On lit ce qui fait écho, on longe sinon des murs qui restent muets. Un per­son­nage de mon roman en cours for­mule ain­si son con­flit intime : être muet dans l’extase, ou écrire en pla­giant… telle serait la ques­tion… Il me sem­ble que Jean-Christophe Ribeyre déroule la même alternative. 

Chez lui, le Je est « recon­fig­uré, numérisé », « mod­élisé », voilà pourquoi il attend, il cherche la relève de ce pur pla­giat qu’est le

Je, sim­ple donnés
Enreg­istrée,
déver­sée

Il voudrait

                  Appartenir au mys­tère neuf
de ce qui tou­jours se tait

Jean-Christophe Ribeyre, La Relève, éd. L’ail des ours, coll. Grand ours, 51 pages, 6 €. Illus­tra­tions de Marie Alloy.  

D’emblée, dès la pre­mière page, la recherche est énoncée :

Je voudrais habiter
l’imprévu,
ce temps choisi 
de la lenteur

Ce temps, ajoute-t-il, « sim­ple­ment / qui met au monde »… mais on en reste au mode con­di­tion­nel, et la con­di­tion reste introu­vable, qui per­me­t­trait de « marcher / du pas de la / lumière / sur l’herbe du matin ». Ce qui adviendrait tiendrait de la paix du monde, que le poète devine « dans la rosée un instant au bord du chemin », « l’odeur verte des blés », la légèreté d’un bais­er » ; et siègerait dans l’équivalence de l’être et du néant, « où ce qui est déjà n’est plus ». 

Yves Bon­nefoy a décrit son arrière-pays, il le par­courait sans y être pour­tant, il le pressen­tait der­rière l’indépassable hori­zon. À ce titre on pour­rait le qual­i­fi­er, selon la tra­di­tion poé­tique,  de « voy­ant » – comme seuls les aveu­gles sont capa­bles de l’être… Alors que Jean-Christophe Ribeyre sem­ble, suite à quelle con­damna­tion, ban­ni du sien. Parce que son arrière-pays serait pour­voyeur d’effroi autant que de jouis­sance ? Cet état de jouis­sance muette où rien n’est plus d’être intensément… 

Hélas on remonte tou­jours dans le « train où vont les choses », pour peu qu’on en soit descen­du un instant. Afin d’y trou­ver refuge, pour ne plus trem­bler on s’absente de soi…

Mais on n’oublie pas ce qui nous a saisi sans nous saisir, on reste fidèle à l’expérience rêvée, on en a ramené une cer­taine lib­erté : on ne sera plus utile «  à quiconque oserait pren­dre pos­ses­sion », on n’écrase plus, on n’humilie plus, on cherche à ne plus « étouf­fer en son nom » 

J.- C. Ribeyre recon­naît l’un et l’autre, celui qu’il souhait­erait ne plus être et celui qu’il serait.

Ain­si notre poète allie l’intelligence au sen­si­ble. Sa poésie pense, quel bon­heur ! Elle ques­tionne notre con­di­tion de par­lants qui nous astreint à l’« absence de soi à soi / et au monde ». Puisque c’est la langue qui nous coupe du monde en instau­rant un signe à la place de la chose, dans un pur rap­port de gra­tu­ité. Ain­si le signe hon­ore-t-il son éty­molo­gie : le latin signum aura fini par désign­er la stat­ue, qui est le sim­u­lacre (sim­u­lacrum) de la chose. 

Le pro­jet poé­tique est donc frap­pé d’entrée d’impossibilité : impos­si­ble de s’y établir, on ne peut en avoir que le pressen­ti­ment. Sous des dehors sim­ples et avenants, Jean-Christophe Ribeyre est un poète tragique. 

Quand elle ne recon­naît pas ce hia­tus, la poésie reste une mignardise. 

 

Jean-Christophe Ribeyre, La Relève, éd. L’ail des ours, coll. Grand ours, 51 pages, 6 €. Illus­tra­tions de Marie Alloy.  

Présentation de l’auteur

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Mathias Lair

Math­ias Lair Liaudet est écrivain, philosophe et psy­ch­an­a­lyste. Il a pub­lié une trentaine de poèmes, romans et nou­velles, d’essais chez une trentaine d’éditeurs qu’on dit « autres ». On trou­ve ses chroniques dans les revue Décharge et Rumeurs ; égale­ment des notes de lec­ture et cri­tiques dans divers­es revues et divers sites. Sous le nom de Jean-Claude Liaudet, il a pub­lié des ouvrages de psy­ch­analyse, et par­fois de poli­tique, chez L’Archipel, Fayard, Flam­mar­i­on, Albin Michel, Odile Jacob. Depuis qu’il a créé, dans les années 80, le CALCRE (Comité des Auteurs en Lutte Con­tre le Rack­et de Édi­tion) il défend le droit des auteurs. Il est actuelle­ment élu au comité de la SGDL (Société des Gens De Lettres).