Luce Guilbaud, La perte que j’habite

Par |2024-02-06T13:04:29+01:00 6 février 2024|Catégories : Critiques, Luce Guilbaud|

Arasé. Tel est le pre­mier mot qui m’est venu à la lec­ture de La perte que j’habite : écrit à ras du lan­gage. C’est la mort qui veut cela. Face à la dis­pari­tion, rien n’apparait plus – sinon le rien de la mort de l’être aimé avec qui on avait fait la vie. 

Plus d’un poème décrit le monde tel qu’on le voit désor­mais, dans sa plat­i­tude : il est devenu muet. C’est que 

jamais ne sera rendu
      l’éclat des luci­oles dans la cham­bre ni
      le regard qui me dis­ait vivante.

En même temps, quelque chose veut per­sis­ter. Pour lui, pour soi.

je ranime le feu
avec mon souf­fle de vivante
c’est la flamme qui danse

Luce Guil­baud, La perte que j’habite, les Cahiers du Loup bleu, éd. Les Lieux-Dits, 2023, 44 p., 7 €.

vite rabattue

et se pré­pare aux cendres
mais aucun feu plus jamais

On reste là, dans l’entre-deux, ni morte ni vivante. D’où le pro­jet du poème annon­cé d’entrée :

le poème voudrait penser
ce qui a été étouf­fé    étranglé
ce qui s’est éteint
ce qui s’est tu

Il s’agit pour Luce Guil­baud de penser cette perte où elle se perd, qu’elle habite alors que les mots l’abandonnent. Voilà ce que l’on va suiv­re à la trace de notre lec­ture : la résur­gence du poète, lestée désor­mais d’une absence. Tel est son com­bat, c’est aus­si le nôtre, ou le sera un jour. Avec cette difficulté :

ce que je cherche à voir
c’est sans doute ce que je fuis

Une recherche que l’on suit page après page, dans l’attente d’un dénoue­ment qui ne vien­dra pas comme on l’attendait, parsemée de bon­heurs d’écriture, comme : « celui qui part avec mes clés » ; « tenir ta main dans la terre remuée » ; « le print­emps sera sans réponse »… 

Dans son avancée, Luce Guil­baud con­voque des poètes qui l’ont tenue, Mari­na Tse­taïe­va, Georges Séféris, Rober­to Juaroz, Pas­cal Quig­nard, c’est Aragon qui aura le dernier mot, clouant sur la dernière page du poème « le lieu de nous où toute chose se dénoue ».

Et pour­tant, « le sourire est tou­jours sur le seuil » écrit Luce Guil­baud. Ce sourire qui éclaire si bien son vis­age, pour qui la con­naît un peu. Le mot de la fin pour­rait être

Sourire pour accom­pa­g­n­er ton départ
Vers ce pays sans nom sans réveil sans rêve

qui est le lieu décrit par Aragon. À moins que nos pen­sées ne soient que van­ité… ces pen­sées que le poème devait bâtir. Comme si vivre encore serait trahir le mort… alors que, dit le poète cité, Rober­to Juaroz, « vivre com­mence tou­jours main­tenant »

Cette pla­que­tte est la cinquan­tième paru­tion de la col­lec­tion du Loup bleu, Sylvie Turpin l’a l’illustrée avec un ani­mal bleu comme il se doit, au regard perçant, on dirait qu’il va bien­tôt détaler en dehors de la cou­ver­ture. Lui aussi…

 

Présentation de l’auteur

Luce Guilbaud

Luce Guil­baud est née en 1941 en Vendée. Pein­tre et poète, elle est pro­fesseur d’arts plas­tiques. Elle vit et tra­vaille dans la région de Mon­tar­gis et en Vendée.

