Illu­sion encore qui nous fait croire que le Monde repose sur un socle solide­ment ancré dans la Terre. Mais d’ailleurs où donc est-elle passée ? Je ne l’ai point trou­vée. Ne l’aurais-je point vue, en ver­tu de ma pro­pre cécité ?

La pro­fondeur hal­lu­ci­na­toire de notre céc­ité s’articule à une impos­si­bil­ité anec­do­tique de nous taire. (P.34) et :

(opère) un efface­ment de notre dédou­ble­ment quand nous achevons de par­ler. (P.34)

Tout sem­ble dit en effet, et nous n’en voudrons pas à Car­ole Mes­ro­bian, d’avoir si intel­ligem­ment brouiller les pistes en nous mal­menant ain­si au sein d’une artic­u­la­tion qua­si-mythologique qui « tran­scende son achève­ment » et en amont notre des­tinée ; car il fal­lait bien qu’à un moment don­né, IL  « s’exprime dans la légende d’une tran­scen­dance inver­sée », sachant égale­ment que le pari était fort risqué d’intervertir les schèmes du lan­gage, en opérant une « décon­struc­tion pos­i­tive » de ses con­duc­tions dans une forme volon­taire­ment cir­cu­laire (mais non rou­tinière) avec au bout du compte un grand point d’interrogation….

 

 

Présentation de l’auteur

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Jean-Luc Favre-Reymond

Jean-Luc Favre-Rey­mond est né le 19 octo­bre 1963 en Savoie. Il pub­lie son pre­mier recueil de poésie à l’âge de 18 ans à compte d’auteur, qui sera salué par Jean Guirec, Michel Décaudin, et Jean Rous­selot qui devien­dra naturelle­ment son par­rain lit­téraire auprès de la Société des Gens de Let­tres de France. Il com­mence dès 1981, à pub­li­er dans de nom­breuses revues de qual­ité, Coup de soleil, Paroles d’Aube, Artère etc. Il est alors dis­tin­gué à deux repris­es par l’Académie du Disque de Poésie, fondée par le poète Paul Cha­baneix. Il ren­con­tre égale­ment à cette époque, le cou­turi­er Pierre Cardin, grâce à une série de poèmes pub­liés dans la revue Artère, con­sacrés au sculp­teur Carlisky, qui mar­quera pro­fondé­ment sa car­rière. Il se fait aus­si con­naître par la valeur de ses engage­ments, notam­ment auprès de l’Observatoire de l’Extrémisme dirigé par le jour­nal­iste Jean-Philippe Moinet. Bruno Durocher, édi­tions Car­ac­tères devient son pre­mier édi­teur en 1991, chez lequel il pub­lie cinq recueils de poésie, salués par André du Bouchet, Claude Roy, Chris­t­ian Bobin, Jacque­line Ris­set, Bernard Noël, Robert Mal­let etc. Ancien col­lab­o­ra­teur du Cen­tre de Recherche Imag­i­naire et Créa­tion de l’université de Savoie (1987–1999) sous la direc­tion du pro­fesseur Jean Bur­gos où il dirige un ate­lier de recherche sur la poésie con­tem­po­raine. En 1997, il fonde la col­lec­tion les Let­tres du Temps, chez l’éditeur Jean-Pierre Huguet implan­té dans la Loire dans laque­lle il pub­lie entre autres, Jean Orizet, Robert André, Sylvestre Clanci­er, Jacques Ancet, Claude Mourthé etc. En 1998, pub­li­ca­tion d’un ouvrage inti­t­ulé « L’Espace Livresque » chez Jean-Pierre Huguet qui est désor­mais son édi­teur offi­ciel, qui sera unanime­ment salué par les plus grands poètes et uni­ver­si­taires con­tem­po­rains et qui donne encore lieu à de nom­breuses études uni­ver­si­taires en rai­son de sa nova­tion. Il a entretenu une cor­re­spon­dance avec Anna Marly, créa­trice et inter­prète du « Chants des par­ti­sans » qui lui a rétrocédé les droits de repro­duc­tion et de pub­li­ca­tion pour la France de son unique ouvrage inti­t­ulé « Mes­si­dor » Tré­sori­er hon­o­raire du PEN CLUB français. Col­lab­o­ra­teur ponctuel dans de nom­breux jour­naux et mag­a­zines, avec des cen­taines d’articles et d’émissions radio­phoniques. Actuelle­ment mem­bre du Con­seil Nation­al de l’Education Européenne (AEDE/France), Secré­taire général du Grand Prix de la Radiod­if­fu­sion Française. Chercheur Asso­cié auprès du Cen­tre d’Etudes Supérieures de la Lit­téra­ture. Col­lab­o­ra­teur de cab­i­net au Con­seil Départe­men­tal de la Savoie. Auteur à ce jour de plus d’une trentaine d’ouvrages. Traduit en huit langues. Prix Inter­na­tion­al pour la Paix 2002