Cha­cun au Japon se doit d’atteindre

son som­met une fois au moins dans sa vie

jusqu’à touch­er le mag­ma pétrifié

au bord du cratère redouté. /…/

On l’aura recon­nu, ce « cœur bat­tant du monde », le célèbre Mont Fuji, immor­tal­isé à jamais par les pinceaux d’Hokusai (1760–1849).

Jacques Ibanès, musi­cien, chanteur, poète, « voyageur de l’âme », nous invite « dans la pointe aigu­isée du présent » à suiv­re les traces du « Vieux Fou de dessin » qui toute sa vie célébra la mon­tagne sacrée sous dif­férentes formes, dif­férents angles, dif­férentes couleurs. Une ascèse pour dire « l’essence des choses ». Un chemin de vie.

 

Dans ses estam­pes il était devenu très fort

il don­nait à enten­dre le clapotis

d’ailes des oies qui naviguent

et celui des cigognes à couronne rouge

lors des grandes migrations. /…/

Jacques Ibanès, Hoku­sai s’est remis à dessin­er le Mont Fuji, dessins aquarel­lés d’Anne-Marie Jau­maud, L’An Demain édi­tions, mai 2020, 78 pages, 8 euros.

L’espiègle Fuji se mérite. « Monde flot­tant », il change sans cesse selon l’heure, la sai­son, la lumière, le point de vue… Nom­breux sont ceux qui s’y aven­turent : tout un manège de pèlerins, de marchands, de paysans, d’artisans, de fonc­tion­naires se pressent à ses flancs, soit pour le tra­vail, soit pour la con­tem­pla­tion. Faune et flo­re elles-mêmes chantent la gloire de la mon­tagne « avec déférence ». C’est que le Fuji, à l’âme facétieuse, en impose. Entre sérénité et dévas­ta­tion, il aime rap­pel­er à cha­cun que « tout est illu­sion ». C’est un mont philosophe, un refuge pour les sanc­tu­aires shin­toïstes, un lieu de médi­ta­tion à la per­fec­tion conique idéale.

Couleurs, per­spec­tives, le pein­tre Hoku­sai, souligne Jacques Ibanès, restitue la nature du « mont-vol­can »par tous les sens, l’ouïe, la vue, le touch­er… car il le ressent physique­ment comme par­tie inté­grante de lui-même. Il se recon­naît dans « ses crevass­es, ses effon­drements », l’homme et la mon­tagne ayant fini par se con­fon­dre. Mêmes rides, même « fiévreuse inten­sité », même céré­mo­ni­al, chacun salu­ant l’autre au petit matin.

Out­re les cinq sens, pour pein­dre « l’empereur des cimes » et la vie quo­ti­di­enne qui s’y joue, le sage con­voque les qua­tre élé­ments : « les pétales de la neige », « les typhons brûlants d’été », « les bour­rasques d’hiver », « les défla­gra­tions sis­miques »... Le Fuji, en soi, est une total­ité, une présence, un mythe.

Le grand maître, à l’instar de son mont vénéré, a fini par se voir de partout, tant son influ­ence a été grande sur la pein­ture ori­en­tale et occi­den­tale qu’il a su con­cili­er. (Pen­sons à Van Gogh, Gau­guin, Mon­et, Sis­ley… à la pas­sion de l’époque pour le japon­isme.) Dès sa pub­li­ca­tion en 1830, la série d’e­stam­pes de paysage inti­t­ulée Trente-six Vues du Mont Fuji con­nut un suc­cès fulgurant.

« Com­ment oublierait-on Fuji ? » Com­ment oublierait-on Hoku­sai qui le mag­nifia avec humil­ité jusqu’à la fin de sa vie ? Le poète Jacques Ibanès et l’artiste Anne-Marie Jau­maud nous don­nent à revivre, dans une alliance très intime, cette « péren­nité » à l’œuvre par­mi nous, avec le même souci que le pein­tre : nous « laiss­er guider par la déesse / de la beauté et du bonheur ».

image_pdfimage_print
mm

Marilyse Leroux

Mar­il­yse Ler­oux, née à Vannes au bord de la mer, mem­bre de Don­ner à voir depuis 1986, éditée depuis les années 80 en revues, recueils et antholo­gies, écrit prin­ci­pale­ment de la poésie ou en fait écrire depuis 1976 au sein d’ateliers d’écriture pour jeunes et adultes. Elle est égale­ment nou­vel­liste (nou­velles pub­liées en revues et aux édi­tions Rhubarbe) et roman­cière pour la jeunesse (éd. Stéphane Batigne). Elle aime partager des pro­jets avec dif­férents artistes : pho­tographes, pein­tres (nom­breux livres d’artiste), col­lag­istes, écrivains, poètes, musi­ciens, car, chez elle, l’écriture se veut avant tout voy­age, aven­ture, ric­o­chets. Sa devise, emprun­tée au poète Saint-John Perse est “Poésie pour mieux vivre et plus loin.” Elle explore plusieurs voies d’écriture, en pre­mier lieu une expres­sion intimiste liée aux sen­sa­tions et à leur réso­nance intérieure comme dans : Herbes (Ed. Don­ner à Voir, 1995) Grains de lumière (L’épi de sei­gle, 1999) Le fil des jours, (Don­ner à Voir 2007) Quelques ros­es pour ton jardin (Ate­lier de Grou­tel, 2011) Le temps d’ici (Ed. Rhubarbe 2013, Prix des Écrivains Bre­tons, extraits parus dans Poètes de Bre­tagne, éd. de la Table Ronde), Ancrés, éd Rhubarbe 2016, Le sein de la terre, La Lucarne des Écrivains, 2018, Prix Maram Al-Mas­ri. À paraître en 2020 : Nés arbres, L’Ail des ours, On n’a rien dit de l’océan, L’Atelier des Noy­ers, Une île, presque, Inter­ven­tions à Haute Voix. Pho­togra­phie : Yvon Kervinio