Bibliographie

Œuvres écrites par Luce Guilbaud

  • Pierre de souche, Georges Mon­ti, 1977.
  • La Chair à vif des ros­es, Le Pont de l’épée, 1978.
  • En retard d’une foudre, Le Pont de l’épée, 1984.
  • Présages et trem­ble­ments, La Bar­tavelle, 1989.
  • Partage du couchant, La Bar­tavelle, 1997.
  • Le Cœur antérieur, Le dé bleu, 1998. Cou­ver­ture de Sylvie Turpin.
  • L’Homme per­pen­dic­u­laire dans sa nuit, Encres vives, 1999.
  • À mon seul désir, Les petits clas­siques du grand pirate, 2001. Accom­pa­g­ne­ment de Sylvie Turpin.
  • Les oiseaux sont pleins de nuages, Soc et foc, 2001. Illus­tra­tions de Line Gour­gues. Pour la jeunesse.
  • Rouge incer­tain, Le dé bleu-Écrits des forges, 2002. Cou­ver­ture de Sylvie Turpin.
  • Une pluie de non retour, Dumerchez, 2002. Gravures de Sylvie Turpin.
  • Une robe de feuilles, Ficelle, no 51, Ate­lier V. Rougi­er, 2003.
  • Du sel sur la langue, Soc et foc, 2004. Illus­tra­tions de Clau­dine Gabin. Pour la jeunesse.
  • Comme elle dirait la mer, Tara­buste, 2004. Dessins de Chris­t­ian Bonnefoi.
  • Noir et après, Édi­tions Alain Benoit, 2004. illus­tra­tions de Bernard Joubert.
  • Au terme de l’abeille, Ficelle, no 87, Ate­lier V. Rougi­er, 2008. Gravures de Vin­cent Rougier.
  • L’Enfant sur la branche, L’Idée bleue-Cadex, 2008. Illus­tra­tions de Fan­ny Mil­lard. Pour la jeunesse.
  • Feuil­lée de vert avec retouch­es, Tara­buste, 2009. Fron­tispice de Jean-Louis Gerbaud.
  • Iris (Danièle Fournier et Luce Guil­baud), Québec, L’Hexagone, 2012.
  • Au présent d’infini, Ficelle, no 107, Ate­lier V.Rougier, 2012. Gravures de Vin­cent Rougier.
  • Nuit l’habitable ou le dit d’amour épris, Les arêtes, 2012. Accom­pa­g­ne­ment de Bernard Joubert.
  • Pas encore et déjà, suivi de Trame, Hen­ry, 2012. Cou­ver­ture d’Is­abelle Clément.
  • Par les plumes de l’alouette, 2012, Corps puce, 2012. Pho­togra­phies de Camille Bon­nefoi. Pour la jeunesse.
  • Nav­iguer dans les marges, Soc et foc, 2013.Illustrations de Maïté Laboudigue. Pour la jeunesse.
  • Mère ou l’autre, Tara­buste, 2014.
  • Le Sourire du scarabée, La renarde rouge, 2014. Illus­tra­tions de Nel­ly Buret. Pour la jeunesse.
  • Vent de leur nom, Hen­ry, 2015.
  • Dans mes filets, Ficelle, no 124, Ate­lier V.Rougier, 2016. Gravures de Vin­cent Rougier.
  • L’E­sprit des lieux, La main qui écrit, Saint-Omer en toutes let­tres, 2016.
  • Demain, l’in­stant du large, Lan­sk­ine, 2017.
  • Débor­dé pour­pre, Les Lieux-Dits Édi­tions. Col­lages de Sylvie Turpin, 2020.
  • Où la cham­bre d’en­fant, Col­lec­tion Doute B.A.T., Tara­buste, 2020.
  • Per­spec­tive flot­tante, marais poitevin, vignettes de V. Rougi­er, Vin­cent Rougi­er édi­tions, coll. Plis urgents, 59, 2021.
  • Au bord de l’autre, gravures de Sylvie Turpin, Ate­lier des noy­ers, 2021.
  • La Perte que j’habite, ill. de Sylvie turpin, Cahiers du Loup bleu, Les Lieux-Dits édi­tions, 2023.

Œuvres écrites et illustrées par Luce Guilbaud

  • La Muta­tion des racines, SGDP, 1975.
  • L’Âge des ter­res flu­ides, Arcam, 1979 (encres).
  • Les Repaires de la nuit, Le dé bleu, 1979 (cou­ver­ture illustrée).
  • Les Mous­tach­es vertes, Far­fadet, Le dé bleu, 1981 (réédi­tion en 1986 et 1997). Pour la jeunesse.
  • La petite feuille aux yeux bleus, Far­fadet, Le dé bleu, 1983 (réédi­tion en 1998). Pour la jeunesse.
  • Dérivée, Soc et foc, 1984 (encres).
  • Le Dormeur d’épaves, Pold­er, Décharge, 1986 (cou­ver­ture illustrée).
  • Une journée, quelques mots sim­ples, La Bar­tavelle, 1992 (réédi­tion en 1999).
  • Des four­mis dans les mots, L’épi de sei­gle, 1997 (cou­ver­ture illus­trée, réédi­tion en 1999). Pour la jeunesse.
  • Une cigale dans la tête, Far­fadet, Le dé bleu-Écrits des forges, 1998. Pour la jeunesse.
  • Auto­por­trait à ciel per­du, Tara­buste, 1998 (mono­types).
  • Qui ? Que ? Quoi ?, Tara­buste, 2002 (col­lages). Pour la jeunesse.
  • Poèmes du matin au soir, Le dé bleu-Écrits des forges, 2004 (cou­ver­ture). Pour la jeunesse.
  • San­guine, La renarde rouge, 2005 (mono­types).
  • Ici rouge-gorge, La renarde rouge, 2009 (mono­types). Pour la jeunesse.
  • Incar­nat, Con­tre-allées, 2011.
  • Qui va là ?, Les car­nets du dessert de lune, 2013 (col­lages). Pour la jeunesse.
  • Renouées (Aman­dine Marem­bert et Luce Guil­baud), Les édi­tions du petit pois, 2014 (mono­types).
  • Aux qua­tre ori­ents le fleuve, Vaga­mun­do, 2015 (encres).
  • Risques et reliques, Le cordel de Luce Guil­baud, Les arêtes, 2016 (encres).
  • Appels en absence, Les édi­tions du petit pois, 2017 (encre de couverture).
  • Couleurs par ci, couleurs par là, Hen­ry (coll. Bleu marine), 2018. Pour la jeunesse.
  • Grandir plus loin, La Renarde rouge, 2018. Pour la jeunesse.
  • Qui va avec ailes, Édi­tions Les Car­nets du Dessert de Lune, 2019. Pour la jeunesse. Prix Vercelé.
  • Amour dor­mant, édi­tions Al Man­ar, 2020 (2 édi­tions dont un livre d’artiste).
  • Mourir enfin d’amour, suivi d’Amour dor­mant, édi­tions Al Man­ar, 2021 (3 monotypes).
  • Sourire de Lune (antholo­gie), Les Car­nets du dessert de lune (col­lec­tion Petite lune), 2022. Pour la jeunesse.
  • Une leçon de présence, édi­tions Al Man­ar, 2023 (mono­types).

Livres d’artiste

  • Tress­er les heures, poème de L. Guil­baud, pho­togra­phies et réal­i­sa­tion plas­tique de Cristi­na de Melo, 2009.
  • Cal­en­dri­er d’arbres, texte de Patrick Joquel, con­cep­tion graphique et mono­types de L. Guil­baud, Édi­tions de la Pointe Sarène, 2009.
  • L’amour m’avait trouée vivante, poème de L. Guil­baud, réal­i­sa­tion plas­tique de Nel­ly Buret, Édi­tions Entre 2, 2010.
  • Méan­dres, cahi­er d’artiste, série 2, poème de L. Guil­baud, réal­i­sa­tion plas­tique de N. Buret, Édi­tions Entre 2, 2010.
  • La Foudre sur le cray­on, texte de Maria Gabriela Llan­sol, couv. et 20 mono­types de L. Guil­baud (papi­er Népal pour les tirages de tête), Les Arêtes, 2010.
  • Brais­es, poème de L. Guil­baud, réal­i­sa­tion plas­tique de N. Buret, Édi­tions Entre 2, 2010.
  • Écorces et lichens, texte de Patrick Joquel, ill. de L. Guil­baud, Les cahiers du Museur, 2011.
  • Le Rien du tout, texte de Claude Vercey, ill. de L. Guil­baud, Les cahiers du Museur, 2012.
  • Exis­ter trem­ble, texte de Jea­nine Baude, accom­pa­g­ne­ment de L. Guil­baud, Livre pau­vre, 2013.
  • Debout sur la mer, poème de L. Guil­baud, gravure de Sylvie Turpin, Les cahiers du Museur, 2013.
  • Toute une forêt, texte de Romain Fusti­er sur une gravure de L.Guilbaud, Livre man­u­scrit, chez l’artiste, 2013.
  • Quelque chose manque ou quelqu’un, poème de L.Guilbaud, gravures de N. Buret, Typogra­phie de Fred Ouri, Édi­tions Entre 2, 2014.
  • Jardin d’en haut, poème de Flo­rence Saint-Roch, 21 mono­types de L.Guilbaud (papi­er Népal pour les tirages de tête), Les cahiers du Museur, 2016.
  • Ces jours heureux, texte de Jea­nine Baude, Mono­type L. Guil­baud (Pour les 30 ans de la Mai­son de la poésie Rhône Alpes), 2016.
  • Laisse de mer, poème de L. Guil­baud, Gravures et con­cep­tion graphique de N. Buret, Édi­tions Entre 2, 2017.
  • His­toire sor­cière, poème de L. Guil­baud, estam­pes d’Yves Pic­quet, Édi­tions Dou­ble-cloche, 2018.
  • Mourir enfin d’amour, poème de L. Guil­baud, Aquarelles et mise en page de Jacky Essir­ard, Ate­lier de Ville­morge, 2018.
  • Rouge à poing, texte d’Yvette Calas, La Mai­son ronde, 2020.
  • L’Heure d’hiv­er, poème de Luce Guil­baud, livre-objet d’Yves Pic­quet, 2021.
  • Le Dernier Pas avant la mer, Port-folio de Nel­ly Buret (pho­togra­phies) sur un poème de L.Guilbaud, Nel­ly Buret éditrice, coll.A2, 2022.
  • Pluie et vent, texte de Marie Huot, Les cahiers du Museur, 2023.

Ouvrages accompagnés par Luce Guilbaud

  • Jean-Gabriel Coscul­luela, L’affouillé, Jacques Bre­mond, 1980.
  • Jean-Pierre Georges, Dizains dis­ette, Le dé bleu, 1987.
  • Jacques Bré­mond, Cette ville aux quinze portes, La Bar­tavelle, 1990.
  • Jacques Char­p­en­treau, Musée secret, Les édi­tions Ser­penoise, Press­es uni­ver­si­taires de Nan­cy, 1992.
  • Jacque­line Held, Ton chat t’écoute, Le dé bleu, Far­fadet, 1994.
  • Cather­ine Mafa­raud, Ombres de dos en plein soleil, Alain Benoist, 2002.
  • Anne-Marielle Wilw­erth, “Démesuré­ment la lumière”, L’Arbre à paroles, 2003.
  • Joël Bas­tard, Papil­lotes sans choco­lat, Rougi­er, Ficelle, no 71, 2006.
  • Colette Andri­ot, Pattes d’oiseaux pattes de chat, La renarde rouge, 2007.
  • Yves-Jacques Bouin, Elle ne passe jamais bien loin, Mazette, 2010.
  • Danielle Ter­rien, Traces vertes, Rougi­er, Ficelle, 2010.
  • Cécile Oumhani, Cités d’oiseaux, La lune bleue, 2011.

Présence dans les anthologies

  • Enfance et poésie, Jacques Char­p­en­treau, Édi­tions ouvrières, coll. L’En­fance heureuse, 1972.
  • Quelques poètes poitevins d’au­jour­d’hui, Menan­teau, Valen­sol, 1978.
  • En Vendée voilà, Le dé bleu, 1991.
  • Êtres femmes, Le Temps des ceris­es et Écrits des forges, 1999.
  • L’Évidence d’aimer, Louis Dubost, Le dé bleu, 2000.
  • Poèmes à lire et à rêver, Seuil jeunesse, 2003.
  • Les plus beaux poèmes d’hi­er et d’au­jour­d’hui: le flo­rilège de Fleurs d’en­cre, J.Charpentreau, Hachette, 2004.
  • Ce que dis­ent les mots, Pierre Maubé, Éclats d’en­cre, 2004.
  • Drôles d’oiseaux, un livre, un CD, Didi­er jeunesse, 2006.
  • Si le rouge dis­parais­sait, Le Temps des ceris­es, 2010.
  • La Fête de la vie, Das Fest des Lebens, En forêt, im Wald, 2011.
  • Enfance, Rue du monde, 2012.
  • La vie funam­bule, Mon­ti­ni-Car­pen­ti­er, Couleur livres, ill. de L. Guil­baud, 2013.
  • Jouer avec les poètes, Jacques Char­p­en­treau, 2015.
  • Antholo­gie islandaise, Por Ste­fans­son, 2016.
  • L’Epais des forêts, La main qui écrit, Direc­tion Flo­rence Saint-Roch, 2018.
  • Antholo­gie sur l’eau, textes réu­nis par Clau­dine Bertrand, Hen­ry, 2018.
  • Mes pre­mières comptines et autres petits poèmes, ill. et poèmes de L. Guil­baud, Couleur livres, 2019.
  • Qui rira lira, illus­tré par B.Gibert, Le Seuil, 2020.
  • Sourire de lune, Antholo­gie de poèmes parus au Dé bleu et ill. , Les car­nets du dessert de lune, 2022.
  • Le Feu, antholo­gie dirigée par Clau­dine Bertrand, Ed Hen­ry, 2023.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Mathias Lair

Math­ias Lair Liaudet est écrivain, philosophe et psy­ch­an­a­lyste. Il a pub­lié une trentaine de poèmes, romans et nou­velles, d’essais chez une trentaine d’éditeurs qu’on dit « autres ». On trou­ve ses chroniques dans les revue Décharge et Rumeurs ; égale­ment des notes de lec­ture et cri­tiques dans divers­es revues et divers sites. Sous le nom de Jean-Claude Liaudet, il a pub­lié des ouvrages de psy­ch­analyse, et par­fois de poli­tique, chez L’Archipel, Fayard, Flam­mar­i­on, Albin Michel, Odile Jacob. Depuis qu’il a créé, dans les années 80, le CALCRE (Comité des Auteurs en Lutte Con­tre le Rack­et de Édi­tion) il défend le droit des auteurs. Il est actuelle­ment élu au comité de la SGDL (Société des Gens De Lettres).
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